(MONT-TREMBLANT) À l’image de Justine Dufour-Lapointe, Perrine Laffont a connu des succès précoces. Après cinq années folles, la championne olympique française de 21 ans voulait souffler un peu cet hiver. Pourtant, elle continue de gagner. Entrevue avec la favorite et tenante du titre à la Coupe du monde de bosses de Tremblant, disputée samedi.

Avec deux victoires et une deuxième place, Mikaël Kingsbury n’est pas l’athlète le plus dominant sur le circuit de la Coupe du monde de bosses cet hiver. Ce statut revient à Perrine Laffont, qui a remporté les trois premières épreuves en Finlande et en Chine.

« C’est incroyable », a convenu la Française en marge de sa préparation pour la Coupe du monde de Tremblant, où elle s’élancera comme tenante du titre samedi. 

C’est le skieur qui a eu les saisons les plus folles ces huit dernières saisons. Sa carrière donne envie. C’est marrant parce que j’ai eu un meilleur début de saison que lui !

Perrine Laffont, au sujet de Mikaël Kingsbury

Laffont en est la première surprise. En l’absence de Jeux olympiques ou de Championnats du monde, la championne olympique abordait cette saison « creuse » comme une « transition ».

La jeune femme de 21 ans voulait souffler après cinq hivers intenses depuis sa participation-surprise aux JO de Sotchi, en 2014. Elle avait passé dans les demi-finales en se classant cinquième des qualifications.

« J’avais 15 ans, c’était un peu irréel », se souvient celle qui a finalement pris le 14e rang. « En même temps, quand j’ai un objectif en tête, je mets tout en place pour l’atteindre. On m’a dit qu’il y avait peut-être une chance de faire les Jeux de Sotchi, je me suis entraînée à 300 % pour les faire. »

Cette première expérience a galvanisé celle qui a appris à skier dans les Monts d’Olmes, dans les Pyrénées. « Je suis une très, très grande compétitrice dans l’âme. Après avoir fait mes premiers Jeux, ça m’a donné encore plus le goût de la compétition, la volonté de gagner. Je m’étais fait une petite liste. »

En cinq ans, elle a déjà tout coché : une première victoire en Coupe du monde en 2016; un titre mondial en parallèle en 2017; l’or olympique en 2018 à PyeongChang, devant sa prédécesseure, Justine Dufour-Lapointe.

« Justine, c’est une grande rivale, comme beaucoup d’autres filles. Elle a été championne olympique à 19 ans, je crois qu’elle a aussi fait son premier podium à 17 ans. Exactement comme moi. J’aimerais être une des plus grandes skieuses de bosses de tous les temps. C’est vrai, il y a eu Justine comme référence. Il y a eu Hannah Kearney, Jennifer Heil et Aiko Uemura. C’est une bonne rivalité qui nous fait aussi progresser. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Justine Dufour-Lapointe, Perrine Laffont et Yuliya Galysheva, lors des Jeux de PyeongChang.

Lever le pied

Après un deuxième titre mondial en parallèle et un deuxième globe de cristal, Laffont a senti le besoin de lever le pied un peu pour s’aérer l’esprit.

« Ça m’avait pris énormément d’énergie parce que j’ai consacré tout mon temps à ce sport. J’ai essayé d’être une athlète la plus parfaite possible. C’est vrai que mentalement et physiquement, ça tire, quoi. C’est un sport qui nécessite beaucoup d’audace, de perspicacité, où il faut être très carrée. Au bout d’un moment, au fil des années, je commençais en avoir un peu marre. C’est pour ça que je voulais me tranquilliser un peu cette saison. »

Dans l’entre-saison, ses coachs l’ont moins poussée, lui ont laissé une plus grande marge de liberté.

Je l’ai fait un peu plus à ma manière. Si j’avais envie de faire une certaine chose, je la faisais. Si je n’en avais pas envie, je ne la faisais pas. Ça ne veut pas dire que je me suis moins entraînée.

Perrine Laffont

Cet hiver, Laffont se concentre plus sur l’exécution des éléments techniques plutôt que sur son classement. Et voilà qu’elle a remporté l’épreuve de Ruka et les deux manches à Thaiwoo…

« Le stress rattrape toujours un peu tout, mais en tout cas, mes trois premières Coupes du monde ont été bien plus agréables que mes cinq dernières années ! En fait, de me prendre moins la tête avec les résultats, ça a trop bien marché, quoi ! Je voulais être un peu plus relaxe cette saison, un peu plus tranquille. Je suis une amoureuse du ski. Mon but avant tout, c’est de me faire plaisir. Et quand je me fais plaisir, on voit que ça marche. »

Kingsbury, qui visera lui aussi une deuxième victoire consécutive samedi à Tremblant, n’a pas dit son dernier mot : « J’ai 20 points de retard sur elle. Je ne suis quand même pas loin… »

Perrine Laffont en bref

- Pays d’origine : France
- Âge : 21 ans
- Médaillée d’or olympique à PyeongChang
- Double championne mondiale en parallèle (2017 et 2019)
- Deux globes de cristal du classement cumulatif de la Coupe du monde
- 58 départs en Coupe du monde (24 podiums, dont 12 victoires)

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« Funkytown »

« C’est encore un peu funkytown », a soufflé Mikaël Kingsbury après une descente d’entraînement sous le soleil, vendredi matin. Le double champion mondial parlait du parcours Flying Mile, dont les bosses sont plus espacées et longues que ce que les compétiteurs ont affronté jusqu’ici cette saison. « C’est difficile d’aller chercher 100 % de notre rythme parce que tu as beaucoup de pauses entre les virages, avait-il analysé la veille. J’ai l’impression d’être lent quand je skie là-dedans. Mais c’est la même chose pour tout le monde. En même temps, vu que c’est une piste assez facile, elle a beaucoup de pièges. Ça rendra la compétition un peu plus excitante. »

Chauffeur de camion

Kingsbury n’a pas l’intention de lancer son saut « cork » 1440, qu’il aurait aimé exécuter la troisième fois en compétition samedi à Tremblant. « Le saut du haut n’est pas construit pour aider les bons sauteurs. L’atterrissage est plat, c’est trop serré [avec la bosse de reprise]. » Le skieur de Deux-Montagnes a cependant mis à l’épreuve une manœuvre inédite : le « cork » 1080 avec une prise de skis avec les deux mains à la toute fin, soit un « truck driver » dans le jargon. « C’est tout nouveau, j’ai essayé ça il y a deux semaines. Je le pratique au cas où j’en aie besoin. »

Gros gabarit

À 6 pi 2 po et 200 livres, Elliot Vaillancourt a plus le physique d’un joueur de hockey que celui d’un bosseur. « Officiellement, je suis le plus gros format en Coupe du monde en ce moment, a indiqué le skieur de 20 ans. C’est sûr que c’est un défi. J’en ai plus long à faire tourner [dans les airs]. » À titre comparatif, Kingsbury mesure 5 pi 8 po et pèse 155 lb. Champion mondial junior en parallèle l’hiver dernier, Vaillancourt est perçu dans le milieu comme le grand espoir canadien. « C’est encourageant et inspirant », a exprimé l’athlète originaire de Drummondville. À son neuvième départ en Coupe du monde, il aspire samedi à atteindre une première finale, réservée aux 16 premiers. « Si je fais une descente au niveau dont je suis capable, c’est réaliste. »

Début prometteur

Après un début de saison prometteur, Laurent Dumais et Kerrian Chunlaud, deux produits de Stoneham, tenteront de poursuivre sur leur lancée à Tremblant. Septième et cinquième à Thaiwoo, où il a perdu en quart contre Kingsbury, Dumais n’avait pas connu de tels succès depuis sa troisième place-surprise à Val Saint-Côme en 2016. « Cette année, je voulais prendre ça plus relaxe, pour le plaisir, a expliqué le bosseur de 23 ans. Faire des descentes que moi j’aime, et non pas faire des descentes pour les juges. » De son côté, Chunlaud, 26 ans, a atteint un sommet personnel en participant à la super finale à Ruka (6e). « On s’améliore toujours un peu chaque année, c’est une suite normale pour moi », a analysé celui qui se distingue avec ses prises de ski dans les sauts.

Comme Michael Jordan

Jean-Luc Brassard estime que Kingsbury n’est pas reconnu à sa juste valeur, victime en quelque sorte des succès de ses prédécesseurs québécois. « On est vraiment témoin d’un talent au-delà du réel, l’a louangé le premier champion olympique en bosses. C’est un Michael Jordan. Mais parce qu’on est au Québec et que les skieurs acrobatiques ont tellement un passé glorieux, on pense que c’est facile. On oublie que ce qu’il est en train de faire, je ne reverrai plus jamais ça de ma vie. On avait vu des femmes connaître ce genre de séries victorieuses. Chez les gars, c’était quasi impossible. Ça sort de l’ordinaire. »