Le Club France de Gorki commence à s'animer en ce mercredi après-midi. Un peu plus tôt, à la station Rosa Khutor, Steve Missillier et Alexis Pinturault ont remporté l'argent et le bronze au slalom géant. Les deux skieurs permettaient ainsi à la France d'égaler son record de médailles (11) à des Jeux d'hiver.

Dans un coin de la salle, Luc Tardif répond à des questions devant la caméra. Le grand homme aux cheveux gris-blanc porte le jeans et la veste officielle de l'équipe de France, frappée du logo Lacoste. Il est le chef de mission. L'accent est français, mais des touches de québécois se glissent ici et là. Normal, il est originaire de Trois-Rivières.

Près de 40 ans après son arrivée en Europe, Luc Tardif s'est adapté, mais n'a pas oublié ses racines. « Je fais ça à ma sauce », lance-t-il en m'invitant à m'asseoir après qu'il m'a présenté un couple d'amis de Trois-Rivières venu le visiter. « Je n'ai pas changé ma façon de fonctionner et de communiquer. Un peu à la longue, mais je ne cherche pas à me planquer et je trouve que ça fait une touche exotique. »

Un séjour prolongé

En 1975, Luc Tardif n'avait pas de plan précis quand il est parti jouer au hockey à Bruxelles à l'âge de 22 ans. L'ancien attaquant des Patriotes de l'Université du Québec à Trois-Rivières pensait y rester un an, voir du pays et s'imprégner de la culture européenne avant de rentrer au Québec. Mais il a rencontré une Belge, qui est devenue sa femme. En attendant qu'elle obtienne son visa canadien, ils ont bifurqué par Chamonix. Ils sont tombés amoureux des Alpes et ont eu deux enfants.

Champion compteur de la Ligue Magnus à quatre reprises avec Chamonix, Tardif est ensuite parti à Rouen, club modeste qu'il a mené au championnat de France en 1990, avant de se retirer. Parallèlement à une carrière de directeur commercial d'une grande entreprise de bâtiments et travaux publics, il a continué à s'impliquer dans le hockey en Normandie.

Un jour, Didier Gailhaguet, le tout-puissant et controversé président de la Fédération française des sports de glace, lui a demandé de s'impliquer. Tardif a accepté, mais s'est vite rendu compte que le hockey est le parent pauvre de cette grande fédération chapeautant 13 disciplines. Après avoir piloté une grande réforme de ce sport au pays, il a tiré les ficelles pour créer la Fédération française de hockey sur glace, dont il est le président depuis sa fondation en 2006.

Le schisme n'a pas plu à Gailhaguet, l'homme derrière le scandale des juges aux JO de Salt Lake City. À Sotchi, ce dernier se rapporte à Tardif... « C'est comme dans les divorces, des fois, on s'entend mieux quand on est séparés, dit le chef de mission. Mais je n'irais pas en vacances avec lui, ça c'est sûr. Je suis son chef, on travaille en bonne intelligence. On est là pour l'équipe de France. Il faut être au-dessus de la mêlée. »

Tardif a vécu sa première expérience olympique à Vancouver, où il était responsable de l'animation du Club France. Deux ans plus tard, il a été sollicité par le président René Fasel pour devenir membre de la Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF). Il a rapidement accédé au comité exécutif, le cénacle de l'organisation, à titre de trésorier.

Négociations avec la LNH

À titre de président de la fédération française, Tardif a tissé des liens d'amitié avec Vladislav Tretiak, son homologue russe, qui a accédé à la présidence en même temps que lui. Sa connaissance de la Russie a contribué à sa nomination surprise comme chef de mission à Sotchi.

« Il fait l'unanimité, voilà », a résumé Denis Masseglia, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF). « En étant aussi trésorier de la fédération, c'est intéressant aussi d'avoir un pied dans l'international. Ce sont des missions qui se recoupent. Quelque part, on a plus de légitimité, de crédibilité, comme chef de mission. »

À Sotchi, Tardif s'est employé à négocier avec Infront, la société qui gère les droits télé et marketing de l'IIHF. Il a aussi participé aux discussions avec Gary Bettman et Donald Fehr concernant la participation des joueurs de la Ligue nationale aux prochains JO de Pyeongchang. Son niveau d'optimisme ? Il hésite quelques secondes. « Je ne suis pas nécessairement optimiste, je ne suis pas pessimiste non plus. C'est une réponse de Normand que je viens de vous faire... »

Dans un portrait publié par L'Équipe magazine, on raconte que Tardif a peut-être été pistonné par la ministre des Sports, Valérie Fourneyron, qui était sa médecin à l'époque où il jouait à Rouen. Faux, rétorque le chef de mission, rappelant qu'elle n'était pas en poste au moment de sa nomination.

« Je n'ai, bien sûr, rien demandé, mais c'est un beau clin d'oeil, a soutenu la ministre dans l'article. Luc Tardif est avant tout un leader, un homme de défi, un bâtisseur, un visionnaire, qui sait écouter et apprendre des autres. »

L'influence du Québécois de 61 ans, qui détient la double nationalité, ne semble pas à la veille de diminuer. Ainsi, il a été recruté par Bernard Lapasset, président de l'International Rugby Board, comme membre du Comité français du sport international, dont la mission est de ramener les JO à Paris en 2024 ou 2028.

« Des fois, il y a des gens qui disent : je voudrais devenir ça, note Tardif. Je n'ai jamais fait ça. J'ai seulement poussé des portes. »

Élu le mois dernier au Temple de la renommée sportive de la Mauricie, Luc Tardif n'a fait qu'une seule demande auprès de l'IIHF : celle de représenter l'organisation aux Mondiaux juniors qui auront lieu à Montréal en décembre et janvier.

Son grand regret à Sotchi : l'absence de l'équipe de hockey masculine, qui a raté sa qualification par un seul but. Pour se consoler, il peut continuer à compter les médailles qui tombent dans la besace française. Le lendemain de notre rencontre, le balayage bleu-blanc-rouge en ski cross masculin et l'argent en demi-lune féminine en ski ont fait monter le compte à 15.