Kevin Dineen a un visage taillé au couteau, un visage aux traits dur, qu'on imagine toujours sévère, un visage d'homme de hockey. Mais même Kevin Dineen flanche parfois.

C'est arrivé vendredi à la Maison du Canada, cette tente de luxe plantée au milieu du parc olympique et ornée d'une immense feuille d'érable.

Une petite cérémonie avait lieu pour les 21 joueuses de l'équipe féminine de hockey qui ont remporté l'or. À un moment, on a repassé sur un grand écran les extraits du match de jeudi: les Américaines qui mènent 2-0 avec cinq minutes à faire, les arrêts de la gardienne Shannon Szabados, le but de Brianne Jenner, celui de Marie-Philip Poulin à une minute de la fin, la récidive de la Québécoise en prolongation.

Puis ces images de Kevin Dineen, leur entraîneur, qui lève les bras au ciel, les images de ces joueuses qui n'y croient pas, les éclats de joie, des ralentis bien choisis et une musique en trame de fond.

Kevin Dineen regardait tout ça les yeux rougis. À côté de lui, sa femme était en larmes. Quand je me suis approché de lui après la cérémonie, je lui ai demandé s'il était ému. «C'est la faute de ces filles», a-t-il répondu, en pointant du doigt la petite bande qui a maintenu sur le bout de son siège un pays en entier.

Congédié sans ménagement

Mais Dineen avait aussi de quoi être ému de son propre parcours. Il y a deux mois, l'entraîneur de 50 ans passait ses journées dans sa maison de Floride avec rien devant lui. Il venait d'être renvoyé par les Panthers de la Floride. Pendant les deux années et demi passées à la barre de l'équipe, il l'avait menée en séries éliminatoires; ce qu'aucun entraîneur n'avait réussi à faire en 12 ans.

Mais après une séquence de sept défaites et un début de saison difficile, la direction des Panthers a mis Dineen à la porte en novembre. «Ça arrive pas mal dans le genre de travail que je fais... Je savais à quoi m'attendre et je suis passé par toutes les émotions: j'étais fâché, puis triste, j'essayais de comprendre ce qui s'était passé», raconte Dineen.

L'entraîneur en a vu d'autres. Comme son père, il a joué dans la LNH. Après sa carrière de 1188 matches, il est devenu entraîneur dans la Ligue américaine de hockey. Ses succès ont attiré les regards. En 2011, il s'est fait offrir la barre des Panthers.

Mais voilà que deux ans et demi plus tard, il se retrouvait au chômage. «C'est là que j'ai appelé Bob Nicholson, le président de Hockey Canada. Je lui ai parlé de mon intérêt de m'occuper d'Équipe Canada aux championnats du monde en mai, raconte Dineen. J'ai compris qu'il ne voulait pas choisir l'entraîneur avant la fin des Jeux. Mais bon, j'ai mis mon nom sur la liste au cas où une opportunité se présenterait.»

Deux jours plus tard, il recevait un appel: Nicholson lui offrait la barre de l'équipe féminine. L'entraîneur Dan Church venait de démissionner citant «des désaccords philosophiques». Nous étions à deux mois des Jeux olympiques de Sotchi. «J'ai dit oui tout de suite», raconte Dineen, dont la fille Hannah joue au hockey universitaire.

Va-t-il rester?

Le voilà aujourd'hui entraîneur d'une équipe médaillée d'or. Ses 21 joueuses ne sont plus un numéro. Elles lui ont fait vivre jeudi soir selon ses propres mots le plus beau moment de sa carrière. Elles lui ont fait verser une larme vendredi. Pas mal pour un entraîneur encore au chômage il y a deux mois.

Ces «filles» espèrent maintenant que Dineen reste avec elles. Le principal intéressé était encore trop sonné vendredi pour se prononcer sur son avenir. Résisterait-il à une proposition de la Ligue américaine ou même de la LNH? «Je ne sais pas, très honnêtement. Je n'ai pas reçu d'offre, dit-il. Mais pour l'instant, je regarde ce groupe de grandes joueuses et je me dis que mon travail avec elles n'est pas encore terminé.»