Don Cherry est assis dans un aréna et regarde Équipe Canada s'entraîner. Un chapeau de feutre sur la tête, vêtu d'un trois-pièces impeccable, l'homme de 80 ans est le plus élégant de tout Sotchi.

«Hey, Don, je viens de recevoir un courriel, lance un employé de CBC qui s'approche de lui. Écoute, tu ne peux plus dire en ondes que Ryan Getzlaf ne devrait pas porter la visière aux Jeux, OK?

 - Ah bon! Et pourquoi ça?

 - Parce que c'est la règle ici. La visière est obligatoire pour tout joueur né après 1975.

 - C'est n'importe quoi...»

Don Cherry est en Russie depuis 10 jours pour animer sa populaire émission Coach's Corner. Dans ses bagages, il a traîné les idées qu'il défend depuis des années sur les ondes de la télé d'État, dont son dégoût des visières - qu'il déteste parce que «les vrais hommes» n'en ont pas besoin. Et aussi quelques idées reçues sur la Russie. Mais depuis qu'il est ici, son opinion a changé du tout au tout.

«Je pensais que c'était la noirceur ici, qu'il y avait des files partout et des gens qui passaient le balai dans la rue», a-t-il raconté à La Presse.

Ce qu'il a vu à Sotchi l'a charmé. Ses derniers Jeux remontaient à 2002, à Salt Lake City. Quatre ans plus tôt, à Nagano, il avait été malade comme un chien et avait détesté l'expérience.

«J'adore la Russie! C'est mieux qu'à Salt Lake City, c'est mieux qu'au Japon. Les gens sont sympathiques. Je trouve ça merveilleux. Peut-être un peu long. J'aurais aimé que ce soit plus court, mais CBC m'a demandé d'être ici tout le tournoi.»

Luongo ou Price?

Au moment de notre conversation, on venait d'apprendre que P.K. Subban et Martin St-Louis seraient mis à l'écart contre la Finlande. À la mention du défenseur du Canadien de Montréal, Cherry a hoché la tête en signe d'incompréhension.

«Je suis très déçu qu'il ne joue pas. Très déçu. J'adore P.K., je le connais depuis qu'il a 15 ans. J'espère que ça ne va pas le décourager.»

«Il serait exceptionnel dans des matchs serrés. C'est le genre de joueur qui surprend tout le monde dans les cinq dernières minutes d'un match. Il a un style vraiment différent, vraiment unique, et il nous serait très utile», a ajouté Don Cherry.

Le bouillant commentateur comprend que «quelqu'un doit être dans les gradins». Il ne saisit simplement pas pourquoi ça doit être le gagnant du trophée Norris. Alors, selon lui, quel défenseur devrait être sacrifié? «Je ne veux pas le dire: ce sont tous de bons petits Canadiens et je ne veux pas briser des coeurs», lance-t-il.

Il ne comprend pas non plus que Roberto Luongo n'ait pas gardé le filet contre la Finlande. Selon lui, Équipe Canada a voulu mettre Carey Price au défi pour «voir ce qu'il a dans le ventre».

«Je n'ai aucune idée de ce qu'ils font. Je pensais que Luongo allait garder les buts (hier) soir, mais j'imagine qu'ils veulent observer Price un peu. J'aimerais vraiment comprendre pourquoi ce n'est pas Luongo. Il le mérite. Je ne comprends pas leur décision.»

«On va gagner»

Cherry n'a pas été impressionné seulement par la Russie. Il l'a aussi été par le match de samedi entre les Russes et les Américains.

«C'était une méchante partie de hockey. Je pense que si ç'avait été dans la Ligue nationale, le but refusé des Russes aurait compté. Les Russes ont joué magnifiquement. C'était leur meilleur match jusqu'à maintenant. Ils vont être dangereux.»

Croit-il que les Russes vont remporter ce tournoi disputé chez eux? Don Cherry répond avec aplomb: non.

«On va gagner. Jusqu'à maintenant, je n'ai rien vu qui se comparait à notre équipe. Quand tu peux te permettre de te passer de gars comme St-Louis et Subban, tu sais que ton équipe est méchamment bonne.»

Puis Cherry pointe sa gorge comme pour dire qu'il doit ménager sa voix, que l'entrevue vient de prendre fin. À 80 ans, il se couche au petit matin en Russie. Ses apparitions à la télé ont lieu à 2h30, heure locale. Il est fatigué, et il reste encore plusieurs jours aux Jeux. Alors vous l'excuserez s'il oublie que Ryan Getzlaf n'a pas le droit de jouer sans visière...

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Les moments olympiques de Don Cherry

Nagano, 1998

Après qu'une membre du Bloc Québécois a déploré la multiplication des drapeaux canadiens dans le village olympique, Don Cherry a explosé. «Ils n'aiment pas le drapeau canadien, mais ils veulent notre argent», a commencé le bouillant commentateur. «Puis on choisit ce Français, ce gars de ski que personne ne connaît», a ajouté Cherry en parlant de Jean-Luc Brassard, nommé porte-drapeau.

Salt Lake City, 2002

À un moment durant les Jeux, deux fondeuses russes ont été prises pour dopage. Don Cherry n'a pas pu s'empêcher d'en parler. «J'essaie de vous prévenir depuis tellement longtemps sur les Russes. De vous dire le genre de personnes qu'ils sont, mais vous les aimez tellement au Canada avec votre multiculturalisme.» Cherry n'a jamais voulu se rétracter.