Certains parlent des Jeux à 50 milliards. Des Jeux? Plutôt d'un jeu. Car à entendre parler les Russes et leurs joueurs de hockey, il serait plus juste de parler de la médaille à 50 milliards, celle que toute la Russie attend comme une offrande. Elle doit être d'or et sera gagnée sur une patinoire. De préférence contre le Canada.

Sans surprise, ce texte parle de hockey.

«À l'Ouest, on dirait que vous croyez que pour nos joueurs, c'est l'or ou la Sibérie!, se moque le journaliste Mikhail Zislis, qui travaille pour une grande agence de presse russe. Je pense que Vladimir Poutine a simplement demandé aux joueurs de tout donner, de jouer avec leur coeur. S'ils jouent de leur mieux, alors tout le monde sera content.»

Alors, il n'y a pas de pression sur les Russes? «Oui, énorme, le partisan de base, la population, exige une médaille d'or!»

La pression. Elle suit les Russes partout où ils vont à Sotchi. Elle se lisait hier sur le visage du capitaine. Pavel Datsyuk n'a pas joué pendant un mois avec les Red Wings de Detroit, victime d'une blessure au bas du corps. Après avoir manqué le premier entraînement des Russes, lundi, il était sur patins hier. Il devrait jouer contre la Slovénie demain.

«Je ne pense pas à Sotchi depuis cinq ou six ans. J'ai pensé à ce tournoi toute ma vie», a répondu Datsyuk à une question de La Presse.

La phrase représente l'état d'esprit des joueurs russes, qui vont entreprendre le tournoi olympique un couteau entre les dents. «À Vancouver, je me rappelle, on voyait dans les yeux des Canadiens qu'ils voulaient gagner à mort, raconte le journaliste Mikhail Zislis. Pas les Russes. Je pense que, pour ces Jeux, ils ont beaucoup plus de passion. Ils sont très motivés.»

«Aller chercher l'or»

L'URSS a dominé le hockey olympique de 1956 à 1992. Sur cette période, les Soviétiques ont gagné huit médailles d'or, une d'argent et une de bronze en dix éditions des Jeux. Mais le démantèlement de l'empire soviétique a mis un frein aux succès russes. Lors des cinq derniers Jeux, ils n'ont remporté que deux médailles - argent et bronze.

En 2010, les Russes ont terminé au sixième rang après une humiliante défaite de 7-3 contre les Canadiens. «À Vancouver, on a perdu contre le Canada. C'est une défaite qui a fait mal, a dit hier Alex Ovechkin sans détour. C'était une tragédie. Une tragédie pour la Russie.»

Une tragédie, rien de moins.

Mais à Sotchi, les Russes semblent capables de l'emporter. Ils ne sont pas les mieux pourvus devant le filet. Mais leurs deux premiers trios d'attaquants sont à faire frémir: Pavel Datsyuk, Ilya Kovalchuk, Alexander Radulov, Alex Ovechkin, Evgeni Malkin et Alexander Semin.

«C'est un sport d'équipe et ce sera à toute l'équipe d'aller chercher l'or», a déclaré hier le légendaire Vladislav Tretiak.

Le directeur général de la sélection a lancé cette phrase devant une salle pleine à craquer de reporters, dont certains Russes qui, sans faire grand cas de l'objectivité journalistique, ont applaudi leurs joueurs à tout rompre à quelques reprises. Certains journalistes portaient même les couleurs de leur équipe nationale.

Ceux qui s'inquiètent de la liberté de la presse en Russie seront à tout le moins rassurés sur sa liberté d'appuyer l'équipe de hockey russe...

Tretiak et ses joueurs auront une bonne idée de leur forme dès samedi en ronde préliminaire, alors qu'ils affronteront les puissants Américains. Les deux formations font partie du même groupe. Plongeant dans le riche passé du hockey russe, le joueur le plus décoré de l'histoire olympique s'est rappelé la défaite surprise subie aux mains des Américains en 1980, aux Jeux de Lake Placid.

«Le problème, c'est qu'à l'époque, on a sous-estimé les Américains, a expliqué Vladislav Tretiak. Ça n'arrivera pas ici, je vous le garantis.»

Ici, dans le Parc olympique de Sotchi, les espoirs les plus fous sont permis. Les spectateurs russes affluent chaque jour un peu plus sur le site, avec leurs manteaux, leurs tuques, leurs foulards aux couleurs de la Russie.

L'un d'entre eux, croisé devant le magnifique aréna Bolchoï, avait fait 600 kilomètres en voiture pour admirer le lieu où les Russes rêvent de remporter l'or olympique le soir du 23 février.

«Ces Jeux sont un succès. C'est indéniable, on ne peut pas en douter une seconde, dit avec assurance Bogdan Nemstov, un ingénieur. Mais ce serait un peu dommage d'avoir construit tout ça si on ne bat pas les Canadiens.»

Le tournoi de hockey commence demain contre la Slovénie pour les Russes. La table est donc mise à Sotchi pour un triomphe qui passera à l'histoire. Ou pour une autre tragédie. Une tragédie russe à quelques milliards de roubles.