Alors que la place de la langue française aux Jeux olympiques est sans cesse menacée, la protectrice du français chargée de veiller au grain à Sotchi a passé les derniers jours à... Paris.

Contrairement à ses prédécesseurs, le Grand Témoin de la Francophonie n'a pas assisté aux Jeux olympiques cette année. L'historienne Hélène Carrère d'Encausse était présente à la cérémonie d'ouverture, le 7 février, puis est rentrée en France immédiatement après.

Un Grand Témoin qui n'est pas sur place pour témoigner? Il s'agirait d'une première depuis que l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a créé cette fonction en 2004, en réaction à l'effritement du français aux Jeux olympiques.

Lise Bissonnette a par exemple assisté aux Jeux de Turin dans leur entièreté en 2006 lorsqu'elle a rempli ce rôle. «C'était important pour moi d'assister aux compétitions, de marcher dans le Parc olympique et de vraiment comprendre la place qui était faite à la langue française. Je suis même allée au curling!», a expliqué la Québécoise, qui n'a pas voulu se prononcer sur l'absence de Mme Carrère d'Encausse à Sotchi.

Michaëlle Jean a quant à elle été Grand Témoin aux Jeux de Londres. L'ancienne gouverneure générale du Canada a passé dix jours à observer les Jeux, et au moins trois autres jours aux Jeux paralympiques.

Le français pratiquement invisible

La langue française est, avec l'anglais, la langue officielle du Comité international olympique (CIO). Elle est aussi la langue fondatrice du mouvement olympique.

À Sotchi, le français est toutefois pratiquement invisible. Il est absent des panneaux de signalisation dans le Parc olympique. Plusieurs documents, comme les déclarations des athlètes colligées par des bénévoles après leurs épreuves, ne sont disponibles qu'en anglais.

Le français est aussi absent lors des annonces dans plusieurs épreuves. Au hockey, par exemple, aucun mot de français n'est prononcé durant les matchs. «J'ai fait les annonces aux Jeux olympiques pendant des années et je constate une lente érosion du français», dit Michel Lacroix, annonceur maison au Centre Bell, croisé à Sotchi.

Une employée de l'OIF présente sur place assure que Mme Carrère d'Encausse sera en mesure de rédiger son rapport sans avoir vu les Jeux. Audrey Delacroix est en quelque sorte «les yeux et les oreilles» du Grand Témoin à Sotchi.

«Selon le pays et les conditions dans lesquelles on travaille, le Témoin établit les modalités de sa présence», explique Mme Delacroix, qui porte le titre de commissaire pour la langue française dans les Jeux olympiques.

Mme Carrère d'Encausse, mère du célèbre écrivain Emmanuel Carrère, est une historienne, spécialiste de la Russie. Elle a consacré plusieurs ouvrages à ce pays et à l'ancien bloc soviétique. Elle est également secrétaire perpétuelle de l'Académie française.

Le 14 février, en pleins Jeux olympiques, elle était à Paris aux côtés du nouveau membre de l'Académie, Dany Laferrière. Le jour même à Sotchi, La Presse constatait lors de deux matchs de hockey masculin l'absence quasi totale de français.

Le bras droit du Grand Témoin admet qu'elle a remarqué quelques manquements, que ce soit lors des annonces durant les épreuves ou dans la signalétique. «Mais dans l'ensemble, la situation est encourageante, satisfaisante, explique Mme Delacroix. Il y a de beaux efforts qui ont été faits. La langue française est relativement bien représentée.»

Elle note par exemple l'emploi du français lors de la cérémonie d'ouverture. Le président du CIO, Thomas Bach, a prononcé un court extrait de son discours dans la langue de Molière.

Le CIO montré du doigt

La lente érosion du français aux Jeux n'est bien entendu pas la faute de l'OIF et de son Grand Témoin. Selon Lise Bissonnette, le CIO en est le principal coupable.

«Le problème plus fondamental ne vient pas de l'Organisation internationale de la Francophonie elle-même, même si je la trouve un peu molle. Le problème, c'est le CIO. C'est lui qui ne demande pas aux pays hôtes des Jeux de s'engager fermement sur le français.»

Par exemple, explique celle qui a été à la tête de Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), le CIO aurait pu demander à Vladimir Poutine d'assurer une place équivalente au français et à l'anglais lors des Jeux.

«Le problème, c'est que le CIO ne demande pas ça, dit-elle. Il pose des exigences énormes, on le voit à Québec avec la hauteur des montagnes. On le voit dans ces Jeux qui ont coûté des milliards. Mais sur la question de la langue, il ne demande pratiquement rien.»

Il a été impossible de parler à Hélène Carrère d'Encausse pour ce reportage, malgré plusieurs demandes d'entrevue.