Ce sont quelques secondes en noir et blanc qui marqueront l'imaginaire du peuple brésilien pour plusieurs générations encore. Une action, toute simple, qui a plongé le plus grand pays sud-américain dans un deuil profond et modifié à tout jamais le destin de son protagoniste malheureux.

En ce 16 juillet 1950, le Brésil n'est plus qu'à 11 minutes de remporter sa Coupe du monde aux dépens de l'Uruguay. L'attaquant de la Celeste, Alcides Gigghia, se démarque alors sur le côté droit avant de frapper à ras de terre malgré un angle difficile. Le ballon se faufile entre le gardien brésilien Moacir Barbosa et le poteau, et le mythique stade du Maracanã et ses 199 954 spectateurs est enveloppé d'une incroyable tristesse. Dans ce dernier match du tour final de la compétition, le Brésil pouvait se contenter d'un simple match nul. Il a plutôt été vaincu 2 à 1 par son voisin de 2 millions d'habitants.

«Notre catastrophe nationale, notre Hiroshima, a été la défaite contre l'Uruguay, en 1950», racontera plus tard l'homme de lettres Nelson Rodrigues. «Pour contrarier le plus grand nombre de Brésiliens sans pertes de vie, il n'y a pas de meilleure façon que de bâtir le plus grand stade du monde, le remplir au-delà de sa capacité et, ensuite, perdre dans les dernières minutes contre un voisin que vous aviez récemment battu, dans un sport qui représente le mieux la nation», énumérera Alex Bellos dans son livre Futebol: The Brazilian Way of Life.

Pourquoi la douleur a-t-elle été aussi vive? Probablement parce que personne, des quartiers défavorisés jusqu'aux autorités du pays, n'avait envisagé un tel scénario. Les journaux avaient déjà préparé leur une célébrant la victoire des Auriverde, tandis que les détails du défilé avaient déjà été peaufinés. Le président de la FIFA, qui n'entrevoyait pas une victoire uruguayenne, avait préparé son discours d'après-match en portugais, seulement.

50 ans de malheur

Après le deuil, le débat s'est recentré sur les raisons d'un tel échec et, notamment, sur la recherche d'un bouc émissaire. La presse sportive a alors ciblé deux des défenseurs, le sélectionneur Flávio Costa et Barbosa. De ce lot, seul l'Afro-Brésilien est devenu un paria national, traqué à la moindre sortie publique. Devant l'opprobre général, sa femme et lui ont d'ailleurs vécu les semaines suivantes tels des ermites, allant même jusqu'à ne plus répondre au téléphone. La légende veut aussi que, lors d'un voyage en train, le gardien de 29 ans ait passé une partie du trajet avec la tête cachée par un journal. Mais lorsque deux passagers l'ont insulté allégrement, Barbosa se serait découvert pour leur répondre: «Est-ce moi que vous cherchez, par hasard?» Si les individus ont pris la poudre d'escampette, les cicatrices de ce «Maracanazo», quant à elles, n'ont jamais disparu de son quotidien.

«Au Brésil, la peine maximale pour un crime est de 30 ans de prison. Moi, il y a 43 ans que je paie pour un crime que je n'ai pas commis», s'est-il plaint au début des années 90. Car même s'il a poursuivi sa carrière à Vasco de Gama pendant 10 ans et obtenu une dernière sélection avec le Brésil, en 1953, il est toujours resté celui qui a fait échouer le Brésil. Malgré les nombreux succès du soccer brésilien, son histoire s'est ainsi transmise de génération en génération tel un conte folklorique. «Regarde, mon fils, c'est lui qui a fait pleurer tout le Brésil», se rappelle-t-il avoir entendu, en 1970. En se retournant, il a alors vu qu'une mère le montrait du doigt tout en parlant à son jeune fils. «Cela m'a brisé le coeur», a avoué Barbosa en déplorant le fait qu'il ne serait jamais véritablement libre.

Le pardon de Scolari

Les sphères du ballon rond n'ont pas été plus tendres avec lui au fil des années. Barbosa, qui, ironiquement, a longtemps travaillé dans le complexe sportif du Maracanã, était perçu comme un chat noir qu'il ne fallait pas côtoyer. À la veille de la Coupe du monde 1994, que le Brésil a remportée aux États-Unis, il lui a ainsi été refusé de rencontrer les joueurs de la Seleção. Une autre humiliation que l'homme de 79 ans a emportée dans sa tombe, le 8 avril 2000.

Soixante-quatre ans après les faits, Barbosa pourrait tout de même trouver un début de pardon si les Brésiliens soulevaient le trophée, au stade Maracanã, le 13 juillet. «Nous allons essayer d'y retourner pour la finale et de nous souvenir de la bonne façon de l'équipe des années 50, car elle était magnifique, a espéré l'actuel sélectionneur, Luiz Felipe Scolari. C'est de cette façon que j'aimerais que les Brésiliens se souviennent.»

Se souvenir de cette équipe battue à la surprise générale, et, surtout, de son gardien dont on dit qu'il est mort deux fois...