«Au Brésil, il y a des villes et des villages sans église, mais tous possèdent leur propre stade de soccer», clamait l'écrivain uruguayen Eduardo Galeano dans son classique Soccer in Sun and Shadow. Plus qu'un sport, le soccer a été élevé au rang d'art et de religion par le peuple brésilien. Tour d'horizon de cette passion qui brûle depuis la fin du XIXe siècle.

Une croissance rapide

On attribue à Charles Miller la paternité du soccer au Brésil, en 1894. En revenant d'un séjour en Grande-Bretagne, le jeune homme a rapporté deux ballons avec lui et organisé les premiers matchs à São Paulo. Un autre Brésilien d'origine anglaise, Oscar Cox, a joué un rôle identique à Rio de Janeiro parmi l'élite blanche de la ville. Rapidement, le soccer s'est popularisé pour devenir, dès 1910, le sport le plus pratiqué du Brésil. L'histoire d'amour n'a jamais cessé pour une discipline que l'on retrouve, depuis, sous différentes formes (futsal, futebol volley). «Quand tu nais, le premier cadeau que l'on te donne est un ballon. Nous avons cette passion en nous dès le début, souligne le milieu de terrain montréalais Felipe. (...) J'ai commencé à jouer au soccer, sans chaussures, dans la rue avec les voitures qui passaient.»

Selon la FIFA, plus de 13 millions de Brésiliens frappent sur un ballon de soccer à l'occasion. Un chiffre en deçà de la réalité? «Ce ne sont pas juste les jeunes qui jouent, ce sont aussi les pères, les grands-pères ou les mères, précise Charles Gbeke, ancien joueur de l'Impact installé au Brésil. Le soccer amateur n'est pas aussi bien organisé qu'ailleurs, mais ils jouent dans la rue ou à la plage. Le Brésilien respire le soccer, c'est la Mecque du soccer.»

Le beau jeu

L'ancien joueur brésilien Didi aurait été le premier à utiliser l'expression «joga bonito», soit le beau jeu. Dans l'histoire de la Coupe du monde, la Seleção a souvent ébloui par l'esthétisme de son jeu, que ce soit en 1958 avec l'introduction du 4-2-4, ou en 1970 avec la victoire contre le catenaccio italien. Et que dire de la formidable équipe de Tele Santana, en 1982, qui a péri, au second tour, avec ses idéaux offensifs. Dans les années 30, l'auteur Gilberto Freyre associait déjà le soccer brésilien à la capoeira, cet art martial afro-brésilien. «Le mulâtre brésilien a déseuropéanisé le soccer en lui donnant des courbes. On danse avec le ballon.» Et quand le Brésil rejoint le camp du pragmatisme plutôt que du romantisme, les critiques s'abattent inévitablement. Dunga, sélectionneur entre 2006 et 2010, a ainsi été la cible d'attaques virulentes pour avoir fait du Brésil une équipe de contre-attaque, un bloc réactif plutôt que créatif.

Dans cet océan de joueurs à la technique exquise, certains déplorent cependant un apprentissage tactique moins poussé qu'en Europe. «Il y a une chose incroyable au Brésil, c'est la désorganisation tactique. Mais ce sont les meilleurs joueurs techniques au monde. Si tu emmènes une organisation à un groupe de talent, des choses incroyables peuvent arriver», explique Marc Dos Santos, qui a été entraîneur pendant près de deux ans au Brésil.

Le futsal

Qu'ont en commun Neymar, Ronaldo, Juninho, Kaka ou Romario? Comme des milliers de jeunes brésiliens, ils ont commencé par le futsal avant de se diriger vers le soccer traditionnel. Disputé sur un petit terrain intérieur (40 m sur 20) et avec deux équipes de cinq joueurs, le «futebol de salão» est une excellente école de jeu qui a fait ses preuves au fil du temps. «Dans le futsal, il faut que tu sois très rapide dans tes décisions, car le marquage vient tout de suite, explique Charles Gbeke. Avec leur technique, les Brésiliens sont capables d'éliminer des adversaires dans de petits espaces. Par contre, la pratique du futsal peut entraîner des blessures aux genoux.» Même le roi Pelé a commencé par cette discipline dans sa jeunesse. «Tout devient plus facile quand tu fais ensuite la transition vers le soccer», a-t-il une fois résumé. Pas étonnant alors que le futsal, inventé en Uruguay dans les années 30, se soit aussi répandu ailleurs dans le monde, comme au Portugal ou en Espagne.

Un rayonnement international

«Peu importe où je suis allé, il y avait un joueur brésilien. Que ce soit en première division où à des niveaux plus bas, on veut devenir des professionnels.» Le constat que Felipe a fait au gré de ses séjours en Suisse ou en Amérique du Nord se vérifie à l'échelle mondiale, peu importe l'éloignement géographique et culturel. Il suffit de penser à la forte colonie que l'on trouve au Shakhtar Donetsk, en Ukraine, ou dans des championnats européens moins cotés. En 2012-2013, plus de 600 joueurs d'origine brésilienne évoluaient ainsi dans les premières divisions en Europe. Après le Portugal et l'Italie, c'est à Chypre et en Roumanie que l'on retrouvait le plus de compatriotes de Felipe. Les Brésiliens trônent également en haut de la hiérarchie, puisque 78 d'entre eux avaient participé à la Ligue des champions de 2012-2013. Seuls 3 des 32 équipes ne comptaient pas de joueur auriverde dans leurs rangs.

La vente de joueurs brésiliens constitue donc une manne importante pour l'économie du Brésil. Selon le site économique Quartz, ce chiffre a atteint la somme de 182 millions lors du premier semestre de 2013, soit davantage que l'exportation d'armes. Un joueur comme Neymar est surtout moins dangereux, sauf pour les défenses adverses...