Le jugement de la direction a été « altéré » par sa volonté de donner une deuxième chance à Sandro Grande. Sa nomination à la tête du club de réserve était une « erreur », attribuable à un « manque de sensibilité » et d’« empathie ».

Le président du CF Montréal, Gabriel Gervais, n’a pas tenté de se défiler. Lors d’un point de presse d’une vingtaine de minutes, il n’a cherché à défendre d’aucune manière la décision d’embaucher Grande, annoncée lundi en début de soirée et révoquée 15 heures plus tard après que des déclarations passées relativement à l’attentat du Métropolis, en 2012, eurent refait surface.

Ex-coéquipier de Gervais et lui-même un ancien joueur de l’Impact de Montréal, Grande possède sans conteste un CV sportif qui aurait justifié qu’on lui donne les rênes de la formation regroupant les meilleurs espoirs du CFM. Or, il y a un peu plus de 10 ans, il a écrit sur Twitter que « la seule erreur que le tireur a commise la nuit dernière, c’est de rater sa cible », nommément Pauline Marois. « La prochaine fois mon gars ! J’espère ! », avait-il ajouté à l’époque.

Le 4 septembre 2012, alors que Mme Marois venait tout juste de devenir la première première ministre de l’histoire de la province, Richard Henry Bain s’était présenté armé au Métropolis, salle de spectacle montréalaise où le Parti québécois célébrait sa victoire, dans le but de tuer la nouvelle cheffe d’État. L’homme a abattu un technicien de scène et en a gravement blessé un autre. Seule une dysfonction de sa carabine l’a empêché de faire plus de victimes. Il a été condamné à la prison à vie en 2016.

« De toute évidence, nous avons manqué de sensibilité et largement sous-estimé la portée des propos de Sandro Grande », a dit Gabriel Gervais devant les journalistes.

Le dirigeant a spécifiquement offert ses excuses à Mme Marois ainsi qu’au Parti québécois et aux autres formations politiques de la province. Depuis lundi soir, tous les partis représentés à l’Assemblée nationale ont dénoncé l’embauche de Grande. Le premier ministre François Legault n’a pas fait exception, et il a salué le choix du CFM de rompre cette association. Pauline Marois elle-même a indiqué que c’était « la bonne chose à faire ». Elle avait néanmoins affirmé plus tôt à quel point cette nouvelle l’avait « atteint[e], je dirais quasiment plus que lorsque c’est arrivé ».

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Le président du CF Montréal, Gabriel Gervais

Bien que la décision « unanime » d’engager Grande ait été prise en « comité », et qu’elle ait été entérinée par le propriétaire de l’organisation Joey Saputo, Gervais en prend l’« entière responsabilité ».

Des rumeurs de cette embauche ont fait surface au cours des derniers jours et, déjà, les réactions étaient mitigées. Sur Twitter, elle a notamment été évoquée par le journaliste Jérémy Filosa, du 98,5 FM. Dans les commentaires, les propos de Grande sur l’attentat de 2012 ont été dépoussiérés dès le 5 janvier.

Jamais, à ce jour, il n’a formulé d’excuses publiques à ce sujet. Il a plutôt invoqué, par le passé, avoir été la cible de piratage. Cet épisode a été abordé avec lui dans le processus d’embauche, a dit Gervais. Selon lui, Grande est le véritable auteur du message sympathique au tireur. « On était conscients des actes inacceptables de Sandro il y a 10 ans », a-t-il résumé.

Le CFM appréhendait un ressac, mais a été « motivé » par les « excellentes compétences techniques » ainsi que par « l’expérience et la maturité acquises [par Grande] depuis 10 ans ». Mentionnons qu’en 2009, il avait été libéré par l’organisation après avoir empoigné son coéquipier Mauro Biello à la gorge.

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Sandro Grande avait été libéré par l’Impact en juillet 2009 après avoir empoigné son coéquipier Mauro Biello à la gorge.

On a donc décidé d’aller de l’avant. Un peu avant 18 h 30, lundi, un communiqué confirmant le retour à la maison de Grande a été publié. « On s’attendait à ce qu’il y ait des gens mécontents », mais pas que la vague prenne une telle « ampleur ».

À Québec, la classe politique a parlé d’une seule voix, après que Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois, eut fustigé la décision du CFM. Sur les réseaux sociaux, des partisans se sont déchaînés. Des commanditaires ont exprimé leurs réserves à la haute direction.

Tard, lundi soir, « on a commencé à réfléchir » à se séparer prestement de Grande, ce qui est arrivé le matin venu. « On a pris cette décision pour le bien du club », a conclu Gabriel Gervais.

« Nous saluons la décision prise par le CF Montréal et acceptons les excuses du club tant envers les membres du Parti québécois que les millions de Québécoises et de Québécois qui partagent nos convictions indépendantistes », a réagi le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon, mardi, dans une publication sur les réseaux sociaux.

« Le CF Montréal a agi promptement en prenant acte de la banalisation des déclarations passées de M. Grande et en assumant la responsabilité de la situation. Nous saluons également les excuses qui ont été offertes directement à notre première ministre et ancienne cheffe du Parti québécois, madame Pauline Marois. »

« Deuxième chance »

Natif de Montréal, Sandro Grande, 45 ans, occupait le poste de directeur technique du FC Laval depuis octobre 2021. Il avait précédemment été directeur technique du club Les Étoiles de l’Est, de 2011 à 2019 et avait occupé le poste de responsable des programmes de soccer masculin et féminin du Collège Montmorency, 2017 à 2021. Sur le terrain, il a disputé une quinzaine de saisons au Canada et en Europe.

À 10 reprises, pendant le point de presse de mardi, Gabriel Gervais a expliqué avoir eu la volonté sincère, « de bonne foi », de donner une « deuxième chance » à son ex-coéquipier. « Force est d'admettre que ce fut une erreur », a-t-il admis.

« Je connais Sandro depuis longtemps, a-t-il dit. J’ai joué avec lui chez les U14, sur l’équipe nationale, avec l’Impact… Je sais à quel point il est fougueux et il peut être émotif. Je savais pour l’accident inacceptable de 2012. Mais j’ai aussi vu Sandro maturer depuis 10 ans et exprimer un intérêt profond à joindre le club. D’autant plus qu’on est contents de voir des anciens revenir. Notre but était de lui donner une deuxième chance, et ç’a altéré notre prise de décision. »

L’organisation, tristement, s’est fait une spécialité des faux pas qui nuisent à son image. Le changement d’identité visuelle, il y a deux ans, a été certainement le plus notable, causant la consternation parmi les partisans. Le récent changement d’entraîneur a aussi pris des proportions considérables.

L’organisation « apprendra » du présent épisode, assure Gervais. Dans le futur, on tentera de « se défier davantage », on affichera « une rigueur additionnelle » et on y repensera « deux ou trois fois » avant de « donner une deuxième chance à quelqu’un », notamment en mesurant mieux à l’avance « l’impact sur la communauté ».

Le président du club estime que « les bonnes personnes sont en place » pour « corriger » les lacunes dans les processus décisionnels.

Notons par ailleurs que c’est finalement Patrick Viollat, adjoint pressenti de Grande, qui prendra la tête du club de réserve du CFM.