(Doha) Qu’ils chantent ou non l’hymne, qu’ils publient des messages de soutien aux protestataires ou se fassent plus discrets, les joueurs de l’équipe d’Iran au Mondial n’échappent ni aux critiques dans leur pays ni à la récupération par le pouvoir, confronté à des contestations inédites.

Les Iraniens ont beau marteler depuis le début de la compétition qu’ils sont au Qatar pour « se battre pour le peuple et lui apporter de la joie », ils n’en restent pas moins tiraillés par des intérêts contradictoires au moment où la République islamique est confrontée à des manifestations populaires déclenchées par la mort le 16 septembre de Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour ne pas avoir respecté le code vestimentaire strict imposé par le régime.

« Vous n’imaginez même pas ce que ces gamins ont vécu ces derniers jours en coulisses, simplement parce qu’ils veulent s’exprimer en tant que footballeurs. Quoi qu’ils disent, les gens veulent les tuer », a résumé leur sélectionneur portugais Carlos Queiroz à l’issue de la première rencontre de la Coupe du monde largement perdue face à l’Angleterre (6-2).

Si l’appui affiché sur les réseaux sociaux ou lors des matchs (pas de célébration des buts, refus d’entonner l’hymne) dès le déclenchement du mouvement a été très bien perçu par les contestataires, la donne a changé avec la rencontre entre Carlos Queiroz et ses troupes et le président ultraconservateur Ebrahim Raïssi juste avant de s’envoler pour le Qatar. Cette entrevue a été vivement dénoncée par les opposants.

Ligne de fracture

Cette ligne de fracture au sein d’une population pourtant passionnée de football et où la « Team Melli » a toujours constitué un ciment entre les différentes sensibilités politiques s’est nettement ressentie contre l’Angleterre.

Des cris « Liberté, Liberté » ont retenti à Doha, descendus des tribunes peuplées de fans iraniens qui ont également scandé le nom d’Ali Karimi, ancien joueur du Bayern Munich devenu un farouche critique du pouvoir. Des insultes ont aussi fusé sans que l’on sache si elles étaient adressées à la totalité de l’équipe ou à deux éléments réputés proches du régime, Mehdi Torabi et Vahid Amiri, en train de s’échauffer.  

Selon des images relayées sur les réseaux sociaux, plusieurs panneaux à l’effigie de la Team Melli ont été incendiés ces derniers jours en Iran et le succès de vendredi contre le Pays de Galles (2-0), qui maintient intact les chances de se qualifier pour la première fois de leur histoire pour les 1/8 de finale de la Coupe du monde, n’a pas été suivi de scènes de liesse de grande ampleur, contrairement à d’habitude.

Avant le coup d’envoi, les joueurs avaient entonné, sans entrain, l’hymne national, une première depuis le début de la révolte en Iran.

Les autorités se sont empressées de s’en réjouir plaçant l’équipe nationale encore plus dans l’embarras. Les forces antiémeute, qui mènent une répression sanglante, ont ostensiblement manifesté leur joie dans les rues, selon des vidéos visibles sur Twitter.

« Dilemme »

Le Guide suprême Ali Khamenei s’est fendu d’un tweet, affirmant que « les joueurs de l’équipe nationale iranienne ont rendu la nation iranienne heureuse. Que Dieu les rende heureux ».

« D’un côté, si les joueurs manifestent, même de façon silencieuse, leur soutien à la révolte, ils risquent de se faire réprimer, et de l’autre côté, vous avez des activistes et des gens engagés dans la lutte, qui risquent leur vie en Iran et qui attendent qu’ils soient des porte-drapeaux et les premiers activistes », explique à l’AFP Jean-Baptiste Guégan, enseignant et spécialiste de la géopolitique du sport. « Ce qui n’est pas possible, car ils pourraient être sanctionnés à leur retour et la sélection suspendue par la FIFA. C’est tout le dilemme des joueurs. »

« Ils sont constamment entre le marteau et l’enclume et, quoi qu’ils fassent, ils en subiront les conséquences. Il y a un vrai risque pour eux si la situation s’embrase encore plus en Iran », ajoute-t-il.

La semaine dernière, un ancien joueur international originaire du Kurdistan iranien, Voria Ghafouri, a été arrêté pour « propagande » contre l’État, avant d’être libéré sous caution samedi. De son côté, la légende du football iranien Ali Daei, qui soutient les manifestants, a annoncé lundi avoir été « menacé ».