(Doha) À l’issue d’une incroyable fin de match, l’Iran a obtenu vendredi à l’arraché une victoire précieuse face au pays de Galles (2-0) lui permettant de rêver d’une première qualification historique pour les 8e de finale d’un Mondial, que la « Team Melli » pourrait obtenir lors d’un choc hautement symbolique mardi contre les États-Unis.

Tout se jouera donc pour les Iraniens au cours d’un duel tant attendu et à forte portée géopolitique face aux Américains, ennemis jurés de la République islamique.

Mais pour arriver à cette « finale », la sélection perse, totalement déchaînée, a bénéficié d’un scénario complètement fou, inscrivant deux buts dans les arrêts de jeu par Rouzbeh Cheshmi (90e+8) et Ramin Rezaeian (90e+11) devant des Gallois soudainement dépassés par les évènements après l’exclusion de leur gardien Wayne Hennessey pour une faute grossière et dangereuse en dehors de sa surface (86e).

Pour une fois, les Iraniens ont pu bénéficier de l’appui unanime de leurs fans, venus en nombre au stade Ahmed Ben Ali et décidés visiblement à jouer l’union sacrée au moment où le pays est le théâtre d’un soulèvement sans précédent, réprimé dans le sang par le pouvoir, à la suite de la mort le 16 septembre de la jeune Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs à Téhéran pour ne pas avoir respecté le code vestimentaire strict imposé.

Et c’est logiquement avec eux qu’ils ont communié à l’issue d’une fin de partie irrespirable et un dénouement qui semblait impossible après la déculottée subie lundi contre l’Angleterre (6-2) pour leur entrée en lice dans cette Coupe du monde.

Hymne chanté

Les joueurs ont d’ailleurs entonné l’hymne national avant le coup d’envoi de la rencontre, contrairement à leurs dernières sorties où ils s’en étaient abstenus en signe de soutien aux manifestants.

« On se bat pour le peuple et on essaye de le rendre heureux », a lâché le défenseur Morteza Pouraliganji, interrogé à ce sujet par l’AFP.  

La veille, juste après l’annonce de l’arrestation d’un ancien joueur international originaire du Kurdistan iranien, Voria Ghafouri, pour « propagande » contre l’État, l’attaquant Mehdi Taremi avait assuré que lui et ses coéquipiers n’avaient subi « aucune pression » après leur refus de chanter l’hymne face à l’Angleterre.   

Un photographe de l’AFP a vu des supporters habillés aux couleurs de l’Iran se faire confisquer un drapeau « Femme Vie Liberté », le slogan des contestataires, juste avant le début du match.

Pour cette partie à ne pas perdre, le sélectionneur Carlos Queiroz avait décidé de jouer la carte de l’offensive avec la titularisation de la vedette iranienne Sardar Azmoun, qui s’était distinguée au début du mouvement par ses messages en faveur des manifestants.

Le rouge, un tournant

Blessé au mollet droit début octobre avec son club de Leverkusen en Ligue des champions, l’attaquant n’était entré qu’en fin de rencontre contre l’Angleterre, sans avoir d’impact. Cette fois, il a fait un bien fou à la « Team Melli » et aurait pu se muer en héros, mais son tir a heurté le poteau (51e) avant que Ali Gholizadeh ne trouve lui aussi, dans la foulée, les montants gallois sur une frappe enroulée.

Saïd Ezatollahi a aussi eu une énorme occasion repoussée de peu par le gardien gallois (73e). Mais c’est le carton rouge adressé au gardien Wayne Hennessey (86e), pour une sortie digne de Harald Schumacher devant Patrick Battiston lors du mémorable France-Allemagne en demi-finale du Mondial-82, qui a été le tournant du match.

En supériorité numérique, les Iraniens ont profité de la faiblesse criante du pays de Galles, tenu en échec d’entrée par les États-Unis (1-1), pour grappiller trois points qui pourraient faire la différence.  

« Merci à nos supporters, ils nous ont aidés tout le temps, a déclaré Taremi après la victoire. Nous avons besoin que ces supporters nous soutiennent comme toujours. Même ceux qui sont en Iran derrière leur télé, nous avons besoin de leur énergie positive. Nous avons un rêve et nous voulons donner une chance à ce rêve. »

Des heurts sont rapportés entre manifestants iraniens

L’ambiance était tendue lors du deuxième match de l’Iran à la Coupe du monde de soccer vendredi, tandis que des manifestants en faveur du gouvernement du pays harcelaient ceux qui le dénonçaient. La sécurité autour du stade a notamment saisi des drapeaux, des t-shirts et d’autres articles étant en faveur des manifestations qui ont secoué ces dernières semaines la République islamique.

Certains partisans qui souhaitaient pénétrer dans le stade Ahmad-ben-Ali en prévision du match contre le pays de Galles ont été interceptés par la sécurité, qui a confisqué des drapeaux de la période prérévolutionnaire perse. D’autres ont vu leurs drapeaux être déchirés en lambeaux par des partisans iraniens en faveur du gouvernement, qui ont aussi crié des insultes à ceux qui portaient des t-shirts sur lesquels était inscrit le slogan des manifestations dénonçant les agissements du gouvernement iranien : « Femme, Vie, Liberté ».

De plus, contrairement au premier match contre l’Angleterre, les joueurs iraniens ont tous chanté en chœur l’hymne national du pays — même si certains partisans assis dans le stade ont crié, sifflé et hué celui-ci.

L’équipe nationale est surveillée étroitement afin d’éviter qu’elle s’exprime, ou qu’elle pose des gestes, en faveur des manifestations qui sévissent depuis des semaines en Iran.

Des milliers de manifestants en Iran ont exprimé leur colère contre la répression politique et sociale découlant du port obligatoire du voile, ou hidjab, pour les femmes. Ces manifestations, qui ont éclaté à la suite du décès le 16 septembre de l’Iranienne âgée de 22 ans Mahsa Amini alors qu’elle était détenue par la police des mœurs du pays, n’ont cessé de prendre de l’ampleur et se sont transformées en appels à la chute du régime islamique en place. Au moins 419 personnes ont été tuées depuis le début des manifestations, selon les défenseurs des droits de la personne en Iran.

Isabel Debre et Ciarán Fahey, Associated Press