L’anecdote remonte à 2018. Mais elle représente parfaitement l’ambition et l’éthique de travail de Stephen Eustáquio, milieu de terrain du Canada.

Chaves, son club en première division portugaise à l’époque, venait de s’incliner 5-0 devant le puissant FC Porto. Après le match, sur le terrain, le Canado-Portugais serre la main de l’entraîneur adverse, Sergio Conceição. Il lui promet une chose : « Un jour, je vais jouer pour toi. » Une déclaration étonnante pour un joueur dont l’équipe venait de se faire rosser.

Quatre ans plus tard, la promesse a été tenue. Eustáquio, après un passage chez le Paços de Ferreira, a été prêté puis transféré aux Dragons de Porto en 2022, toujours menés par Conceição.

Il faut savoir qu’au Portugal, il y a trois clubs dominants année après année : le Benfica, le Sporting et le FC Porto. Chaves et Paços de Ferreira, « c’est à un niveau différent », inférieur, explique le frère de Stephen, Mauro Eustáquio. Ce dernier est aujourd’hui entraîneur adjoint au York United, en Première Ligue canadienne (PLC), après une carrière d’une dizaine d’années comme joueur professionnel.

Et cette ambition, la famille « en était témoin depuis des années », dit-il au bout du fil lors d’un entretien avec La Presse.

« On a assisté à ce match. Il est revenu à la maison avec nous. On mangeait tous ensemble autour de la table lorsqu’il nous a raconté l’anecdote. On riait, et lui-même en riait. Mais en même temps, ça prouvait qu’il avait confiance en ses moyens. »

Héros obscur

Stephen Eustáquio est maintenant un titulaire indiscutable du FC Porto. Il arrive à cette Coupe du monde fort de deux buts et six passes dans le championnat portugais en 2022, et de deux buts lors de ses deux derniers matchs en Ligue des champions, le plus haut niveau européen.

PHOTO GEERT VANDEN WIJNGAERT, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Stephen Eustáquio (au centre) a inscrit deux buts et six passes dans le championnat portugais en 2022.

Et après Alphonso Davies et Jonathan David, il est peut-être le joueur le plus important du Canada. Ses relances offensives au milieu en font un joueur clé, le moteur de la sélection nationale.

Si on le reconnaît facilement à sa moustache suave, il demeure somme toute moins célèbre que certains de ses pairs. Il n’y voit aucun problème, selon son frère, de trois ans son aîné.

« Son rôle au milieu ne lui permet pas de briller autant au chapitre des buts et des passes. Ce que je lui dis, c’est que tout ce qu’il fait, il doit bien le faire. Peu importe si c’est une passe de 5 ou de 30 verges. C’est lui qui fait fonctionner l’équipe.

« Je pense qu’il est reconnu à sa juste valeur, ajoute Mauro Eustáquio. Je suis d’accord avec le fait qu’il y a de plus grands noms dans l’équipe. Mais il n’y voit aucun problème, pourvu qu’il connaisse de bonnes performances et puisse aider l’équipe. »

« Ne jamais lâcher »

Stephen Eustáquio est né en 1996 à Leamington, en Ontario. Sa famille, alors constituée de Mauro et de ses deux parents, avait émigré trois ans auparavant de Nazaré, au Portugal.

Oui, Nazaré, là même où les surfeurs fous documentés dans la série 100—Foot Wave tentent de maîtriser la plus grande vague au monde. La famille y est d’ailleurs retournée en 2004, et y réside depuis.

Eustáquio a passé l’essentiel de sa carrière de joueur au Portugal. Mais il a quand même tenté sa chance en Amérique du Nord. Notamment en 2016, lors d’un essai avec le club-école du Sporting Kansas City. Le Québécois Marc Dos Santos y était l’entraîneur, à l’époque.

« Stephen, je l’ai vu grandir, raconte l’homme aussi d’origine portugaise à La Presse. […] Ils ne l’ont pas gardé [à SKC] parce qu’il prenait une place de joueur étranger. »

Dos Santos raconte ensuite son parcours.

« Après, il est allé en troisième division au Portugal. Il a été un des meilleurs milieux de terrain en troisième division. Il a monté en deuxième, et il y a été un des meilleurs milieux. Il est allé dans un petit club de première division [Chaves]. Pour ensuite monter dans un club un peu meilleur de la première division [Paços de Ferreira]. Jusqu’au FC Porto.

« C’est une des plus grandes preuves de travail, de dévouement, de l’importance de ne jamais abandonner qu’un joueur peut connaître. Il est un très bon exemple pour nos jeunes joueurs. Ne jamais lâcher, tout le temps travailler. »

Mauro, qui dit avoir « une relation très étroite » avec son frère, abonde dans le même sens.

« Il avait l’ambition, la volonté et, le plus important, la discipline. Il avait conscience de son talent, mais il a toujours pris des petits pas pour avancer. Il a toujours su ce sur quoi il devait travailler. Je crois que c’est sa plus grande qualité. »

Une affaire de famille

Le paternel a joué au soccer et au futsal professionnel. Leur mère, quant à elle, n’a même « jamais été une partisane », indique Mauro.

Jusqu’à ce que ses fils commencent leur carrière. Mauro Eustáquio a notamment joué sous Marc Dos Santos avec le Fury d’Ottawa, en NASL, au Portugal et dans deux clubs de PLC, avant de commencer sa carrière d’entraîneur il y a un an et demi.

« Ces jours-ci, elle pense qu’elle connaît tout du soccer ! Elle est notre plus grande fan. Elle va à tous nos matchs. »

Aime-t-elle une équipe en particulier ?

« Elle a toujours été une fan des clubs qui traitent bien ses enfants. Mes parents ont été des partisans du Fury, de Paços, et maintenant, tout le monde aime Porto et York. »

Stephen a aujourd’hui 25 ans. Il joue et s’impose chez un des plus grands clubs d’Europe. Son parcours en Coupe du monde est en voie de s’entamer. Quel est le plafond pour le milieu de terrain ?

« Il ne veut qu’apprécier le moment. […] C’est parfois difficile de se rendre là où il est. Mais je crois que c’est encore plus difficile de maintenir ce niveau. »