Il y a une petite révolution qui s’opère à Brossard.

Finies les mesquineries lancées aux arbitres — souvent mineurs — au cours d’un match de soccer amateur. Exit les gestes répréhensibles à l’endroit des officiels lors d’une joute de ballon rond. À l’Association de soccer de Brossard, pour récompenser le bon comportement envers les porteurs de sifflet, on sort maintenant... le carton blanc.

« C’est le carton de la paix », résume Rogério Crespo, directeur technique de l’AS Brossard.

« Ça humanise l’arbitre »

Le projet a commencé en mai. Quelques semaines après l’épisode aux abords du terrain d’un match au Club de soccer de Saint-Laurent, lorsque le grand-père d’un joueur s’en était pris physiquement à un arbitre de 14 ans.

Pour Rogério Crespo, c’en était trop. Il fallait « passer un message fort ».

Le carton blanc, « c’est une campagne de sensibilisation », explique le directeur technique.

Si parents, joueurs, membres du personnel et autres spectateurs présents autour de la pelouse font preuve de « respect » au cours du match, l’arbitre les en remercie en leur remettant un carton blanc à la fin de la partie. Aussi simple que cela.

Et ça fonctionne. L’appât du gain de la feuille blanche pousse les gens à y penser deux fois avant d’enguirlander les officiels. Tellement que Mathieu Chamberland, directeur général de la fédération Soccer Québec, aimerait éventuellement « faire un partage des bonnes pratiques ».

« Ça humanise l’arbitre beaucoup, se réjouit-il. Ça responsabilise les équipes, les parents. Les premiers effets sont très positifs. »

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

On ne tolère pas les comportements agressifs chez les joueurs... mais encore moins chez les parents qui assistent au match.

Rogério Crespo en a été le premier témoin.

« Je me rappelle un match au début, raconte-t-il au bout du fil. L’arbitre venait de siffler un troisième penalty contre notre équipe. Un de nos joueurs me demandait si c’était vraiment un penalty. J’ai dit : “Non, mais c’est une erreur. Tout le monde peut faire des erreurs. Tant que ce n’est pas tous les jours.” Et après ce penalty, ce joueur est allé voir ses coéquipiers en leur disant de faire attention, pour le carton blanc ! »

Oui, ça vaut pour les joueurs. Mais aussi, et surtout, pour les parents. Parlez-en à Chris Grabas, directeur de l’arbitrage au sein de l’AS Brossard.

Il précise que les abus sont souvent « plus verbaux que physiques », même s’il y a parfois des cas exceptionnels que l’on voit rebondir dans les médias. Et il donne quelques exemples de ce qu’il entend régulièrement.

“Hé, l’arbitre, t’es aveugle. T’as oublié tes lunettes. Mauvais call. T’es épouvantable. Reste chez toi.” À un moment donné, ça commence à te rentrer dans la tête.

Chris Grabas, directeur de l’arbitrage au sein de l’AS Brossard

M. Grabas, qui a plus de 25 ans d’expérience en arbitrage, estime qu’un parent n’a souvent pas la même retenue envers un arbitre qu’avec sa propre progéniture.

Mais ils peuvent « faire partie de la solution », croit Mathieu Chamberland, « avec les changements de comportement ».

« C’est un fléau »

Lors de son entretien avec La Presse au début de juillet, Rogério Crespo a indiqué que le carton blanc avait été remis à tous les matchs de l’AS Brossard depuis son instauration. Signe d’un succès certain.

Mais on reçoit un texto de sa part quelques jours plus tard : aujourd’hui, l’officielle n’a pas décerné le carton de la paix. Le club a publié une vidéo sur son compte Facebook pour en faire la mention. L’officielle y explique les raisons de sa décision.

« C’était un match assez compétitif et agressif, relate-t-elle. [...] Ça s’est bien passé, parce que je suis une arbitre avec de l’expérience. Mais un jeune arbitre aurait pu avoir des difficultés avec le match. »

Elle est là, l’essence du problème.

« C’est un fléau, estime Mathieu Chamberland. Et pas seulement au soccer. Dans le sport amateur en général. [...] Il faut montrer aux gens que l’arbitre qui est là, il est en processus d’apprentissage. La majorité des arbitres au Québec sont d’âge mineur. Ils sont jeunes. »

Ce qu’on considère comme acceptable sur un terrain de soccer, il y a plein d’autres endroits de la société où ce serait complètement inacceptable.

Mathieu Chamberland, président de la fédération Soccer Québec

Surtout que ces jeunes arbitres « ne gagnent vraiment pas beaucoup d’argent », rappelle Chris Grabas.

« Un match de soccer U7, l’arbitre gagne en moyenne une vingtaine de dollars. C’est donc 20 $ pour une heure de travail au cours de laquelle tu te fais insulter. Ensuite tu dois expulser des entraîneurs, des joueurs, écrire des rapports disciplinaires, aller au comité de discipline. Ça peut être des heures de travail, et il n’est pas rémunéré pour ça. »

En faire une « expérience agréable »

Et pas seulement ça. Il est bien documenté que le manque d’arbitres, tous sports confondus, se fait criant au Québec.

« C’est un enjeu de rétention, confirme Mathieu Chamberland. Si on regarde à la grandeur du Québec, il y a beaucoup de jeunes qui essaient l’arbitrage et qui finalement abandonnent. »

Le président de Soccer Québec a fourni les données à La Presse. En résumé : moins de 50 % des arbitres inscrits en 2021 sont de retour en 2022. Et c’est sans compter tous ceux perdus depuis le début de la pandémie.

« Les jeunes qui commencent, il faut rendre leur expérience la plus agréable possible, enchaîne M. Chamberland. Oui, ils viennent peut-être faire quelques dollars pour leur match, mais si on regarde la raison principale pour laquelle les gens arbitrent au soccer, c’est pour redonner à leur sport. C’est à l’extérieur. C’est leur passion. [...] Si on ne leur donne pas une expérience positive, c’est-à-dire avec un environnement toxique, sans encadrement, c’est là qu’on les perd. »

Selon Rogério Crespo, il y a un « non-sens » bien concret.

Nous, comme club, on doit former les arbitres. Et il y a des gens qui ne les respectent pas, qui leur parlent mal. Et après, ils veulent avoir de bons arbitres. Si vous voulez former des arbitres, vous devez les respecter.

Rogério Crespo, directeur technique de l’AS Brossard

Crespo « s’énerve » lorsqu’il se met à penser aux entraîneurs eux-mêmes qui s’aventurent dans la méchanceté, « tellement que l’arbitre de 14, 15 ans commence à pleurer sur le terrain ».

« On doit faire quelque chose. On ne peut pas seulement parler, on doit faire des actions. »

Son carton blanc vise donc à « changer les mentalités ». Il aimerait que l’idée fasse son chemin jusqu’à la fédération, en passant par d’autres clubs. Et, pourquoi pas, vers d’autres sports amateurs.

« J’ai déjà vu quelques parents dans les gradins dire : “Hé, attention, carton blanc !” », illustre M. Crespo.

« Est-ce que le carton blanc va régler le problème ? Non, jamais. [...] Mais c’est clair que ça va aider. »