Le parcours de l’ex-défenseur étoile de l’Impact Gabriel Gervais, aujourd’hui associé chez Deloitte, est unique. Retour en arrière, de son enfance en Amérique du Sud à la blessure inquiétante qui a mis un terme à sa carrière en passant par les amitiés qu’il a nouées au sein du club.

« Gabriel Gervais a appris à jouer au football au Pérou. Né de mère péruvienne, Gabriel est le fils d’un pilote de brousse québécois à l’emploi de l’explorateur Jacques Cousteau à l’époque. »

Cet extrait est tiré d’une chronique de Ronald King, jadis chroniqueur à La Presse, publiée au début de janvier 2009. La journée précédente, le défenseur central avait annoncé sa retraite, à 32 ans.

Une enfance passée en partie au Pérou. Un père pilote de brousse pour Jacques Cousteau. Pas banal. Une jeunesse singulière qui forgera évidemment la suite, tout aussi hors du commun.

« Ça a bâti qui je suis, c’est certain. Juste de vivre tout le temps en communauté. Les Latino-Américains, c’est comme ça, c’est beaucoup de fêtes ! lance Gervais. Beaucoup de barbecues, de rassemblements de famille. »

Arrivé au Pérou à 4 ans, il y vivra jusqu’à ses 10 ans, ou presque.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Gabriel Gervais

J’ai adoré ça. Toute la famille de ma mère était à Lima. J’étais toujours avec eux, j’ai de très beaux souvenirs, j’ai pu apprendre l’espagnol. Et apprendre la touche sur le ballon aussi.

Gabriel Gervais

Alors que le Pérou se prépare à disputer le match pour la troisième place de la Copa America – ce vendredi soir, 20 h – Gervais se rappelle la Coupe du monde de 1982, en Espagne, à laquelle avait participé le Pérou.

Ça n’allait pas mal pour les Péruviens après des nuls contre le Cameroun et l’Italie. Mais a suivi une dégelée de 5-1 contre la Pologne. Le seul match de toute la première phase du groupe A qui ne s’est pas soldé par une nulle.

Gervais se souvient également d’un match de qualifications pour la Coupe du monde de 1986 entre le Pérou et l’Argentine. C’était l’un ou l’autre. Menés par Maradona, les Argentins l’avaient emporté.

Des moments qui l’ont « vraiment marqué » et autour desquels son amour du soccer a pris forme.

« Mes cousins jouaient au soccer, j’ai appris avec eux. Ça m’a aidé parce qu’ils étaient de trois à cinq, six ans plus vieux que moi. On ne jouait qu’à ça à longueur d’année. À l’école, pour s’amuser, à la plage. N’importe où, c’était le foot. »

À cette époque, son père prenait part à l’expédition de l’Amazonie de Cousteau. La famille avait également fait un séjour au Guatemala.

Mais comment en arrive-t-on à devenir pilote de brousse pour le célèbre explorateur français ?

« Ça, ce serait une autre entrevue ! », répond l’ex-défenseur.

À un moment donné, le paternel a eu l’occasion d’apprendre à piloter et d’aller ouvrir des pistes en Papouasie–Nouvelle-Guinée.

« Et il est parti. C’était aussi simple que ça. Il a tout le temps eu la passion de l’aventure, il l’a fait pendant toute sa vie. Il a été missionnaire pendant un certain temps, après il a travaillé pour Wings of Hope, pour Jacques Cousteau, puis pour Aviation sans frontières. Et il a fini sa carrière en Afrique, au Zaïre », raconte-t-il.

En 1985, Gervais a regagné Montréal. Très près de la grande famille de sa mère, elle lui a beaucoup manqué.

Mais le retour au Québec s’est somme toute bien déroulé.

Il est retourné au Pérou avec sa conjointe en 2005, il y a donc plus de 15 ans, et compte un jour s’y rendre avec ses fils, actuellement âgés de 11 et 8 ans.

« Quand ils vont être assez grands, on va aller faire Machu Picchu, se promener un peu dans les montagnes. »

Éternel étudiant

En rentrant au Québec, Gabriel Gervais s’est mis au hockey, bien content de voir de la neige. Mais le soccer est toujours demeuré en tête de ses intérêts sportifs.

Après avoir entamé son cheminement universitaire en génie mécanique à McGill, il reçoit une bourse pour poursuivre ses études et jouer au soccer à Syracuse, tout comme Patrice Bernier.

Une maîtrise plus tard, il est repêché par les Rhinos de Rochester, en première division des USL (United Soccer Leagues), puis est échangé à l’Impact après deux saisons.

Il s’alignera avec Montréal de 2002 à 2008. Un passage ponctué, notamment, d’un championnat de la ligue en 2004, de championnats du calendrier « régulier » les deux saisons suivantes, de trois titres de défenseur de l’année en USL et de six nominations consécutives sur sa première équipe d’étoiles.

Le palmarès est impressionnant en soi, mais ce qui l’est peut-être plus encore, c’est qu’il a accompli tout cela… en travaillant. Le matin, il s’entraînait. Et l’après-midi, il travaillait pour Saputo dans la gestion de projets en usine.

« Je voulais bâtir une certaine expérience en industrie parce que je préparais toujours mon après-carrière, explique Gervais. J’ai appris énormément. »

Il quittera l’entreprise en 2007 pour suivre un MBA, avec concentration en finance, à McGill.

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Gabriel Gervais, ancien joueur de l’Impact de Montréal, aujourd’hui ingénieur chez Deloitte

Après cinq ans [chez Saputo], en éternel étudiant, j’ai voulu apprendre sur le monde des affaires de façon plus vaste.

Gabriel Gervais

Il a acquis ce diplôme en 2009, puis est entré chez Deloitte, où il travaille au service de consultation auprès d’entreprises, en ce qui a trait aux chaînes d’approvisionnement et aux opérations manufacturières, notamment. Pour mettre en place des usines intelligentes, entre autres.

Une fin prématurée

En 2018, Gabriel Gervais a été le premier immortalisé au mur de la renommée du stade Saputo, aux côtés de Nevio Pizzolitto. Neuf ans après une carrière qui avait pris fin abruptement en raison d’un problème de santé important.

En 2008, le défenseur avait subi quelques blessures après lesquelles il tentait de revenir en poussant au maximum.

« Puis, tout d’un coup, j’ai eu un malaise à un mollet, mais ce n’était pas comme un muscle étiré. On pouvait à peine le toucher, relate-t-il. Un médecin m’a dit qu’on ferait un ultrason, juste au cas. Et ils ont détecté un caillot de sang. »

Le médecin lui remet alors une feuille et lui dit de se rendre sur-le-champ à l’hôpital St. Mary’s, où il commencera immédiatement des traitements par injections. Un traitement au Coumadin qui nécessitera un suivi constant et des ajustements de dose.

« Ça m’avait frappé parce que j’allais avoir 33 ans. Je n’espérais jamais jouer jusqu’à 40 ans, mais mon but ultime – à part aider l’Impact à gagner des championnats –, c’était de peut-être participer à une Coupe du monde », souligne Gervais.

En 2006, la tentative avait été infructueuse. Il espérait pouvoir tenter sa chance de nouveau en 2010. Mais cet imprévu médical en 2008 aura mis un terme à ses aspirations.

Sur le coup, il a pensé continuer à jouer malgré tout. Puis, entouré de gens beaucoup plus âgés que lui lors de ses traitements à l’hôpital Royal Victoria, il s’est remis en doute. Une réflexion peut-être alimentée en partie par une autre patiente.

« Une gentille dame m’a demandé : “Mais qu’est-ce que tu fais ici ?” »

C’était une très bonne question, répond-il.

J’aurais aimé accompagner l’équipe jusqu’à la MLS [en 2012]. Mais, potentiellement, si j’avais eu un autre caillot, ç’aurait été des médicaments pour la vie.

Gabriel Gervais

« Si je regarde le côté positif, je ne suis jamais passé sous le bistouri. J’ai des coéquipiers qui ont eu des déchirures aux genoux, aux abdominaux ou autres. Moi, je n’ai pas de répercussions, je peux faire tous les sports que je veux aujourd’hui. Dans le fond, je m’estime pas mal chanceux. »

Il joue encore au soccer. Pour le plaisir, avec ses fils.

« Je les considère comme des frères »

Après sa carrière, Gervais a été analyste pour Radio-Canada, une expérience et un groupe qu’il a adorés.

Tout comme son club, précédemment.

« Je garde contact avec plusieurs, Patrick Leduc, Patrice Bernier, Nevio Pizzolitto. Des fois, ça fait longtemps qu’on s’est vus, on se voit dans un évènement et c’est comme si on se voyait tout le temps. Et même les anciens joueurs, Nick De Santis, Rudy Doliscat, John Limniatis, on ne s’est pas vus depuis des années et on se parle comme si on se voyait chaque jour, comme dans le passé. Ç’a été une grande partie de ma vie. Je les considère comme des frères, ils font partie de ma famille. »

PHOOT MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

Nick De Santis et Gabriel Gervais (à droite) célèbrent le but de Ze Roberto (au centre).

Il enchaîne avec Eddie Sebrango, « un grand ami ».

« Quand on se voit, c’est très spécial parce qu’on a vécu de belles choses ensemble », affirme-t-il.

Ces retrouvailles ne se passent pas dans le cadre de rencontres planifiées.

« Mais on devrait faire des réunions d’équipe. Ça fait tellement de bien de voir les anciens coéquipiers. »

Gervais suit toujours les activités du désormais CF Montréal. Il en profite pour regarder son ami Patrice Bernier sur les ondes de TVA Sports.

Le défenseur à la retraite se dit heureux de voir que l’équipe va bien et qu’elle compte nombre de Québécois.

« Je les regarde d’un œil pas trop critique, je veux qu’ils gagnent, dit-il. Et je veux que mon jeune fils souhaite peut-être porter le maillot un jour. »