Le CF Montréal compte faire bénéficier les filles de son académie. Les premiers jalons seront posés dès 2022, indique son président Kevin Gilmore. La nature exacte de cette intégration n’est pas encore établie, dit-il. Mais l’engagement est ferme.

Sans y être invité, Kevin Gilmore avait lui-même entrouvert la porte, en janvier, à l’occasion de la présentation de la nouvelle identité du club.

« On a une académie qui se doit de devenir aussi ouverte aux jeunes filles », avait-il répondu à un collègue de Radio-Canada qui prenait la balle au bond.

En entrevue avec La Presse, plus tard ce jour-là, il avait eu à ce sujet la réflexion suivante :

« On doit se dire qu’on a une académie pour les jeunes garçons qui sont inspirés par notre club et qui aspirent à devenir des joueurs de soccer, ce qui peut mener à une éducation dans une grande université ou même à un contrat professionnel. Pourquoi est-ce qu’on ne donne pas la même opportunité aux jeunes filles du Québec ? »

Puis, il avait refusé de s’avancer davantage.

Mais devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, à la fin du mois de mars, il a fait un pas de plus en évoquant, toujours de son propre chef, une académie qui accueillerait des garçons et des filles de l’ensemble du Québec, voire de l’est du Canada.

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Kevin Gilmore, président du CF Montréal

Nous avons relancé Kevin Gilmore à ce propos, après en avoir discuté brièvement avec Rudy Doliscat au Centre national de haute performance (CNHP), puis avec Patrick Leduc, directeur de l’académie.

L’entretien avec le président du CFM a eu lieu lundi dernier. Le dossier, mentionne-t-il d’abord, « avance ». Mais il va plus loin.

« Environ 85 % des garçons de l’académie viennent de Montréal, observe-t-il. Il y a des jeunes joueurs de soccer à travers la province, même à travers l’est du Canada. Donc, d’après moi, et d’après la famille [Saputo] aussi, on se doit vraiment de regarder de façon plus large. Et non seulement avec les garçons, mais avec les jeunes filles. Le sport féminin prend finalement – et c’est le temps – beaucoup plus de place dans l’intérêt des fans. »

Est-il affirmatif à 100 % que le CF Montréal s’impliquera auprès des filles ? « Oui. »

Quand ?

La pandémie a changé la donne pour tout le monde. On va être capables de mettre les choses en place quand la vie sera de retour à la normale. Donc, je dirais que, idéalement, c’est quelque chose qui peut débuter en 2022.

Kevin Gilmore, président du CF Montréal

Reste le comment, la forme. Le rôle que voudrait jouer l’organisation. Parce qu’il est encore tôt, ce bout-là est moins clair, si ce n’est que ça passera nécessairement par l’académie.

« Je pense que, comme toute autre chose, ça va venir en phases. Ce n’est pas comme si on veut aller de 0 à 60 d’un jour à l’autre, illustre Kevin Gilmore. Avec l’académie, ça a pris du temps à se rendre où on est aujourd’hui et ça va prendre du temps à se rendre à la prochaine étape au niveau de sa portée. »

On adoptera donc l’approche du pas à pas. Les premiers – à préciser – l’an prochain et le reste suivra.

« Ce n’est pas parce qu’on l’a fait avec les garçons qu’on peut sauter quelques étapes et se dire que ça va être facile, relève Gilmore. On regarde pour faire plusieurs choses avec l’académie qui vont augmenter son ampleur. »

On a tendance à l’oublier, mais l’académie du CF Montréal – « une grande source de fierté » pour le club et les propriétaires, souligne d’entrée le président – est un programme sport-études.

En 2019-2020, tous ses finissants du secondaire ont été diplômés, rapporte son directeur Patrick Leduc, qui espère obtenir le même résultat de sa cohorte actuelle.

En ce moment, elle compte 79 joueurs, en excluant les quatre qui ont signé leur premier contrat professionnel en décembre dernier.

La cohabitation avec le CNHP

Dans les bureaux de Soccer Québec, on dit aimer cette tangente que prend la collaboration qui existe déjà avec le club pro. Lorsqu’ils sont à la même table, le développement du soccer féminin fait partie des sujets récurrents, fait savoir Mathieu Chamberland, directeur général de l’organisme.

Oui, il y a des discussions en ce moment et, pour nous, qu’une structure professionnelle s’intéresse au développement du soccer féminin, on voit ça d’un très bon œil. C’est juste de savoir comment on concrétise ça et quel rôle ils veulent jouer dans ce développement-là au Québec, mais on est tout ouïe à les aider là-dedans.

Mathieu Chamberland, directeur général de Soccer Québec

Les filles représentent 40 % des inscriptions totales chez Soccer Québec. Ce n’est pas marginal.

Cela dit, en cours de discussion, le DG utilise un mot-clé : dédoublement.

« On regarde pour que ce soit fait de façon efficace et qu’il n’y ait pas de dédoublement. Mais, aussi, les projets de développement du soccer féminin peuvent être assez larges », signale-t-il.

Soit. N’empêche que le risque de se marcher un peu sur les orteils n’est pas inexistant.

À compter de septembre, le CNHP – sous l’égide de Soccer Québec – n’entraînera plus de garçons au Centre sportif Bois-de-Boulogne de Laval. En partie pour cesser un certain dédoublement, justement, avec l’académie du CF Montréal. Il conservera néanmoins un programme masculin, mais ce dernier a été repensé.

« Si on veut travailler efficacement, l’idée n’est pas de diviser ou de diluer ce qui se fait, mais plutôt, au moins dans un premier temps, d’être complémentaires, de se greffer. En gros, ce serait la vision du projet », nous avait confié Patrick Leduc en janvier, deux jours après la conférence de presse sur le changement d’image de l’organisation.

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Patrick Leduc, directeur de l’académie du CF Montréal

Puis, en d’autres mots, il y a une dizaine de jours, le lendemain de notre visite du CNHP : « On ne veut pas réinventer la roue. Il y a des programmes en place – le CNHP en est un – qui ont leur raison d’être. Si on peut bonifier ce qui se fait, ajouter notre expertise, c’est là qu’on devient gagnants. »

« En discutant avec Soccer Québec, on se rend compte qu’il y a un besoin au niveau des programmes de haute performance disponibles pour les filles. Donc, on s’est dit qu’on se doit d’explorer ça. Mais on ne va pas faire quelque chose qui nuise à leurs efforts », assure quant à lui Kevin Gilmore.

Lors de notre passage au Centre sportif Bois-de-Boulogne, Rudy Doliscat, qui dirige le CNHP, a eu cette observation lorsqu’on l’a invité à se prononcer sur la perspective que l’implication du CFM s’étende aux filles.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Rudy Doliscat, dirigeant du Centre national
de haute performance (CNHP)

« Ce que je sais, c’est que partout on incite les structures pro à investir dans le foot féminin. J’ose croire que même ici, que ce soit la MLS ou Soccer Canada, ils les poussent aussi. Donc, si un jour quelqu’un devait se pointer ici ou qu’on devait voir un communiqué qui dit qu’à partir de telle date, le CFM a une équipe de filles [à l’académie], ça ne me surprendrait absolument pas. Je pense que c’est l’époque dans laquelle on vit », analyse l’ex-défenseur de l’Impact.

« Ça, c’est à déterminer, la phase où ça prendrait peut-être la forme d’une équipe de filles [à l’académie], rétorque le président du CFM à cette hypothèse. Ce sont des choses qu’on doit finaliser, quelle forme ça va d’abord prendre en 2022. »

Ces prochains mois, l’arrimage entre les structures, la définition du rôle de chacun, seront assurément un défi.

Comment s’articuleront les wagons ? Certains seront-ils confinés à la gare ?

Bien que les deux contextes diffèrent, l’expérience qui commencera en septembre avec les garçons pourrait servir de baromètre.

PHOTO RICK BROWMER, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La Québécoise Évelyne Viens (à gauche), du NJ/NY Gotham FC, équipe de la National Women’s Soccer League (NWSL), établie aux Étatsi-Unis

À quand une ligue canadienne digne de ce nom ?

La partie est loin d’être gagnée. Et, en ce moment, la simple évocation d’une éventuelle parité avec les hommes demeure farfelue. Mais, ces dernières années, les perspectives professionnelles se sont tout de même améliorées pour les joueuses.

« Il n’y a rien qui est assez vite à notre goût dans la société d’aujourd’hui. Mais je pense que ça s’en va dans la bonne direction », estime Julie Casselman, ex-joueuse et coordonnatrice du volet féminin à Soccer Québec.

« C’est ce qui a vraiment changé dans le soccer féminin, la possibilité de faire une carrière professionnelle. Les championnats voient le jour presque au quotidien, observe pour sa part Rudy Doliscat, responsable du Centre national de haute performance (CNHP). Il y a un championnat en France, en Angleterre, en Espagne. Presque tous les pays européens en ont un. Les pays sud-américains ont des championnats aussi, le Mexique en a un, les États-Unis en ont un. »

Certains d’entre eux existent depuis nombre d’années, cela dit. Mais ils gagnent petit à petit en notoriété, en visibilité et en importance. N’empêche qu’il reste beaucoup de boulot à abattre de ce côté, notamment au Canada.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE SOCCER QUÉBEC

Julie Casselman, coordonnatrice du volet féminin à Soccer Québec

« À l’académie, on développe avec une mission d’avoir des joueurs qui se joindraient à une équipe pro. Je pense que là où le projet féminin a encore du travail à faire et des décisions à prendre, c’est qu’il doit y avoir une finalité, un objectif », fait remarquer Patrick Leduc, directeur de l’académie du CF Montréal.

Il y a l’équipe nationale, où le Québec est toutefois peu représenté. Mais on pense surtout ici à un circuit professionnel majeur au Canada.

Au niveau canadien, c’est sûr que pour le moment, il n’y a pas grand-chose pour les filles. Elles doivent encore s’expatrier pour pouvoir rêver jouer au niveau international ou pro.

Julie Casselman, coordonatrice du volet féminin à Soccer Québec

Alors, quand verra-t-on poindre un projet de Première Ligue Canadienne (CPL) féminine ?

« Ce qui manque, ce sont des investisseurs qui décident de mettre l’argent. Ça a pris du temps au niveau masculin pour avoir une ligue canadienne, je ne m’attends pas à ce que ça arrive demain au niveau des filles », modère la coordonnatrice.

Et elle enchaîne avec un point intéressant – et non négligeable –, indissociable de la géographie canadienne.

« Le défi, c’est que ça coûte extrêmement cher d’avoir une ligue au Canada parce que les grandes villes sont loin les unes des autres. Mais la CPL semble avoir trouvé quelque chose qui a de l’allure, sinon elle ne serait pas de retour pour une troisième année. Ils semblent avoir trouvé une recette qui fonctionne. Est-ce que c’est quelque chose à copier du côté des filles ? Je me répète, mais ça va prendre des gens qui sont prêts à investir là-dedans. »

La recette se tient pour l’instant et il semble y avoir de l’appétit. Mais il est encore un peu tôt pour affirmer qu’elle se fraiera un chemin jusque dans les livres. La CPL a ouvert les siens, d’ailleurs, il y a quelques mois. On ne prévoit pas de profits avant au moins quelques années, a affirmé le commissaire David Clanachan. Bien sûr, il ne faut pas retirer l’impact de la pandémie de l’équation.

PHOTO NICK POTTS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Évelyne Viens (à droite), pourchasse une adversaire lors d’un match joué pas l’équipe du Canada en Grande-Bretagne en avril dernier.

Mais comme sa collègue, Rudy Doliscat prêche pour une éventuelle ligue canadienne.

« C’est ce qui serait peut-être le plus intéressant pour nos joueuses. Quand ? Je ne sais pas, mais c’est ce qu’on souhaite et qu’on espérerait voir assez rapidement. »

La patience sera sans doute de mise. Et la courbe qu’empruntera le circuit masculin ces prochaines années fera fort probablement partie des facteurs.

Chose certaine, inutile de cogner à la porte du CF Montréal à court terme avec cette idée en tête.

« Je dirais qu’actuellement, le but, c’est d’étendre l’académie aux jeunes filles, réitère son président Kevin Gilmore. Une équipe professionnelle à Montréal, ce n’est pas dans notre ligne de mire. C’est quelque chose qu’on va certainement regarder, si ça se développe d’une façon ou d’une autre. Mais actuellement, notre but, ce n’est pas cela du tout. »

L’engouement des stars

Au sud de la frontière, la National Women’s Soccer League (NWSL) – qui compte 10 formations – fait de plus en plus jaser, là-bas comme chez nous.

Pour ce qui s’y passe hors du terrain. Naomi Osaka, Serena Williams et Alex Ovechkin, notamment, ont investi dans l’une des formations, actuelle ou future.

Et sur le terrain. Les Québécoises Évelyne Viens et Bianca St-Georges y jouent.

PHOTO PHELAN M. EBENHACK, ASSOCIATED PRESS

Gabrielle Carle (à droite) dans l’uniforme de l’équipe nationale canadienne, en février dernier

Il n’est d’ailleurs pas exclu que Gabrielle Carle se joigne à elles.

« L’Europe m’intéresse énormément. L’Angleterre, la France, l’Espagne. Mais je ne dis pas non à la NWSL. J’attends de voir mes options, a révélé en entrevue l’internationale canadienne, il y a une douzaine de jours. Je suis en train de décider si je vais entrer dans le repêchage ou non. Puis, on verra de là, mais je ne sais vraiment pas encore. »

La défenseure terminera son séjour à l’Université Florida State en décembre.

D’ailleurs, pourquoi pas une équipe de la NWSL à Montréal ? Comme d’autres, Rudy Doliscat soulève également cette option.

« Il est temps que le Canada commence à avoir des franchises de la NWSL », a récemment lancé Évelyne Viens, en entrevue avec La Presse.

Au cours d’un entretien avec la commissaire Lisa Baird, Radio-Canada Sports a abordé la question d’une éventuelle place du Canada dans la ligue.

« La présentation de nouveaux marchés aux États-Unis s’est traduite par des questions et des demandes de la part d’intervenants canadiens. Le Canada serait un formidable marché pour nous », a-t-elle entre autres répondu.

Rien de bien concret. Mais à suivre tout de même.