Le Centre national de haute performance (CNHP), qui entraîne une très grande proportion de la jeune élite du soccer, n’accueillera que des filles à compter de septembre. Mais il n’abandonne pas les garçons pour autant. Explications d’un double changement de cap.

Dans le haut de la liste des athlètes identifiés 2020-2021 du CNHP, on remarque beaucoup de noms connus. Et parmi les suivants, bon nombre ne tarderont pas à l’être.

En ce moment, le Centre entraîne 49 filles et 23 garçons, indique Rudy Doliscat, adjoint technique aux programmes. Concrètement, au quotidien, l’ex-défenseur de l’Impact pilote les activités du CNHP.

La cohorte de garçons de cette année sera sa dernière. Au retour de la période estivale, seules les filles se présenteront chaque après-midi au Centre sportif Bois-de-Boulogne, à Laval, où se tiennent les entraînements.

Pourquoi ? Afin de mettre un terme à ce qui ressemblait à un doublon avec l’académie du CF Montréal ?

« Dans un sens, oui, débute M. Doliscat. Quoique je reste persuadé qu’il y a plus que 20 bons joueurs au Québec chez les U14, U15, U17. »

Cela dit, l’approche changera, mais le CNHP poursuivra son travail auprès des garçons. Et ce nouveau modèle aura ses avantages, ajoute l’ex-joueur. Il offrira davantage de souplesse, permettra d’« ouvrir un peu plus le programme ».

Pour éviter d’entrer trop profondément dans des explications un peu lourdes, disons simplement que cette réorganisation du côté masculin sera donc moins contraignante. Actuellement, pour différentes raisons, des jeunes devaient parfois être ignorés, pour un an, du moins.

« Dans la nouvelle formule, on a beaucoup plus de latitude. Il va y avoir des activités à certains moments où on va pouvoir récupérer tous les jeunes qui nous intéressent, travailler avec eux sur l’identité, sur ce qui est nécessaire pour pouvoir accéder au plus haut niveau », explique Rudy Doliscat.

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Rudy Doliscat

C’est un changement de mode de fonctionnement. Mais il y aura quand même un programme qui a pour but d’identifier les plus beaux potentiels masculins et de les aider à cheminer.

— Rudy Doliscat, adjoint technique aux programmes du CNHP

Une voie qui pourrait devenir, pour certains d’entre eux, une porte d’entrée vers l’académie du CF Montréal et le programme national de jeunes.

Voilà pour les garçons.

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Des journées chargées

Le CNHP fait partie intégrante de Soccer Québec. Il utilise depuis 2006 la structure sport-études – « pour encadrer ce qui, d’après nous, est un groupe de joueurs à fort potentiel », indique Rudy Doliscat – et travaille avec 13 écoles.

Les élèves de première et deuxième secondaire, considérés comme trop jeunes, sont laissés dans leur club respectif, qu’ils habitent la région métropolitaine ou pas.

Au CNHP, on trouve donc des jeunes de la troisième à la cinquième secondaire qui ont été recrutés par le personnel. Certains, parce qu’ils proviennent des régions, doivent vivre en famille d’accueil pour profiter de l’encadrement de Doliscat et de son groupe.

En résumé, les élèves-athlètes sont à l’école le matin – sur place ou à distance, avec le contexte que l’on connaît – et au CNHP l’après-midi, à compter de 13 h 30.

Au programme : une séance d’entraînement de 14 h à 15 h 30 ou de 15 h 30 à 17 h. Le Centre sportif Bois-de-Boulogne compte deux terrains intérieurs et quatre extérieurs (deux naturels et deux synthétiques).

Avant ou après, c’est période d’études, dans une salle prévue à cette fin.

Mais, généralement, les jeunes sautent sur le terrain en groupe à 14 h. Puis, un bloc d’entraînement complémentaire peut suivre. Un entraînement musculaire, par exemple, chez RTP Performance, dont l’une des trois cliniques privées se trouve dans le centre sportif. Ou un atelier de préparation mentale.

« Il y a un tas de trucs qu’on trouve autour de l’entraînement de haut niveau qui pourraient faire partie de ce deuxième bloc d’entraînement. Mais, présentement, à cause de la COVID, une activité comme la préparation mentale, on ne la ferait pas sur les lieux. On la ferait par Zoom », précise Rudy Doliscat.

À 17 h, retour à la maison. Souvent, les jeunes auront en soirée une autre séance d’entraînement avec leur club respectif. Un rythme plutôt infernal.

Chez les filles, c’est justement ce qui changera. Après l’été, celles qui sont au CNHP s’y concentreront exclusivement. Pour elles, fini les clubs.

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« C’est peut-être un peu trop »

Contrairement aux garçons, la base du fonctionnement actuel au CNHP sera préservée du côté féminin. Mais le dédoublement avec le club de leur localité cessera.

« Le plus gros avantage que je vois, c’est la gestion de l’athlète sur le plan physique. Présentement, elles partent du CNHP, soupent rapidement, vont en club, reviennent à la maison tard. Si elles ont des devoirs, elles doivent les faire. Et elles n’ont pas un sommeil optimal », souligne Julie Casselman, coordonnatrice du soccer féminin à Soccer Québec.

Maintenant, elles vont finir ici à 17 h et tout ce qu’elles auront à faire, c’est d’être des ados normales. Sur la gestion de l’horaire, ce sera beaucoup mieux. Et aussi sur la gestion de la fatigue de l’athlète, des blessures. Donc, ça va nous permettre de peut-être pousser un peu plus l’intensité et la charge, sachant qu’elles auront juste un entraînement par jour et non deux.

Julie Casselman, coordonnatrice du soccer féminin à Soccer Québec

Dès septembre, les jeunes filles du CNHP seront ainsi essentiellement ensemble.

« On peut penser que ça fait beaucoup en ce moment et certaines mesures nous démontrent que c’est peut-être un peu trop. Qu’il y a une accumulation de fatigue, un train de vie qui n’est pas nécessairement bon pour une jeune de ces âges-là », ajoute la coordonnatrice.

Chose certaine, le CNHP demeurera une plateforme centrale du développement de la jeune élite du soccer québécois. On échappe la formulation « principale plateforme ». Rudy Doliscat n’est pas à l’aise avec le terme.

« Chaque club fait du développement. Nous, ce qu’on essaie de faire, c’est identifier ceux et celles qui ont peut-être un petit quelque chose en plus présentement et mettre autour d’eux les ressources qui vont leur permettre d’exploiter ces qualités-là au maximum, note-t-il. Mais quelqu’un qui a des moyens, qui est à la maison, qui engage un entraîneur privé, etc., pourrait éventuellement continuer de progresser et atteindre le niveau de l’équipe nationale. »

« Hors clubs, ce qu’on peut se permettre de faire, c’est d’être plus complets, d’avoir plus d’expérience, peut-être, en tant qu’entraîneurs. Et plus de ressources financières et structurelles pour encadrer un jeune. »

Bref, comme dans tout domaine, il n’y a pas qu’une voie. Évelyne Viens en est un bel exemple, elle qui n’a ni été membre des équipes du Québec ni été formée au CNHP. Ce qui ne l’empêche pas de jouer aujourd’hui dans la National Women’s Soccer League (NWSL) et d’être de l’effectif national canadien.

Et il ne faudrait pas oublier que les régions ont également des programmes de sport-études.

Mais pour Gabrielle Carle, défenseure avec la formation nationale, il n’y a aucun doute. Ses cinq années (2012 à 2017) au Centre national de haute performance ont eu un impact majeur sur sa progression.

PHOTO FOURNIE PAR L’ASSOCIATION CANADIENNE DE SOCCER

Gabrielle Carle

C’est simple, si je n’avais pas été au CNHP, je ne me serais jamais rendue en équipe nationale.

Gabrielle Carle, défenseure de l’équipe canadienne

« J’ai appris énormément des coachs là-bas, surtout de Rudy. Donc, ça a eu une très grande influence sur ma carrière », a-t-elle affirmé en entretien téléphonique, à la veille de son match de demi-finale nationale de la NCAA avec les Seminoles de l’Université Florida State.

Lundi dernier, en finale, sa formation s’est inclinée en tirs de barrage contre Santa Clara, avec qui jouait Marika Guay. Elle aussi issue du CNHP.

Le Vieux Continent en tête

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Mélina Descary et Audrey Chelsie François

Comme les autres élues du CNHP, Mélina Descary et Audrey Chelsie François n’ont pas l’agenda typique d’une adolescente.

Gérer à la fois les études et une implication soutenue dans le soccer à un haut niveau n’est sans doute pas simple. Elles hochent la tête.

« Ça demande beaucoup de discipline, honnêtement. De s’assurer de mettre les priorités à la bonne place et d’assumer ses responsabilités. Une fois que tu es capable de faire ça, c’est facile de gérer, avance Audrey, qui étudie à l’école Saint-Gabriel. Mais il faut vraiment avoir la discipline. »

« Sortir le samedi soir, ça ne fait pas partie de notre mode de vie », enchaîne Mélina.

On émet un doute, pour la forme…

« Non, vraiment ! La fin de semaine, c’est les études dans le tapis, je travaille, il faut que je me couche pour être en forme. »

« C’est un mode de vie, littéralement », assure Audrey.

Un mode de vie. À 17 ans.

Si ce n’est une année d’arrêt au tournant de l’adolescence, Mélina, milieu de terrain, pratique le soccer depuis ses 4 ans, dit-elle. Audrey a commencé à 7 ans.

Elles sont au CNHP depuis trois ans, où elles aiment notamment le suivi continuel et très serré des entraîneurs. Sur le terrain, ils sont de quatre à six coachs avec les filles.

Après son séjour à l’école de Mortagne, Mélina prendra à l’automne le chemin du collège Champlain, puis, en août 2022, elle partira pour l’Université Florida State où elle rejoindra les Seminoles, l’une des meilleures organisations de division 1 de la NCAA. Un saut rendu possible grâce à Rudy Doliscat et à Sports Ambitions, qui aide les jeunes athlètes d’ici à se tailler une place dans les universités américaines.

Audrey, attaquante, affirme être aussi en contact avec des universités au sud de la frontière, bien que rien ne soit confirmé pour le moment.

« Un next level »

Cet entretien a interrompu la période d’études des deux joueuses, quelques instants avant qu’elles prennent la direction de l’un des terrains extérieurs du Centre sportif Bois-de-Boulogne.

Au terme de leur parcours universitaire, toutes deux souhaitent ardemment entreprendre une carrière professionnelle. Une éventualité grandissante alors que les ligues féminines se sont multipliées au fil des ans (à lire demain).

Près de nous, la NWSL compte 10 clubs, tous aux États-Unis. Les Québécoises Évelyne Viens et Bianca St-Georges en font partie.

Mais ce qui fait d’abord rêver les deux jeunes athlètes du CNHP, c’est l’Europe. Leur expression le démontre sans équivoque.

L’Angleterre, la France et l’Espagne présentent les circuits d’outre-mer les plus souvent cités.

Depuis que je suis jeune, je veux aller chez les pros. J’ai toujours eu en tête de jouer pour une équipe en Europe ou aux États-Unis. Le salaire n’est pas toujours évident, mais je ne joue pas pour l’argent. Je joue par passion. Donc, c’est sûr que si j’ai la possibilité de jouer en Europe, je vais le faire.

Audrey Chelsie François

Mélina est également ouverte à différents scénarios, y compris la NWSL.

« Mais aller jouer en Europe, c’est comme un next level, je trouve. C’est sûr que c’est ma première option. »