(Londres) Si l’envahissement d’Old Trafford a choqué la planète football et provoqué dimanche le report de l’affiche de Premier League Manchester United-Liverpool, ces manifestations sont le résultat d’une rancœur tenace des supporteurs mancuniens à l’égard des propriétaires, aussi vieille que le rachat du club.

Des centaines de partisans ont investi le « Théâtre des rêves » dimanche après-midi, au cri de « Nous voulons le départ des Glazer », la richissime famille de la Floride qui a pris le contrôle des Red Devils en 2005.

Le projet de Super Ligue européenne dissidente, auquel le club a pris part il y a deux semaines avec 11 autres grandes écuries européennes, avant que les six équipes anglaises impliquées, dont « Man U », ne jettent l’éponge moins de 48 heures plus tard, a poussé à bout des fans qui avaient déjà manifesté deux fois les jours précédents.

L’image est si singulière qu’elle a amené le premier ministre Boris Johnson à s’exprimer : « Je ne crois pas que ce soit une bonne idée de désobéir aux règles, mais en même temps, je comprends à quel point les gens sont touchés », a-t-il commenté lundi.

« Soyons très clairs, personne ne veut que ce qui s’est passé hier [dimanche] à Old Trafford se reproduise », a écrit lundi le Manchester United Supporters’Trust (MUST), qui représente une partie des inconditionnels du club, dans une lettre ouverte au coprésident Joel Glazer.

« Ce qui s’est produit est le point culminant de 16 années au cours desquelles, sous la direction de votre famille, le club s’est enfoncé dans les dettes et le déclin, et nous n’avons jamais été aussi écartés et ignorés qu’actuellement », a poursuivi le MUST, tout en condamnant les incidents qui ont blessé deux policiers, dont un a été soigné aux urgences.

La trahison de trop

Le projet de Super Ligue – une compétition européenne de 20 équipes où 15 places auraient été réservées tous les ans aux riches clubs fondateurs – avait été immédiatement critiqué et rejeté aussi bien par les partisans que par les instances sportives ou le monde politique.

Manchester City, Liverpool, Chelsea, Tottenham ou Arsenal, aucun des clubs anglais impliqués dans ce projet motivé uniquement par l’appât du gain, selon ses adversaires, n’a été épargné par les manifestations.

Mais à United, club fondé par des cheminots en 1878, cela a été la trahison de trop.

Dès l’arrivée des Glazers, les couleurs vert et or de Newton Heath, club qui est devenu en 1902 Manchester United, ont constitué le signe de ralliement des protestataires.

Club sans dette à l’arrivée des Américains, Manchester s’est retrouvé avec d’énormes intérêts à payer après un « rachat par effet de levier », où l’argent est emprunté (plus de 900 millions d’euros, soit environ 1,33 milliard CAN) et le remboursement, mis à la charge du club.

Ces intérêts ont déjà coûté plus de 1 milliard d’euros (1,48 milliard CAN) au club, dont la dette dépasse encore 500 millions d’euros (738 millions CAN), selon les résultats publiés en mars.

Certains supporteurs ont même fondé un club dissident dès 2005, le FC United of Manchester, qui évolue actuellement en septième division anglaise.

« Excuses refusées »

Le mouvement de protestation contre les Glazers, également propriétaires des champions de la NFL, les Buccaneers de Tampa Bay, s’est amplifié au fil de l’effondrement des résultats, surtout depuis le départ à la retraite d’Alex Ferguson en 2013, année du dernier titre de champion.

Le rival local Manchester City et surtout l’adversaire honni, Liverpool, leur sont passés devant et la Super Ligue a été la goutte de trop, d’autant que ce projet intervenait quelques mois après une autre controverse, une tentative de réforme de la gouvernance de la Premier League extrêmement favorable au « Big 6 », baptisée « Project Big Picture » (Projet Plan large).

Dans un message, Joel Glazer s’était « excusé sans réserve » pour son implication dans la Super Ligue.

« Excuses refusées », a-t-on pu lire, dimanche, sur une pancarte sans équivoque agitée par des partisans frustrés aussi depuis plus d’un an par le huis clos dans les stades, en raison de la pandémie de COVID-19.

« Vous pouvez acheter notre club, mais vous ne pouvez pas acheter notre cœur et notre âme », renchérissait une affiche, alors que certains rêvaient d’une règle de « 50 +1 » à l’allemande, qui interdit à un actionnaire de contrôler seul un club.

« Il y a une immense insatisfaction, pas juste parmi les fans de Manchester United, mais je pense chez les supporteurs de football à travers le pays, et je pense que ce qu’ils disent, c’est ‟trop, c’est trop” », a résumé sur Sky Sports l’ancien Red Devil Gary Neville.