À sa demande, cet entretien avec Rida Zouhir a eu lieu en soirée. Sa première entrevue en tant que pro, il voulait la faire tranquille, à tête reposée, pas bousculé par l’horaire scolaire de la journée.

Une approche mature pour un jeune de 17 ans. Et plusieurs autres qualificatifs sont énumérés au cours de discussions avec des gens qui le connaissent bien. L’un d’eux : confiant.

« Je me suis senti vraiment à ma place, estime Zouhir à propos de ses premiers entraînements avec les pros, en décembre. J’aurais voulu que ça continue parce que je voyais que j’imposais de plus en plus. »

Patrick Leduc, directeur de l’Académie du CF Montréal, le confirme. Zouhir a fait « bonne impression » lors de ses premiers entraînements professionnels.

J’entends qu’il a affiché beaucoup de confiance. Et pas juste de la confiance, une certaine exigence envers lui-même. Il pouvait être boudeur à la fin d’un entraînement parce qu’il n’était pas content de comment ça s’était passé, ou qu’il n’avait pas eu assez le ballon.

Patrick Leduc

« Et il agit même un peu comme un vétéran, ajoute-t-il. Il gagne une petite compétition d’échauffement à la course, et j’entends qu’il s’est permis de narguer quelqu’un qu’il a battu. De façon amicale, évidemment. De la part d’un jeune, surtout un jeune de l’Académie, c’est rare qu’on entende ce genre de chose. »

Le milieu de terrain de 5 pi 10 po est l’un des quatre jeunes Québécois issus de l’Académie qui ont signé un contrat pro avec le premier club au début du mois de décembre.

Parmi ses objectifs, le principal est évidemment de jouer avec le CF Montréal le plus rapidement possible. Mais s’il doit retourner chez les U23 pour avoir du temps de jeu, ainsi soit-il.

Sur une échelle de 1 à 10, où se situe son niveau de confiance quant à la possibilité de faire le grand club dès cette année ?

Long silence. Puis, un peu d’hésitation… « À 10. »

Précisions : « On ne sait jamais ce qui peut arriver, mais je sais que si je travaille bien et fort, si je fais tout ce qui est en mon possible, je peux y arriver. Si on me dit que je dois jouer avec les U23, c’est que je n’aurai pas été assez bon pour être avec les pros. Tout est entre mes mains. »

La grande confiance flirte parfois avec l’arrogance. Mais Zouhir ne franchit pas cette mince ligne, assure le père d’un de ses meilleurs amis. « Il est resté humble après sa signature, dit-il. C’est un modèle à suivre. »

Le voilier de Rida

Rida a eu la balle aux pieds dès l’âge de 2 ou 3 ans. À 5 ans, il déménage dans Ahunstic, où il s’alignera avec les Braves du secteur.

Dans sa catégorie d’âge, il s’ennuie toutefois un peu. « J’avais un petit truc en plus. » On le place donc avec les 8 ans, raconte-t-il.

À 12 ans, il accède à l’Académie du CF Montréal. Mais la suite ne sera pas exactement une enfilade de sélections et de coups d’éclat. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’a pas connu le cheminement du premier de classe qui a tout brûlé sur son passage.

« C’est un joueur qui, contrairement aux trois autres, a moins fait partie des équipes nationales de jeunes. Et comment a-t-il réagi ? Il s’est entraîné plus fort », indique Patrick Leduc.

Il y a eu des hauts et des bas, des questionnements. Je ne dirais pas des doutes. Au fond de moi, je savais que j’allais obtenir un contrat professionnel. J’en avais vraiment envie.

Rida Zouhir

Il y a bien des façons de répondre aux déceptions. Aux deux extrêmes : se fâcher ou se servir de ces échecs comme motivation.

« C’était dans les deux sens, soutient pour sa part Zouhir. J’ai toujours trouvé que j’étais un peu un joueur à part, qu’on ne voyait pas trop comme le joueur-modèle, par rapport à l’école, à l’attitude, au caractère. Donc, je n’étais pas appelé. J’étais content pour les coéquipiers qui étaient là-bas, sauf que je me disais aussi : “Pourquoi pas moi ?” Mais j’ai toujours eu cette mentalité de continuer de travailler. »

Cette qualité n’a pas échappé aux patrons de l’Académie et a fini par payer auprès de l’establishment du club.

« On sait que Rida, c’est un compétiteur, c’est quelqu’un qui a fait face à de l’adversité. Ils font tous face à de l’adversité. Mais je suis confortable de dire que son caractère l’a amené à avoir peut-être la plus grande progression dans la dernière année à l’Académie. Pour faire un parallèle avec le Vendée Globe, son bateau a vraiment accéléré », illustre Patrick Leduc, ex-défenseur de l’Impact devenu directeur de l’Académie.

Une progression qui conduit Leduc vers une comparaison flatteuse pour le milieu de terrain montréalais.

« Quand il joue avec les U23, des fois, il peut être un Kevin De Bruyne [international belge qui joue avec Manchester City]. Des fois. Et c’est du U23, insiste-t-il. Mais c’est un gars qui n’a pas peur. Des joueurs qui foncent, on n’a pas toujours eu ça à l’Académie. »

Tirer profit des confinements

Avec les confinements et autres conséquences de la pandémie, il a été plus difficile de garder un œil sur la discipline des jeunes depuis 10 mois.

Au bout du compte, la situation aura, d’une certaine façon, permis aux décideurs de connaître davantage leurs protégés.

PHOTO FOURNIE PAR LE CF MONTRÉAL

Rida Zouhir

« Avec Rida, on craignait le pire, laisse tomber Patrick Leduc. C’est quelqu’un qui avait un peu de gras de bébé, comme on dit, jusqu’à 15 ans. Mais entre le début du confinement et le retour aux entraînements en août, il est un des rares à être arrivés plus en forme. Je ne sais pas ce qu’il a fait exactement comme régime d’entraînement, mais il est revenu avec un pourcentage de gras inférieur à ce qu’il avait avant. Ça nous a prouvé à quel point il était dédié. »

S’il ne l’a pas appris depuis l’entrevue, il y a une dizaine de jours, le directeur de l’Académie saura un peu dans les prochaines lignes à quoi s’est astreint Zouhir pendant l’été.

Le père de son ami — évoqué précédemment — le connaît depuis des années. Ce qu’il a vu ces derniers temps l’a franchement impressionné.

« À 13, 14 ans, Rida, je le trouvais dissipé. Je n’aurais pas parié qu’il resterait très longtemps à l’Académie, dit-il. Mais il a changé complètement. Discipline, entraînement, nutrition. Mon fils et lui étaient au parc pendant des heures à travailler leur pied gauche l’été dernier. Ils allaient courir à des températures de fou. Une transformation totale. C’est devenu un gars passionné, acharné. »

Un autre exemple.

Pendant la deuxième vague, récemment, il appelait à peu près toutes les patinoires extérieures de la ville de Montréal parce qu’il voulait absolument jouer au hockey. Il a pris trois autobus pour aller voir au parc La Fontaine si la glace était prête ! Et il avait déjà signé avec l’Impact à ce moment-là.

Le père d’un ami

Mais il n’y a pas que l’entraînement physique. Zouhir indique qu’il a profité des pauses forcées de la dernière année pour approfondir sa connaissance du soccer en regardant de la vidéo sur de grands joueurs.

Un professionnel… au secondaire

On peut l’oublier, mais à 17 ans, le jeune joueur est en cinquième secondaire. Or, de ce côté non plus, ça n’a pas toujours été facile. L’an dernier, en fait, ça n’allait pas bien. Mais, là encore, il s’est accroché, dit Patrick Leduc.

Ce dernier insiste beaucoup sur l’importance qu’il accorde à ce diplôme pour son protégé. Voire au cégep à distance qu’il pourrait faire par la suite.

« Parce que même s’il joue pendant 15 ans, à la fin, il va falloir passer à autre chose, rappelle Leduc. Plus que jouer ses premières minutes en MLS, oui je vais être content s’il le fait, mais j’aimerais qu’il ait son diplôme au mois de juin. Je ne veux pas qu’il freine, qu’il se laisse aller. »

Les camps d’entraînement se mettront en branle le 22 février, a fait savoir la MLS lundi. Pour le moment, Zouhir n’a qu’un programme d’entraînement à suivre, mais la conciliation soccer-école deviendra assurément plus complexe dès que l’action reprendra pour le CF Montréal. Le principal intéressé croit être en mesure de gérer cet agenda serré.

« Ce ne sera peut-être pas au même rythme que les autres. Avec le camp d’entraînement qui dure toute la journée, ce ne sera peut-être pas possible. Mais il faut que je trouve le juste milieu pour être capable de finir le secondaire 5. C’est très important », reconnaît le joueur.

Rida Zouhir n’est pas encore arrivé à destination. À quelque niveau que ce soit.

Côté soccer, l’échantillon avec les pros est beaucoup trop embryonnaire. « Ça a été très court au mois de décembre, il va falloir que ça continue quand ils vont reprendre. Je dirais juste que c’est de bon augure », résume Leduc.

Puis, côté scolaire, le diplôme n’est pas encore dans la poche.

Mais Patrick Leduc, on le sent aisément, est très fier de l’évolution de son jeune.

« Sur les plans personnel, scolaire et sportif, le chemin parcouru est impressionnant. Je suis très excité et même ému de ce qu’il a réussi dans la dernière année. »