La scène se déroule en 1996, lors d’un match de la Coupe Gambardella, le championnat français chez les moins de 17 ans, entre Monaco et Toulon, au stade de Bon Rencontre, en Provence.

Thierry Henry s’apprête à s’acquitter d’un coup franc à l’orée de la surface de réparation. Pour surprendre l’équipe adverse, le jeune homme aux racines martiniquaises annonce à ses coéquipiers, en créole, un jeu piège.

« Nou ale pou yon combinezon ! »

Le défenseur central de Toulon, aux racines guadeloupéennes, a tout pigé.

« Les gars, méfiez-vous, il y va pour la courte passe ! » s’écrie-t-il en français.

Thierry Henry est bouche bée. Le manège, qu’il a sans doute répété souvent lors de matchs précédents, vient d’avorter.

« Yo ! Tu parles le créole ? » lance-t-il à son adversaire.

Après le match, les deux ados fraternisent, se racontent leurs racines antillaises. Ils se recroisent plusieurs fois au cours des années suivantes.

Wilfried Nancy raconte l’anecdote en riant. Le défenseur central, c’était lui ! Aujourd’hui, il complète le trio d’entraîneurs de l’Impact de Montréal avec Thierry Henry et Patrice Bernier…

Leur réunion derrière un banc était pourtant hautement improbable. Quand Nancy quitte la France en 2005 pour se joindre aux Citadins de l’UQAM, Henry est nommé capitaine à Arsenal, en Premier League anglaise, et vient de remporter un deuxième Soulier d’or consécutif remis au meilleur marqueur en Europe, tous championnats confondus.

Et lorsque Nancy répond à l’appel de Philippe Eullaffroy pour participer à la création de l’Académie de l’Impact en 2010, Thierry Henry a déjà participé à quatre Coupes du monde avec la France et on s’apprête à lui ériger une statue aux abords de l’Emirates Stadium d’Arsenal !

Wilfried Nancy, lui, a gravi les échelons discrètement dans sa patrie d’adoption. Après quelques années à l’Académie, il s’est joint à l’équipe première de la MLS en 2016. Il a réussi l’exploit de maintenir son poste malgré deux changements de régime, ceux de Mauro Biello et de Rémi Garde.

Portrait d’un entraîneur discret, mais essentiel, au club de soccer de l’Impact de Montréal.

« Vers l’âge de 19, 20 ans, j’ai fait quelques matchs en deuxième division, puis le club a été rétrogradé financièrement et sportivement en quatrième division. J’ai quitté Toulon. Un ami d’enfance, presque un frère pour moi, William Baltimore, avait déménagé à Montréal un an plus tôt. Il n’arrêtait pas de m’en parler en bien. »

Wilfried Nancy se paie alors des petites vacances au Québec. Il y rejoint son ami. Celui-ci lui présente l’entraîneur des Citadins, Christophe Dutarte. « Il me voulait dans l’équipe. J’ai dit d’accord, mais à condition que tu me fasses rencontrer des gens. Je m’intéresse au coaching. »

Notre homme a un coup de foudre pour Montréal. « J’ai été frappé dès les premières semaines par l’ouverture d’esprit des gens. En France, on était habitués à avoir des a priori sur les autres, parce qu’on a été éduqués comme ça, malheureusement. J’ai pris conscience que tout le monde avait sa chance ici. C’était génial. J’ai aimé l’ambiance, le côté cosmopolite de Montréal. »

Peu de temps après son déménagement, une jeune femme attire son regard dans la rue Sherbrooke. « On était en train de rouler, je lui demandais où elle allait. Elle ne voulait pas me le dire. Les gens derrière klaxonnaient. Une de ses amies me l’a dit. On ne s’est jamais quittés… »

Ils sont mariés depuis une douzaine d’années, ont deux enfants ensemble. Wilfried est citoyen canadien depuis cinq ans.

Quelques années après l’aventure des Citadins de l’UQAM, Christophe Dutarte, Philippe Eullaffroy et lui ont voulu mettre sur pied une académie de foot, en 2009. Le projet était très avancé. « Finalement, Philippe et Christophe ont été approchés par Nick DeSantis pour créer l’Académie de l’Impact de Montréal, dit Wilfried Nancy. Philippe a été le bâtisseur et j’étais son allié. Je suis fier d’avoir participé à ça. »

Six ans plus tard, en 2015, Mauro Biello est nommé entraîneur-chef de l’Impact. Il offre une promotion à ses deux entraîneurs émérites de l’Académie, Jason DiTullio et Nancy, à titre d’adjoints pour le club de MLS. L’entraîneur des gardiens de l’Académie Jack Stern et le préparateur physique Yannick Girard font aussi le saut dans les majeures.

« C’est grâce à Mauro que j’ai pu travailler avec l’équipe première. Il m’a donné cette première chance-là. J’en suis énormément reconnaissant. »

Deux ans plus tard, malgré de beaux succès, notamment avec la présence de Didier Drogba, Mauro Biello est congédié. On annonce aussi le départ de ses adjoints.

« Ce fut un épisode énormément triste, confie Wilfried Nancy. On a eu de bons résultats. Il y avait un projet. Mais après, le club a pris cette direction-là. Je ne savais pas si j’allais continuer. J’ai alors appris que le métier d’entraîneur d’une équipe professionnelle était à risque. On a la chance de vivre notre passion, mais après, il y a des décisions qui sont prises qui sont parfois difficiles à admettre. On se lie d’amitié avec certaines personnes. »

Wilfried Nancy est le seul à avoir gardé son emploi. « On m’a rappelé. Rémi Garde arrivait, il y avait une possibilité que je reste au club. Sincèrement, cette période a été extrêmement difficile. Rémi Garde, je ne le connaissais pas. Je ne savais pas si j’allais rester. Je me suis dit : ‟Va rencontrer Rémi, va voir comment ça se passe. Est-ce qu’il y a une chimie, est-ce que je vais avoir un rôle intéressant ou seulement un poseur de cônes ?” Finalement, la rencontre a été hyper intéressante, il s’est renseigné sur moi en France, il a reconnu mes compétences. »

Rémi Garde, malgré sa réputation bâtie avec l’Olympique de Lyon, a duré encore moins longtemps. Wilfried Nancy, cette fois, a reçu l’assurance de garder son poste de la part du nouveau directeur sportif de l’équipe, Olivier Renard.

« J’ai été agréablement surpris d’apprendre que Thierry Henry allait venir. Je faisais partie déjà du projet du club, mais aujourd’hui, il faudrait poser la question à Thierry, on travaille bien ensemble. Je m’éclate avec lui. »

Une belle chimie semble régner entre Thierry Henry, l’ancien capitaine du club Patrice Bernier et Wilfried Nancy. « On s’entraide au quotidien. Thierry, c’est quelqu’un de participatif. Chaque entraîneur a sa façon de faire, Thierry nous implique dans tout. C’est beaucoup plus facile pour avoir des relations honnêtes et ouvertes. »

Wilfried Nancy est frappé par la grande humilité de Thierry Henry, l’un des grands footballeurs de l’histoire. « Parfois, je me bagarre avec lui pour qu’il parle davantage aux joueurs de son passé. Si je raconte une situation que j’ai vécue au foot et qu’il raconte la sienne, on ne va pas se mentir, ça n’a pas le même impact. Je lui dis : ‟Tu n’as pas à le faire trop souvent, mais il y a des faits, ça va aider les joueurs à comprendre des choses.” »

L’Impact est rentré de Floride la semaine dernière après le tournoi MLS is Back. On attend la suite.

Pour la petite histoire, Thierry Henry a opté pour le tir sur le fameux coup franc en 1996. Il n’a pas marqué. Mais Monaco l’a emporté 1-0 sur un but en fin de match de… David Trézéguet. Nancy n’affrontait pas un petit club ce jour-là !

Un joueur qui l’a impressionné chez l’IMFC

« Je ne veux pas dire Nacho Piatti, parce que tout le monde le connaît, j’opterais plutôt pour Marco Donadel [ancien de l’AC Milan, avec l’Impact de 2015 à 2018]. Il m’a énormément impressionné par son éthique de travail. Il était atypique parce qu’il était capable de se fondre avec tout le monde tout en ayant besoin d’être très individualiste pour être performant. Marco a toujours été exemplaire, peu importe l’exercice. On lui dit de tourner autour d’un cône, il va le faire. Ça m’a toujours inspiré de voir un joueur de son âge toujours aussi rigoureux comme lui. »

L’académicien dont il est le plus fier

« Je dirais Mathieu Choinière. Il est toujours avec nous. Il est en train de progresser. Il prend son mal en patience. Il sent qu’il est proche de jouer et il va jouer. Il a fait partie de l’Académie dès le premier jour de sa création. Il a fait tout le processus et j’ai aussi un petit faible pour lui parce que je l’ai connu sur la Rive-Sud quand il avait 10 ans. J’ai vu toute sa progression. Et mentalement, il est très fort. J’ai hâte qu’il soit capable de jouer. Il l’a déjà fait avec Rémi Garde, maintenant chaque chose en son temps, mais je suis fier de Mathieu. »

L’état du foot au Québec

« Ça a tellement évolué depuis 2005. Je l’ai vu même après trois années à l’Académie sur une chose très simple. La première année en USSDA, on sentait qu’on était proches, mais on était loin contre les grosses équipes de la MLS. On avait perdu d’avance. À force de continuer à travailler, j’ai vu une grande différence dans l’état d’esprit. Il y a une progression à l’Académie, il y a une progression au niveau des équipes nationales au Canada et du Québec. Keesean [Ferdinand] et Tommy [Giraldo] qui rejoignent l’équipe à 17 ans, c’est une fierté aussi. Mentalement, ils sont présents. Auparavant, c’était moins clair. J’étais toujours en relation avec l’Académie, j’ai toujours entendu parler de la génération des 2003. On voit qu’il y a quelque chose. Ils vont gagner sur l’aspect mental et physique. C’est aussi la nouvelle direction au niveau du club. Par le passé, ça n’existait pas. Le club investit dans les jeunes joueurs maintenant. »