Plusieurs l’ont oublié, mais avant de jouer pour l’Impact, Patrice Bernier a joué pour le mythique club allemand Kaiserslautern, où on lui a même fait l’honneur de porter le symbolique numéro 10. L’ancien capitaine a un parcours fascinant, jalonné par une dizaine de saisons en Europe, où il a foulé le même terrain que les Thierry Henry, Robbie Keane, Pavel Nedved et David Villa. Il a pu terminer sa carrière chez lui, au Québec, avec des personnages marquants : Didier Drogba, Marco Di Vaio, Alessandro Nesta, Nacho Piatti, Mauro Biello, Laurent Ciman. Sa biographie, Patrice Bernier : maître de son destin, écrite par notre journaliste Mathias Brunet et préfacée par Thierry Henry, est lancée mercredi. Voici quelques extraits de cet ouvrage publié aux Éditions de l’Homme.

PHOTO FOURNIE PAR LES FOREURS

Patrice Bernier quand il évoluait pour les Foreurs de Val-d’Or, dans la LHJMQ.

L’aventure de la LHJMQ

Parmi les joueurs les mieux cotés de cette cuvée, le défenseur Jonathan Girard, de Laval-Laurentides-Lanaudière ; son coéquipier à Magog, Samuel St-Pierre ; François Beauchemin, des Riverains du Richelieu ; Vincent Lecavalier, du collège Notre-Dame en Saskatchewan ; Simon Gagné, de Sainte-Foy…

Au début du septième tour (le repêchage en compte 20), Nadège se tourne vers son frère.

— Pour quelle équipe tu ne veux PAS jouer ? lui lance-t-elle avec un sourire.

— Certainement pas Val-d’Or ni Halifax, répond le jeune homme de 16 ans, qui trouve ces destinations trop éloignées de Montréal.

— Des plans pour qu’ils te repêchent, blague Nadège.

— Ils peuvent toujours le faire, je n’irai pas !

Le groupe, qui comprend la famille et aussi des amis de Patrice, rigole ferme.

Au 94e rang, le directeur du recrutement des Foreurs de Val-d’Or s’adresse au micro…

— Les Foreurs repêchent, des Cantonniers de Magog, Patrice Bernier !

Celui-ci, en pleine discussion avec sa sœur, n’entend rien. Ses parents, assis dans la rangée derrière eux, le mettent au parfum.

— Très drôle, dit-il.

— Je t’assure ! répond le paternel. La voix retentit une deuxième fois au micro.

— Les Foreurs repêchent, des Cantonniers de Magog, Patrice Bernier… Patrice se lève et s’adresse à son père.

— Est-ce que j’y vais ?

— Bien sûr que tu y vas ! répond Jean.

Les dépisteurs des Foreurs sont fiers de leur coup. « Ils m’ont dit que Patrice n’était pas vraiment un choix de septième ronde. Il aurait été repêché beaucoup plus tôt s’il avait assuré les équipes de son désir de jouer au hockey junior, se remémore l’entraîneur de l’époque, Richard Martel. Un de nos recruteurs nous avait toutefois dit que ça n’était pas un non définitif et qu’il pourrait se présenter. »

En soirée, l’organisation invite les joueurs repêchés par les Foreurs et leurs parents à un grand souper. Le président, le directeur général et l’entraîneur sont présents. En sortant du restaurant, Patrice n’a pas changé d’avis.

— Pa, je ne vais pas à Val-d’Or !

— Tu dois y aller, rétorque son père. C’est la Ligue de hockey junior majeur du Québec. Ta chance d’atteindre la LNH !

Un essai en France

Une porte semble s’ouvrir sur le Vieux Continent à l’automne 2001 : un dénommé René Paris entre en communication avec Bernier et explique qu’il peut l’aider à obtenir des essais avec des équipes de deuxième division en France. Bernier est évidemment emballé par cette proposition. Il quitte le Québec au début de décembre pour entamer sa nouvelle aventure.

En attendant d’être accepté en essais, René Paris le convainc de s’entraîner avec un club de cinquième division à Grabel, au sud de Montpellier, juste pour garder la forme. Il ne reçoit aucun salaire, mais le petit club avec lequel il s’exerce accepte de lui donner quelques centaines d’euros, à condition d’aider à l’entretien du terrain de façon hebdomadaire.

« Avant les matchs, on me demandait avec un autre coéquipier de mettre le terrain à niveau », raconte Bernier.

On est loin de l’univers glamour du soccer professionnel français…

En attendant d’obtenir les essais tant attendus, le niveau de jeu n’est pas trop mal. « Il y a beaucoup d’anciens professionnels dans les divisions 3, 4, 5 et 6 en France, dit le Québécois. Il y a aussi beaucoup d’anciens joueurs des clubs réserves de gros clubs. Il y a enfin les rescapés des centres de formation de France. Bref, plusieurs bons joueurs se retrouvent là. Ils veulent maintenir leur rêve même s’ils ne sont pas bien rémunérés. J’ai compris au cours de cette période que la concurrence en France était très féroce. »

Les semaines passent. Les mois. Toujours pas d’intérêt de la part d’un gros club. René Paris lui dit de patienter, que son tour viendra. Or, le fameux tour ne vient pas. Bernier se blesse en avril, après quatre mois là-bas. Il comprend alors qu’il perd son temps et qu’il ferait mieux de rentrer à la maison.

Avec le mythique Kaiserslautern

De retour à Kaiserslautern, Bernier vit à l’hôtel en attendant de trouver un endroit où habiter.

Bernier magasine également une nouvelle voiture : il zieute la nouvelle Mini Cooper de BMW. Pourquoi ne pas se gâter un peu après avoir obtenu un tel contrat ? « Je voulais une auto pratique. En Europe, les rues sont étroites et le stationnement n’est pas évident. Tu ne peux pas te promener dans un Hummer. Je trouvais la Mini Cooper cool, c’est une belle petite auto. »

Son agent le rappelle vite à l’ordre.

— Patrice, tu ne peux pas te promener en Mini Cooper dans les rues de Kaiserslautern !

— Ah, non ? Pourquoi ? répond Bernier, interloqué.

— Le numéro 10 du Kaiserslautern ne peut pas conduire une auto comme ça !

— Mais c’est pratique !

— Une Mini Cooper, c’est pour un jeune qui vient de signer son premier contrat !

« Mon agent me fait comprendre qu’on doit avoir le profil qui vient avec le contrat et la stature du club, ici, dit Bernier. On doit rentrer dans ce monde-là. Finalement, j’ai été chanceux, un joueur récemment transféré m’a refilé son contrat de location d’une Mercedes. »

Bernier saisit sa nouvelle réalité en garant quotidiennement son automobile : « On arrive dans le stationnement et on saisit que tout le monde a son nouveau jouet. En plus, on est dans la patrie de Mercedes, BMW et Porsche ; Audi vient de lancer sa nouvelle gamme d’A5 et c’est plein d’Audi Q7 partout. Il y a des gars plus jeunes que moi qui se promènent déjà en Porsche… Les joueurs de foot ont un statut énorme en Allemagne. J’arrive du Canada et j’ai joué en Norvège, deux pays dont la tradition du soccer est moins importante, du moins c’est ma perception des choses. En Allemagne, les joueurs de soccer constituent la crème de la crème, comme les acteurs à Hollywood. Tout le monde veut s’accrocher à Oliver Kahn, à Michael Ballack ou à Thierry Henry. »

Dans ce nouvel environnement très superficiel, l’athlète doit être à la hauteur. « On pouvait sentir la pression sur les joueurs, raconte Mélisa. Dans les rues, une auto sur deux affichait l’autocollant du club. »

Di Vaio, Nesta et cie !

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Patrice Bernier et Marco Di Vaio, en 2013

Bernier développe une belle relation avec les stars italiennes de l’équipe, les Nesta, Ferrari, Di Vaio et Paponi. Il est flatté d’obtenir leur respect. « Ces gars-là m’invitent à aller luncher régulièrement dans la Petite Italie. J’apprends à les connaître davantage. Ils m’ouvrent la porte de leur cercle, ces personnages qui ont joué au plus haut niveau, en Série A, dans la Ligue des champions et en Coupe du monde. Mon jeu a gagné leur respect sportif, et probablement aussi la façon dont je me comporte : je ne me prends pas pour un autre parce que je suis un peu la figure du club, étant de Montréal. Et eux ne se prennent pas pour des stars même s’ils ont joué dans les hautes sphères du foot. Nesta était un peu bouffon, il aimait narguer et on pouvait le narguer en retour. »

Un geste de Di Vaio touche profondément Patrice. « Schällibaum lui a proposé en début de saison de tirer les penaltys. Marco est venu me voir pour me dire qu’il avait refusé de le faire parce que je les tirais bien et qu’il n’y avait pas lieu de faire de changement. C’est pourtant un joueur qui voulait marquer des buts, il aurait facilement pu accepter l’offre de l’entraîneur, mais il a eu la modestie de dire que j’avais une bonne séquence. En plus, il n’avait pas répondu aux attentes de joueur désigné en fin de saison 2012. On s’est entendu pour dire que je lui donnerais des penaltys s’il était dans une période creuse et qu’il avait besoin de marquer. Cette saison-là, il n’en a pas eu besoin : il a marqué 20 buts en 33 matchs ! Matteo Ferrari, qui a poussé Jesse Marsch à me placer sur le terrain, Di Vaio qui me laisse le privilège de tirer les penaltys… les gens ne l’ont pas su, mais des gestes comme ceux-là font grandement plaisir. »

Nacho…

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Ignacio Piatti et Patrice Bernier, en 2015

Le club est à plat moralement en août 2014, au dernier rang du classement après sept défaites de suite, lorsque se présente à Montréal un gringalet argentin du nom d’Ignacio Piatti. Il n’a pas de lettres de noblesse et la plupart des joueurs de l’équipe ignorent tout de lui. « On sait qu’il vient de l’Amérique du Sud et qu’il a très bien fait en Argentine, mais ce n’est pas un joueur dont on parlait, il n’était pas un candidat pour l’Europe avant de s’amener ici. Cela dit, c’est clair qu’on a déboursé pour lui. En plus, on lui donne le numéro 10. Ce n’est pas un petit joueur, c’est juste qu’on ne le connaît pas, il n’arrive pas d’un gros championnat. »

Bernier est encore un peu sceptique lorsque Piatti, 29 ans, prend part à son premier exercice avec l’équipe. « Nacho », comme on le surnomme en Argentine, n’est pas le premier Latino-Américain annoncé en grande pompe par l’Impact. « Dès la première séance d’entraînement, j’ai tout compris, confie Bernier. Je savais que ce gars-là allait être spécial. Il avait une façon de toucher le ballon, pied droit, pied gauche, une facilité déconcertante à faire des crochets et à mettre les gars à terre. C’est rare de ne pas être capable d’enlever le ballon à un coéquipier à l’entraînement, mais avec lui, c’était compliqué. D’habitude, après un certain temps, j’arrive à décortiquer le jeu des meilleurs. Lui, il avait une coche d’avance sur nous tous. »

Georges St-Pierre à la rescousse

L’équipe s’enlise au classement : l’Impact a seulement trois maigres victoires en 22 rencontres. Bernier tente un effort ultime pour secouer les troupes : il prend le téléphone et appelle son vieil ami Ali Gerba. « Je savais qu’il connaissait Georges St-Pierre. Je voulais un électrochoc pour motiver l’équipe. Georges était une vedette internationale, il avait été blessé avant de redevenir numéro un au monde. Je voulais qu’il vienne parler aux gars pour redynamiser le groupe. J’ai d’abord parlé à un de ses gardes du corps et ami, Eddy. Je ne voulais pas faire un coup publicitaire, je voulais juste l’inviter à parler au groupe en gardant sa visite anonyme. »

Ce grand champion des arts martiaux mixtes accepte avec plaisir l’invitation du capitaine de l’Impact. Il rencontre les joueurs dans le vestiaire avant un entraînement et leur sert un discours de motivation. « Je me suis dit que le message d’un champion mondial que tout le monde connaissait et respectait au sein de l’équipe pouvait aider. Les gars suivent tous le UFC. Ils savent qu’il est l’ultime combattant et qu’il a réussi à revenir au sommet après l’adversité. Il est venu avec toute son humilité. Nos joueurs ont même pu échanger avec lui. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Georges St-Pierre dans les gradins

St-Pierre assiste même au match suivant de l’Impact. « Son beau discours n’a pas eu d’effet ni sa présence au stade Saputo. C’était écrit dans le ciel que notre équipe n’avait pas l’étoffe pour se relever de cette mauvaise passe… »

IMAGE FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Patrice Bernier : maître de son destin

Patrice Bernier : maître de son destin
Par Mathias Brunet
Les Éditions de l’Homme
224 pages
Parution le 19 août 2020