Où trouve-t-on les meilleures intrigues de l’été ? À la Maison-Blanche ? Dans Stranger Things ? Dans le dernier roman de Louise Penny ?

Trois fois non. C’est dans l’entourage de l’Impact. Depuis quelques étés, les crises au sein du club se multiplient comme les cônes orange dans les rues de Montréal. C’est facile de s’y perdre. Pour mettre tout le monde à jour, voici un résumé du plus récent épisode :

– L’Impact a perdu ses quatre derniers matchs en MLS ;

– Sa grosse prise de l’hiver, Harry Novillo, a été remerciée pour ses mauvais services ;

– Sa vedette locale, Samuel Piette, a évoqué un départ vers l’Europe ;

– Sa vedette tout court, Ignacio Piatti, est courtisée en Argentine ;

– Ses joueurs se chamaillent pendant les entraînements.

Puis samedi, pendant la partie à Columbus, l’entraîneur Rémi Garde a failli cracher ses poumons en réprimandant son attaquant Omar Browne. Il a crié tellement fort qu’on l’a entendu jusque dans nos salons.

« POUR QUI TU TE PRENDS, OMAR ! », a-t-il hurlé.

Deux fois plutôt qu’une.

Bref, c’est la crise. La première du nouveau président, Kevin Gilmore. Il a succédé en janvier à Joey Saputo, qui promettait alors de rester un propriétaire discret. Je cite M. Saputo : « Mon intention est maintenant de prendre une distance du quotidien et de me concentrer sur la gestion et le développement stratégique de mes autres entreprises. »

Évidemment, qui est revenu au nid hier pour veiller sur ses oisillons stressés ?

Vous l’aurez deviné.

Joey Saputo.

***

Le propriétaire de l’Impact s’est présenté au Centre Nutrilait en matinée pour la séance d’entraînement. Il aurait pu se cacher dans un buisson à 200 mètres des journalistes. Non. Il s’est installé devant l’escalier qui mène à la galerie de presse. Impossible de le rater.

Joey Saputo conversait avec Kevin Gilmore. Les deux hommes sont restés jusqu’au dernier coup de sifflet. En retraitant au vestiaire, tous les joueurs se sont arrêtés, un à un, pour leur serrer la main.

Précision : pas « tous ». Omar Browne était ailleurs. Où ? Je ne sais pas, mais c’était hors du champ de vision de Rémi Garde. Saphir Taïder, lui, est resté sur le terrain pour une discussion avec son entraîneur. Ça s’est étiré en longueur. Quarante minutes plus tard, Taïder et Garde causaient toujours. Ils n’ont pas rencontré les journalistes.

Et Joey Saputo, comment justifiait-il sa présence à l’entraînement, un lundi matin, après quatre défaites consécutives ? On aurait aimé le savoir, mais il ne s’est pas rendu disponible pour des entrevues. Ceci dit, pas besoin d’être doctorant en administration pour comprendre que le patron souhaitait envoyer un message à ses employés.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Joey Saputo, propriétaire de l’Impact et du stade Saputo

Que les choses se replacent. Et vite.

J’ai demandé au défenseur Daniel Lovitz si la présence de Joey Saputo modifiait le comportement des joueurs.

« J’ai réalisé après coup qu’il était là. Il espérait peut-être inspirer certaines personnes ou les mettre sur le qui-vive. Mais franchement, je pense qu’on devrait l’être tous les jours, peu importe qui est là. Même si on est juste entre joueurs et entraîneurs. On doit maintenir un niveau élevé de professionnalisme, on doit arriver au week-end prêts pour le match. Il ne faut pas juste activer l’interrupteur. Je pense que c’est un problème que nous avons eu [cette saison]. »

***

C’était la deuxième fois en deux semaines qu’on voyait Joey Saputo avec l’équipe. La première fois, c’était lors d’une partie à domicile, le 6 juillet. Le propriétaire était resté sur les lignes de côté après un hommage à l’ancien gardien Greg Sutton. À la suite d’une décision controversée d’un arbitre, on l’a vu s’approcher de Rémi Garde et crier sa façon de penser aux officiels.

Joey Saputo a toujours fait de la microgestion. C’est son droit. L’Impact lui appartient. Le stade Saputo lui appartient. Le centre d’entraînement aussi. Quand l’équipe enchaîne les défaites et que les assistances déclinent, c’est lui qui éponge les déficits.

Cette méthode de gestion n’a pas toujours bien servi l’équipe. Je pense notamment à ses sorties contre les partisans ou les joueurs. C’est pourquoi la presque totalité des fans se réjouissait, en janvier, de le voir s’effacer.

Pas moi.

Je préfère un propriétaire impliqué plutôt qu’absent.

Loin des yeux, loin du cœur, c’est aussi vrai en affaires qu’en amour. Les cas d’école sont nombreux. Si vous avez vu la série Sunderland ‘Til I Die, sur Netflix, vous aurez noté les effets ravageurs d’un actionnaire qui se distancie de son équipe.

Un propriétaire fantôme cherche habituellement à équilibrer son budget. Un propriétaire passionné est prêt à prendre des risques financiers pour gagner. Ce que Joey Saputo a fait ces 25 dernières années. Avec plus ou moins de réussite, c’est vrai. Mais toujours avec cœur.

Et à en croire le joueur vedette du Galaxy de Los Angeles, Zlatan Ibrahimovic, c’est le profil d’investisseur que doit rechercher la MLS. À ce sujet, voici une conversation qu’il a eue la semaine dernière avec un journaliste d’ESPN.

PHOTO RINGO H.W. CHIU, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Zlatan Ibrahimovic

Zlatan : « Les propriétaires [de la MLS], veulent-ils que ça devienne gros ?

– Oui, bien sûr.

– Tu le penses ?

– Pas toi ?

– Non.

– Pourquoi ?

– Parce que tu ne fais pas d’argent au soccer. En Europe, je peux te nommer deux clubs qui font de l’argent. Les autres n’en font pas. [Les propriétaires] le font par passion. [En Amérique du Nord], avec le sport, on fait de l’argent. C’est tout. Et avec toutes les règles ici, on ne favorise pas la croissance du soccer. »

***

Un propriétaire impliqué est souhaitable pour la croissance d’une franchise. Ensuite, tout est dans la manière. Car les joueurs et les entraîneurs détestent les patrons qui papillonnent autour d’eux.

Jeffrey Loria, ancien propriétaire des Expos, avait nommé son beau-fils David Samson à la présidence du club. Avant un match à Denver, Samson s’était introduit dans le bureau de Felipe Alou sans prévenir. Le gérant était surpris. Samson s’est alors posé au-dessus de son épaule pour consulter l’alignement partant. Tout ça devant les journalistes. Felipe Alou était furieux. Lorsque Samson est sorti de la pièce, Alou a fait un geste brusque de la main, comme s’il chassait un moustique.

Pas plus tard que samedi dernier, après la victoire des Alouettes, un propriétaire pressenti pour la franchise, Jeffrey Lenkov, s’est présenté dans le vestiaire pour célébrer avec les joueurs. Didier Orméjuste, de RDS, raconte la scène : « [Lenkov] était euphorique et a tenté de féliciter des joueurs, qui sont restés incrédules. La scène était pour le moins gênante. »

Le vestiaire. C’est la ligne que ne doit pas franchir un propriétaire. La chambre doit rester le sanctuaire des joueurs et des entraîneurs.

Une présence sur les lignes de côté pendant un match ? C’est limite. Tant que le leadership de l’entraîneur n’est pas remis en question ou que le propriétaire ne nuit pas à l’équipe – en critiquant les officiels, par exemple –, ça reste acceptable.

Une visite au centre d’entraînement ? Je vois plutôt ça comme une bonne nouvelle.

Ça démontre que Joey Saputo n’a pas renoncé à l’Impact. Qu’il a toujours son bébé à cœur.

En période de crise, mieux vaut cela que le contraire.