Les manifestations monstres qui ont secoué le Brésil cette semaine, réclamant de meilleurs services publics, mais stigmatisant aussi les frais engagés pour l'actuelle Coupe des Confédérations et le Mondial-2014, ont percuté voire perforé la bulle dans laquelle vit le soccer.

La stricte séparation entre politique et ballon rond est un précepte fondamental de la Fédération internationale (FIFA), derrière lequel se rangent habituellement la grande majorité des acteurs du soccer. Mais l'énorme vague de colère des Brésiliens et leurs revendications pour la santé et l'éducation, contre la hausse des tarifs des transports publics et la corruption ont mis à l'épreuve cette étanchéité.

Un trouble illustré par le plus illustre des Brésiliens, Pelé: le triple champion du monde (1958, 1962, 1970) a d'abord invité mercredi à « oublier toute cette confusion actuelle » pour soutenir l'équipe nationale, avant de rétropédaler, croulant sous les critiques, pour se dire « à 100% en faveur de ce mouvement pour la justice au Brésil ».

« Le football est plus fort que l'insatisfaction des gens », avait lancé pour sa part le président de la FIFA Sepp Blatter dans une interview parue mardi dans le quotidien Estado de Sao Paulo, au lendemain des premières manifestations de masse. Formulant ce pronostic: « Vous allez voir que le troisième jour de la compétition, cela va se calmer. »

Hymne a cappella

Il n'en fut rien. Au contraire, les protestataires étaient plus d'un million jeudi dans les rues des principales villes, et l'organisation des deux tournois largement incriminée, en raison des 11 milliards d'euros investis par le gouvernement.

Dans les défilés, on pouvait lire ou entendre: « Plus de pain, moins de jeux », « un professeur vaut plus qu'un footballeur », « le foot au-dessus des droits; pourquoi, Dilma? » (Rousseff, la présidente du Brésil), ou encore « Dilma, appelle-moi FIFA et investis en moi! »

La FIFA elle-même a été ciblée, avec le caillassage de deux de ses minibus devant son hôtel à Salvador (nord-est). Un autre de ses véhicules, malmené en centre-ville par des manifestants a dû être escorté par la police.

Pas de quoi mettre en cause le tournoi lui-même, comme l'a affirmé la FIFA vendredi. « À aucun moment, l'annulation de la compétition n'a été envisagée ou discutée, a dit un porte-parole vendredi. Nous sommes en contact avec les équipes, nous nous tenons informés et nous n'avons reçu aucune demande d'abandon. »

Car pendant ce temps-là, le ballon roule, protégé par un dispositif de sécurité qui empêche la colère d'atteindre les stades, où les matches se déroulent normalement, dans la fameuse bulle.

Une bulle qui a cependant vibré comme jamais lorsque l'hymne national fut entonné a cappella par le public de Fortaleza à l'orée de Brésil-Mexique mercredi (2-0), dans une ambiance d'union sacrée à donner la chair de poule.

Une « honte »

Si le sélectionneur brésilien Luiz Felipe Scolari s'en est tenu à la « liberté d'opinion » de chacun, ses joueurs sont sortis de leur réserve. Lundi, avant que le mouvement ne prenne son essor, Marcelo avait assuré qu'il n'« affectait » en rien la vie du groupe, qui s'en tenait écarté. Le lendemain, quatre de ses coéquipiers apportaient leur soutien aux manifestants, Dani Alves et Fred sur Twitter, David Luiz et Hulk en conférence de presse.

La star Neymar, visée par des manifestants à Fortaleza, est même allée plus loin en accusant le gouvernement de ne pas remplir ses « devoirs ».

Les joueurs se gardent néanmoins de mettre en cause la pertinence des investissements consentis, contrairement à certains de leurs prédécesseurs, sur les réseaux sociaux. L'ancien Lyonnais Juninho a suggéré aux joueurs de tourner le dos au drapeau en signe de solidarité avec les manifestants, « pour montrer qu'ils savent que le soccer n'est pas plus important que le peuple brésilien ». Rivaldo, Ballon d'Or 1999, a carrément parlé de « honte de dépenser tant d'argent pour cette Coupe du monde et laisser les hôpitaux et les écoles dans des conditions précaires ».

Les équipes étrangères font, elles, profil bas, oscillant entre le respect du droit de manifester et la traditionnelle non-ingérence.