«Il n'y a pas d'Italiens noirs!» C'est avec cette ritournelle que les partisans de la Juventus ont accueilli Mario Balotelli à Turin lorsqu'il portait les couleurs de l'Inter Milan, le 19 avril 2009. Bonjour l'hospitalité. Née en Sicile de parents ghanéens, l'étoile montante du soccer avait déclaré quelques mois plus tôt son amour pour sa patrie. «Je suis italien, je me sens italien, je jouerai toujours pour l'équipe nationale italienne.»

Malgré sa superbe performance à l'Euro 2012 (deux buts contre l'Allemagne en demi-finale) et son entrée par la grande porte chez l'AC Milan en février dernier, le puissant attaquant de 22 ans est plus que jamais la cible d'insultes racistes dans son pays.

Le 12 mai dernier, des cris de singe ont forcé l'arbitre à interrompre la joute entre l'AS Roma et l'AC Milan, équipe hôte. Pendant deux longues minutes, Balotelli et son coéquipier Kevin-Prince Boateng (né d'un père ghanéen et d'une mère allemande) ont attendu, les dents serrées, pendant qu'un message d'avertissement tentait de taire les fans de l'AS Roma.

L'affaire aurait pu s'arrêter là si ce n'était l'amende risible collée à l'équipe: 50 000 euros. Le président de la FIFA lui-même est sorti de ses gonds. «Que représentent 50 000 euros pour un tel événement? J'appellerai la Fédération italienne de soccer [pour en discuter]. Ce n'est pas la façon d'agir dans de telles circonstances», a déclaré le lendemain Joseph Blatter, qui a déjà été accusé dans le passé de prendre la question à la légère.

On vient d'ailleurs de durcir les sanctions contre les actes discriminatoires à l'Union des associations européennes de soccer (UEFA). Dès la saison prochaine, les joueurs et dirigeants pris en faute seront suspendus pendant 10 parties. Et les équipes des partisans racistes verront leur stade partiellement fermé à la première infraction et entièrement fermé à la seconde.

La politique «tolérance zéro» de l'UEFA (organisatrice de l'Euro et du tournoi Champions League) n'a pas force de règlement à la Fédération italienne de calcio («soccer» en italien). Mais les autorités italiennes en ont pris note et ont ordonné la fermeture de la courbe sud du stade de l'AS Roma, prisée par les «ultras», au prochain match à domicile.

Les nouveaux hooligans

Les ultras sont bel et bien au coeur du problème. Ces fanatiques du ballon rond issus des couches populaires sont facilement séduits par les groupes fascistes. Et la récession actuelle qui frappe durement la classe ouvrière italienne ne fait qu'exacerber leur sentiment d'injustice, explique Lorenzo Tondo, journaliste spécialiste du fascisme au soccer. «Le stade devient un exutoire pour leur colère, qu'ils dirigent vers les immigrants», dit-il.

Et l'immigration est un phénomène récent au pays, rappelle Paddy Agnew, auteur du livre Forza Italia: The Fall and Rise of Italian Football. «L'Italie accuse du retard dans l'intégration de ses communautés ethniques, en comparaison à la France et à l'Angleterre. En ce sens, Mario Balotelli fracasse un plafond de verre», dit l'auteur irlandais établi à Rome.

De l'avis de Lorenzo Tondo, les autorités italiennes doivent traduire les ultras en justice et suivre l'exemple de l'Angleterre avec ses hooligans. «Ils se moquent bien du fait que l'équipe soit punie à cause de leurs agissements, dit le journaliste de La Repubblica. Il faut les mettre en prison ou les bannir des stades.»

Balotelli c. les ultras

Du côté des fans, certains croient que les attaques contre Mario Balotelli sont de bonne guerre. «Il est extrêmement arrogant et querelleur sur le terrain. C'est normal que des partisans veuillent le déstabiliser», dit Fabrizio Giangrande, fan de l'AS Roma.

Un avis que ne partage pas Alessandra Caron, également fan de l'AS Roma. «Heureusement, ce n'est qu'une minorité qui entonne les cris de singe, sous les huées de la majorité», dit l'avocate de 34 ans.

Quant à Mario Balotelli, il a fait connaître son intention d'abandonner un match la prochaine fois qu'il est la cible de racisme. Nul doute que les ultras le mettront au défi.

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Des indidents qui ne datent pas d'hier

1996

Des partisans de Vérone, petite ville dans le Nord-Est, brûlent un mannequin noir afin de protester contre l'intention de leur club d'embaucher un joueur d'origine africaine.

2001

Un footballeur nigérian de 18 ans, Akeem Oluwashegun Omolade, se fait huer par les partisans de sa propre équipe, le FC Treviso, à sa première présence sur le terrain. Ses coéquipiers répliquent en se peignant le visage en noir au match suivant.

2005

Marco Zoro, originaire de la Côte d'Ivoire, ramasse le ballon en plein jeu afin de protester contre les injures provenant des partisans de l'équipe adverse, l'Inter Milan. À la suite de son coup d'éclat, la Fédération italienne de soccer déroule dans tous les stades du pays l'inscription «Non au racisme».

2009

Des bananes sont jetées à la figure de Mario Balotelli dans un bar romain peu avant sa participation au tournoi européen des moins de 21 ans. Quelques années plus tard, à la veille de l'Euro 2012, il affirme qu'il «tuerait» quiconque lui lancerait une banane pendant le championnat.

2012

Un tabloïd sportif, Gazette Dello Sport, représente Balotelli en King Kong après la victoire de l'Italie sur l'Angleterre à l'Euro 2012. Le journal s'excuse peu après la publication de la caricature.