Des joueurs de soccer sans maillot et des entraînements avec un nombre insuffisant de ballons, passe encore. Mais des adultes qui s'engueulent sur le terrain et des enfants privés de jeu à cause de leurs disputes? Des parents de Brossard se mobilisent pour arracher leur association de soccer des mains des dirigeants, qui s'accrochent. Récit d'un match... en prolongation.

«Après tout, c'est juste du soccer.»

C'est vrai. Il n'y a pas de vie en péril. La crise administrative qui secoue une petite association sportive ne justifie pas l'intervention immédiate de la Cour supérieure. Après tout, a dit un juge en avril avant que la demande d'injonction ne soit rejetée, «c'est juste du soccer».

Justement, disent les parents: le match qui oppose les dirigeants de l'Association de soccer de Brossard et les parents insatisfaits n'a plus rien à voir avec les valeurs sportives de l'organisme. L'affrontement a tellement dégénéré que ce sont désormais les enfants qui paient pour les disputes des adultes.

Depuis un an, un président élu a été expulsé par le conseil d'administration, des joueurs ont raté des matchs parce qu'on a tardé à enregistrer leur inscription, des vérifications de police au sujet des entraîneurs n'ont pas été faites, la police a dû intervenir pour calmer les disputes entre administrateurs.

Bref, s'insurge Michel Bluteau, entraîneur et père de trois joueurs, «ça n'a plus rien à voir avec le soccer».

Dehors, les râleurs?

Un soir de mai au terrain de soccer de la rue Illinois, à Brossard, en banlieue sud de Montréal, une trentaine de parents sont réunis pour partager leur désarroi.

Pour la première fois depuis deux ans, Éric et Marjolaine n'accompagneront pas leur fils au soccer, cet été. En mars dernier, ils ont appris que l'inscription de leur fils était annulée. Raison officielle: la famille habite à Longueuil. D'autres enfants de l'équipe viennent pourtant de l'extérieur de la ville. Aux yeux d'Éric - qui préfère taire son nom de famille pour éviter que son fils ne pâtisse encore plus de la situation -, la véritable raison est ailleurs: «On a trop râlé.»

L'Association est dirigée par un conseil d'administration composé d'un président et de huit vice-présidents, tous bénévoles, la plupart du temps élus par acclamation. Certains y sont depuis plus d'une décennie, beaucoup n'ont plus d'enfant en âge de jouer au soccer.

Les assemblées générales de ce genre d'organisme sont habituellement beaucoup moins fréquentées que les gradins. Selon le vice-président Stephen Scott, «pas plus d'une quinzaine de parents» s'y présentent. Le président par intérim du conseil d'administration, Jacques Létourneau le confirme: «On leur a dit: «Présentez-vous aux élections au mois de novembre!» Mais jamais personne ne vient.»

«C'est vrai, mea culpa», reconnaît Michel Bluteau. «Ce n'est pas facile de mobiliser les gens, ça prend beaucoup de temps, beaucoup d'énergie...», dit Franco Scartozzi, père de quatre enfants. Fin mars, 248 membres (près de la moitié des membres inscrits l'hiver dernier) ont signé une pétition pour qu'une assemblée générale extraordinaire soit convoquée. Le mois dernier, 150 membres ont élu un nouveau conseil d'administration, dirigé par Michel Bluteau.

L'Association se retrouve donc avec deux conseils d'administration. L'ancien conseil refuse de céder sa place, la mobilisation des parents n'émeut guère les dirigeants. Stephen Scott qualifie les récriminations des parents de «petites choses» en regard de l'ensemble de l'organisation. Et la pétition de 248 signatures? «J'ai parlé avec des parents. Ils ne savaient pas vraiment ce qu'ils signaient.»

Qui a raison? La Cour supérieure sera appelée à trancher en septembre. D'ici là, Jacques Létourneau est «prêt à discuter» avec les parents, mais dit que les discussions «tournent en rond».

Joueurs sur la touche

Pendant que les adultes se disputent sur la gestion de l'association, la saison estivale de soccer est sur le point de commencer. Et plusieurs enfants ne joueront pas. La Ville de Brossard reconnaît jusqu'à nouvel ordre l'ancien conseil. «On n'a pas à se mêler de leur gestion», dit le porte-parole Alain Gauthier.

Les parents sont outrés de cette indifférence, d'autant plus que la conjointe d'un conseiller municipal (Claudio Benedetti) est membre de l'ancien conseil. «Le maire Paul Leduc ferme les yeux sur ces décisions», s'insurge Borhane Annabi, père de deux garçons.

Éric et Marjolaine soupirent. Leur fils de 7 ans digère mal d'être séparé de ses amis. «Je trouve ça difficile, dit-elle. C'est une grosse rupture pour lui. Plus qu'on pourrait le croire.»

Borhane Annabi, lui, va retirer l'un de ses enfants de l'Association «par solidarité avec le fils d'Éric». L'un des fils de Franco Scartozzi attend toujours que son inscription soit enregistrée, ce qui l'empêche de participer à des matchs en ligue compétitive.

Certains craignent que le temps joue en faveur de l'ancien conseil. «En septembre, la saison sera finie, l'opposition pourrait s'essouffler et les gens pourraient passer à autre chose», confie l'un d'eux.

Après tout, rappellent les parents, ils sont là pour jouer au soccer.