Après trois ou quatre questions sur le sujet, Bert van Marwijk avait l'air pressé de passer à autre chose.

Mais on n'en sort pas. Quand il est question de soccer et des Pays-Bas, on en revient immanquablement au «football total», la philosophie que préconisait l'entraîneur Rinus Michels quand il a dirigé l'Ajax d'Amsterdam, puis la sélection nationale, dans les années 60 et 70.

C'est quoi, le «football total»? C'est une des écoles de pensée les plus célèbres de l'histoire du soccer, un système de jeu extrêmement fluide où les joueurs, constamment en mouvement, n'hésitent pas échanger leurs positions sur le terrain. Un chaos organisé qui a conduit les Pays-Bas à deux finales (infructueuses) de la Coupe du monde.

En 1974, les Pays-Bas avaient pris les devants dès la deuxième minute, sur un penalty de Johan Neeskens, mais avaient néanmoins perdu 2-1 contre l'Allemagne. Quatre ans plus tard, autre défaite crève-coeur, cette fois contre l'Argentine. Avec un pointage de 1-1, Rob Rensenbrink avait touché le poteau dans la dernière minute de temps réglementaire. Et les Argentins avaient marqué deux fois en prolongation pour mettre fin aux espoirs de cette génération dorée de remporter un jour la Coupe du monde.

Trente-deux ans plus tard, les héros malheureux de ces équipes suscitent encore des soupirs nostalgiques chez les partisans des Oranje - et des questions non moins nostalgiques de la part des médias.

Devant un parterre bondé de journalistes, hier, dans un hôtel de Johannesburg, van Marwijk a été ramené en arrière à plusieurs reprises. Mais l'entraîneur des Pays-Bas n'était guère intéressé à revisiter un passé dont il ne veut de toute évidence pas faire porter le fardeau à ses joueurs.

«Les équipes de 1974 et 1978 sont une inspiration, mais nous vivons aujourd'hui dans une autre époque», a dit van Marwijk en réponse à un journaliste qui lui demandait d'expliquer la différence entre les équipes dirigées par Michels et celle qui affrontera l'Espagne en finale de la Coupe du monde, dimanche, à Soccer City. «On ne peut pas comparer avec quelque chose qui s'est produit il y a plus de 30 ans.»

Jouerez-vous cette finale pour les joueurs de 1974 et 1978? «On jouera pour tout le monde en Hollande, a répondu van Marwijk, sourire en coin. Je ne réfléchis jamais en termes de revanche. Moi, je ne regarde que le match sans rentrer dans des considérations historiques ou statistiques. Nous n'avons pas l'expérience d'une finale gagnée? L'Espagne non plus, je pense.»

La prudence de van Marwijk est compréhensible, mais le sujet est pratiquement incontournable. Après tout, le beau football qui a permis à l'Espagne de gagner l'Euro 2008 et d'atteindre la finale de ce Mondial, basé sur la possession du ballon et la domination du milieu du terrain, est un descendant direct du football total.

Après ses années à l'Ajax, Michels a dirigé Barcelone et y a exporté le style qui avait fait le succès des Pays-Bas. Cruyff - le Wayne Gretzky du foot néerlandais, pour ne pas dire du foot tout court - a marché dans ses traces, devenant une véritable légende en Catalogne, comme joueur puis comme entraîneur. Et le FC Barcelone - dont neuf joueurs espagnols participent au Mondial - a influencé à son tour l'équipe nationale.

«C'est un grand compliment pour le football néerlandais, a dit van Marwijk. Cruyff et Rinus Michels ont beaucoup influencé le jeu en Espagne et au Barça en particulier. Nous respectons beaucoup cela aux Pays-Bas mais mon équipe possède son propre style pas forcément inspiré par Cruyff et le modèle Ajax.»

Entre attaque et rugosité

Pour Michels, mort en 2005, bâtir une équipe était «un art en soi», la recherche de «l'équilibre entre les joueurs créatifs et ceux avec des pouvoirs destructeurs, entre la défense, la construction (du jeu) et l'attaque».

Van Marwijk, qui a remplacé Marco van Basten à la tête de l'équipe néerlandaise en 2008, a retenu la leçon. Avec Arjen Robben, Wesley Sneijder, Robin van Persie, Dirk Kuyt et Gregory van der Vaart, l'entraîneur de 56 ans, vainqueur de la Coupe de l'UEFA 2002 avec Feyenoord, compte sur un arsenal offensif impressionnant. Mais son équipe ne manque pas non plus de rugosité, grâce notamment au milieu récupérateur Mark van Bommel, dont l'ardeur dans le tacle dépasse à l'occasion les bornes.

S'il y a une inquiétude - et elle n'est pas mineure contre une équipe aussi bien pourvue à l'attaque que l'est l'Espagne -, elle se trouve sur la ligne arrière. Les Pays-Bas ont accordé cinq buts dans le tournoi, trois de plus que l'Espagne. Le retour après une suspension d'un match du défenseur Gregory van der Wiel et du partenaire habituel de van Bommel en milieu de terrain, Nigel de Jong, devrait toutefois stabiliser les choses pour les Oranje.

En tout cas, si van Marwijk a des craintes, il les camoufle bien. «L'Espagne est l'équipe qui a produit le meilleur et le plus beau football ces dernières années. J'ai beaucoup de respect pour cette équipe. Mais je ne suis absolument pas effrayé. Nous avons nous aussi de beaux arguments à faire valoir. Cette finale est un formidable défi. Mais nous sommes très confiants.»