La façon de suivre la Coupe du monde de foot au Québec a bien évolué au fil des ans. On est bien loin de 1970, où des gens s'étaient littéralement battus pour tenter d'entrer dans l'aréna Maurice-Richard, seul endroit à Montréal où la finale du Mondial était télédiffusée en direct.

Georges Schwartz avait alors organisé l'événement, au nom de la Fédération québécoise de soccer, en se disant que ce serait une amélioration par rapport à la Coupe du monde de 1966. La finale du tournoi anglais avait alors été télédiffusée en différé à Radio-Canada, mais plusieurs semaines après que la rencontre eut été disputée.

«À Montréal, il n'y avait qu'un seul endroit et c'était ça (en 1970), a raconté Schwartz, l'un des grands pionniers du soccer au Québec, au cours d'un entretien téléphonique avec La Presse Canadienne. Il a fallu appeler l'escouade anti-émeute parce qu'il y avait trop de monde. Il y avait de 2000 à 2500 personnes (autour de l'aréna Maurice-Richard).

«Notre service de sécurité n'arrivait pas à contenir les gens qui poussaient pour entrer. Je suis allé dehors pour les calmer et je leur ai offert de décrire la finale au microphone, mais ils tenaient à entrer. Puis, l'escouade est arrivée.»

Pendant plusieurs années, il n'y avait qu'un seul moyen pour suivre les matchs de la Coupe du monde si on habitait le Québec. À moins d'avoir une radio à ondes courtes et d'écouter une station de son pays natal, il fallait acheter des billets et se rendre dans le pays organisateur, explique Schwartz, qui a fait avancer la cause du soccer au Québec comme journaliste et comme dirigeant.

Tout a changé en 1982, quand le monopole qu'avaient les autorités du foot mexicain sur les droits de diffusion a été rompu par Joao Havelange, alors président de la FIFA. Radio-Canada avait présenté des matchs quotidiennement et le tournoi s'était terminé par un défilé impromptu dans la Petite Italie de Montréal, alors que la communauté italienne locale avait célébré la victoire de la Squadra Azzurra.

Depuis, le petit monde du soccer au Québec a pris l'habitude de communier autour de l'autel de la Coupe du monde par le truchement de la télé. D'une part, les amateurs des communautés culturelles qui se regroupent dans les bars sportifs.

D'autre part, les jeunes joueurs et joueuses de soccer qui suivent fidèlement les matchs en équipe ou en famille.

Le phénomène s'est accentué en 1990, quand RDS a acquis les droits de télédiffusion et présenté, pour la première fois, tous les matchs sans exception. Il n'a cessé de croître depuis.

Loin d'être une coïncidence, c'est à partir de 1982 que le nombre de membres affiliés à Soccer-Québec a commencé à augmenter à une vitesse folle, passant de 30 000 à plus de 200 000.

Une habitude de tous les jours

La façon de suivre la Coupe du monde a également beaucoup changé depuis 1982. Au début, chez bien des pratiquants du soccer local, qui jouaient au foot sans vraiment suivre ce sport à l'échelle professionnelle, le Mondial était une occasion de découvrir, une fois à tous les quatre ans, les attraits du foot tel que joué à son meilleur. Plus maintenant.

«Maintenant, les jeunes, ils suivent les championnats nationaux en Europe et les Coupes d'Europe assidûment (entre les Coupes du monde), grâce à des réseaux comme Gol TV, TLN et Fox Sports Network, entre autres», souligne Pierre-Richard Thomas, un ancien joueur de l'Impact qui est présentement l'entraîneur de l'équipe U-16 AAA masculine de Monteuil à Laval, en plus d'être responsable de «Boomerang pour le sport», un programme de réinsertion sociale pour jeunes adultes.

«Les joueurs qu'ils ont vus à la télé depuis quatre ans, ils les attendent à cette Coupe du monde. Après avoir suivi Lionel Messi avec le FC Barcelone, ils attendent sa consécration, de voir ce qu'il va faire en équipe nationale (avec l'Argentine).

«Les jeunes parlent vraiment des clubs de foot en Europe, et des équipes nationales, comme les amateurs de hockey d'ici parlent du Canadien, ajoute Richard. Et quand je dis à l'un de mes joueurs de me donner du Makélélé, il sait tout de suite ce que je veux dire. C'est vraiment une percée à ce niveau-là.»

D'une génération à l'autre

Dans les bars sportifs, les différentes communautés culturelles continuent plus que jamais de se regrouper entre elles pendant la Coupe du monde. Une habitude qui se transmet aux fils et filles d'immigrants, selon Herman Alves, vice-président au marketing de la Station des Sports, une chaîne de bars sportifs dont environ 60 pour cent de la clientèle est allophone.

«Pour le football-soccer, ça va de 18 à 75 ans parce que la première génération d'immigrants fréquente les bars pendant le Mondial», explique Alves.

Les moins de 35 ans des communautés culturelles sont toutefois de plus en plus nombreux à assister à la diffusion d'autres événements sportifs, comme par exemple les matchs du Canadien lors des récentes séries de la Coupe Stanley.

«Les jeunes, c'est-à-dire la deuxième génération d'immigrants, sont aussi mordus du hockey que les Québécois de souche, affirme Alves. Et à peu près 40 pour cent de notre clientèle est féminine. Elles viennent entre amies.»

La passion qu'éprouvent les jeunes pour le sport en général va en s'accentuant, selon Alves, ce qui fait que ses bars sportifs sont de plus en plus fréquentés, et pas seulement pendant les grands événements.

«L'appartenance à l'équipe nationale ou locale est de plus en plus forte, estime-t-il. Pendant ce temps, d'autres types d'entreprises, comme les clubs de danseuses (nues), disparaissent graduellement.

«Ça veut dire que les jeunes hommes, de nos jours, sont plus intéressés par le sport que par le sexe!», s'exclame Alves en riant.