Il a manqué deux mètres à Alex Harvey pour devenir champion du monde. Il martelait la piste tel un piston, remontant inexorablement sur le Norvégien Petter Northug fils. Avant de toucher aux skis du Norvégien, il s'est rangé dans les traces voisines. La ligne était tout proche. Une demi-douzaine de coups de bâton à donner. Il a levé les bras et allongé sa jambe gauche au maximum. Battu par la longueur d'une botte. Mais fou de joie dans l'aire d'arrivée.

Un an après son échec aux Jeux olympiques de Sotchi, Alex Harvey a rétabli sa réputation d'homme des grandes occasions en remportant une médaille d'argent à la première épreuve des Championnats du monde de ski nordique de Falun, en Suède, jeudi.

Après l'or par équipes en 2011 et le bronze individuel en 2013, il a complété sa collection en terminant deuxième du sprint classique de 1,4 km. Seul Northug, de peine et de misère, a pu résister à la charge furieuse du Québécois dans la dernière ligne droite pour l'emporter par cinq centièmes.

«C'est mon meilleur finish à vie, a lâché Harvey au téléphone, quelques heures plus tard. J'ai quasiment remonté Northug. Il n'y a pas grand-monde qui fait ça.»

Meilleur skieur de sa génération, le Norvégien de 29 ans a d'ailleurs l'habitude d'attendre l'emballage final pour martyriser ses rivaux. Cette fois, il a décollé dès le bas de la première côte en finale, une démonstration de puissance qui a même semblé surprendre son petit frère Tomas, qui menait la charge.

Derrière, Harvey l'avait vu venir. Cette stratégie avait fonctionné dans les rondes éliminatoires. Le médaillé de bronze Ola Vigen Hattestad avait aussi usé de cette tactique pour s'imposer au même endroit un mois plus tôt lors d'une Coupe scandinave. «Les Norvégiens savaient que c'était la meilleure stratégie, a dit le fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges. Moi, je n'ai juste pas la vitesse pour faire ça.»

Celui que les entraîneurs norvégiens surnomment «l'opportuniste» s'y est pris autrement. Pendant que Northug et l'Italien Federico Pellegrino bataillaient devant, Harvey s'est patiemment repositionné dans le groupe, aidé par des skis très rapides dans les descentes. Moment crucial sur la dernière rampe, il s'est glissé entre Pellegrino et Hattestad pour déboucher troisième dans la ligne droite finale.

Irrésistible en double poussée, il a déposé l'Italien avant de passer bien près de reprendre un Northug en perte de vitesse. «Il me manquait deux mètres pour le dépasser», regrettait Harvey.

Le vice-champion mondial est néanmoins comblé. «Aujourd'hui, tout a cliqué: la forme, la stratégie, les skis. On avait vraiment de super skis.»

Ce final endiablé lui a rappelé son titre mondial d'Oslo, alors qu'il avait coiffé Hattestad devant des milliers de spectateurs médusés. Dans une enceinte en tous points semblable, il a cette fois senti un souffle favorable de la foule suédoise, privée de Teodor Peterson, éliminé en demi-finale.

«À Oslo, c'était quand même un titre de champion du monde, c'est dur à battre, a comparé Harvey. Mais ça se rapproche beaucoup. C'est mon plus beau moment dans une course individuelle.»

Dans l'aire d'arrivée, l'athlète de 26 ans a serré la main de Northug, qui gisait dans la neige. En demi-finale, les deux rivaux se sont presque accrochés lorsque le Norvégien s'est rabattu sur le Canadien. «C'était un peu limite, mais au moins je suis resté sur mes skis», a dit Harvey, quatrième de cette vague, mais repêché par le temps.

Sur le podium, quelques minutes plus tard, il a rappelé à Northug que les deux se tenaient une marche plus bas deux ans plus tôt à Val di Fiemme. Quand l'hymne national a retenti, le Norvégien s'est mis à pleurer. Ce dixième titre mondial est son premier en sprint. Il survient quelques mois après sa condamnation à 50 jours de prison pour avoir provoqué un accident de la route en état d'ébriété et faussement incriminé son passager.

Dans le clan Harvey, cette médaille est un soulagement énorme. «C'est le fun, ça se règle tôt dans les championnats», se félicitait l'entraîneur Louis Bouchard. Manifestement ému au téléphone, il disait vivre son «plus beau moment» avec l'athlète qu'il dirige depuis 10 ans. «Alex, il a le goût du succès, a souligné le coach. C'est son objectif de vie. Il est prêt à mourir pour ça.»

Comme Northug, blanchi et trahi par ses skis à Sotchi, Harvey peut effacer le mauvais souvenir des JO. «C'était derrière moi, mais là, ça me permet de l'enfoncer encore plus profondément dans le sol...»

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Photo Kai Pfaffenbach, Reuters

Alex Harvey (à droite) a tout juste été devancé par le Norvégien Petter Northug (à gauche) en finale.

Vitesse et endurance

Probablement le plus endurant des sprinters, Alex Harvey vient de démontrer qu'il possède la meilleure pointe de vitesse finale à Falun. «Le travail qu'on fait dans le développement de la puissance, ça marche tellement, c'est fou, s'enthousiasme l'entraîneur Louis Bouchard. La double poussée, c'est l'enfer.»

«J'ai un bon kick à la fin, c'est bon pour les deux départs groupés, a renchéri Harvey. Je suis en bonne forme. Ça augure bien, c'est sûr.»

Son prochain départ sera le skiathlon de 30 km (15 km classique + 15 km libre), samedi (8h30 HNE). Il décidera ensuite s'il s'aligne au sprint par équipes de dimanche avec Len Valjas, excellent 14e à l'épreuve individuelle.