Alex Harvey lance sa saison ce week-end avec deux courses préparatoires à Gällivare, en Suède. Avant son départ pour l'Europe, il y a deux semaines, le fondeur a effectué ses premières sorties sur neige en plus de sept mois à la Forêt Montmorency, en plein coeur de la Réserve faunique des Laurentides. Le bonheur retrouvé, entre gouttes de pluie et flocons.

Il tombe des cordes sur Québec en ce petit matin frisquet du début de novembre. Texto inquiet de l'entraîneur Louis Bouchard: «Je vais voir les conditions et je vous informe.» À son soulagement, la neige a tenu le coup à la Forêt Montmorency, à 45 minutes au nord de la capitale nationale, au plus haut de la Réserve faunique des Laurentides. Le plan peut aller de l'avant: ses fondeurs pourront réaliser leur première sortie sur neige.

Parmi eux, Alex Harvey, qui n'a pas skié depuis la mi-mars. En cette période d'austérité à Ski de fond Canada, le traditionnel camp estival en Nouvelle-Zélande a été annulé. Le ski à roulettes, le jogging et le vélo ont leurs vertus, mais il n'y a rien comme la sensation de glisser sur la neige.

«J'avais hâte», admet Harvey, qui n'a pas chaussé les skis à l'intersaison pour la première fois depuis des années. «Au début, comme ça, c'est le fun, c'est tripant», enchaîne-t-il après cette première séance matinale de groupe en pas de patin. Veste de laine sur les épaules, la démarche nonchalante, il rapporte son plateau vide à la cafétéria de l'auberge appartenant à la faculté de foresterie, géographie et géomatique de l'Université Laval.

Depuis deux ans, dans le cadre d'une opération baptisée la «glisse boréale», la Forêt est le premier centre de ski de fond à ouvrir ses portes dans le nord-est américain. Cette année, les fondeurs pressés ont pu s'élancer dès le 31 octobre sur une piste de près de 2,5 km. Elle a été aménagée grâce aux 6000 m3 de neige artificielle entreposée tout l'été sous des copeaux de bois.

«À part peut-être sur un glacier, il n'y a pas vraiment de meilleur endroit au monde pour skier à ce temps-ci de l'année», affirme Harvey.

Le paysage et la végétation lui rappellent Bruksvallarna, en Suède, où il s'entraînait plus jeune. Le ruban de neige contraste avec le brun et le vert de la forêt. Il serpente autour d'un lac et offre une petite montée juste assez costaude. Il comprend une trace de classique et une allée centrale pour le pas de patin. «Ce n'est pas trop dur, souligne le fondeur de 26 ans. C'est ce que tu veux au début de saison, juste te sentir bien sur la neige.»

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Pendant que son poulain Harvey part faire la sieste, Louis Bouchard s'active dans la salle de fartage. À l'extérieur, le temps oscille entre la pluie et les flocons. Les conditions sont complexes, en particulier pour la sélection du fart de retenue. «Ça me rappelle Sotchi», lâche le coach, sourire en coin.

De son coffre, il sort trois ou quatre tubes de klister, cette substance gommeuse qui sert à l'adhérence en classique. Ce n'est qu'un entraînement, mais il ne veut pas que les bras de son poulain soient surchargés.

Inévitablement, la discussion bifurque vers les mésaventures des techniciens de l'équipe canadienne aux Jeux olympiques. Faute de budget suffisant, le groupe sera amputé d'un membre en moyenne au cours de la prochaine saison.

Bouchard devra remettre la main à la pâte pour pallier la situation. Il ne s'en plaint pas. La préparation des skis est une tâche qu'il affectionne. Tor Arne Hetland, le nouvel entraîneur norvégien embauché pour le circuit de la Coupe du monde, sera aussi mis à contribution. Le rôle du champion olympique de sprint individuel en 2002 sera de tester les skis. Justin Wadsworth, qui a conservé son titre d'entraîneur-chef, agira surtout comme coordonnateur.

Cette répartition du travail, officialisée lors d'une réunion d'équipe à Park City le mois dernier, obligera les athlètes à une plus grande autonomie. «Au bout du compte, ce dont ils ont besoin, c'est le ski, c'est l'équipement», justifie Bouchard.

Cette solution de compromis n'inquiète pas Harvey. Avec les retraites de Dasha Gaïazova et Chandra Crawford, le groupe féminin sera réduit à sa plus simple expression. Les techniciens seront donc moins sollicités, avance-t-il. La présence à ses côtés du skieur d'essai Lee Churchill, qui sélectionnera les skis à quelques minutes du départ, semble aussi beaucoup le rassurer.

«C'est sûr que ce n'est pas idéal, mais je ne pense pas qu'on va être affectés», juge l'athlète de Saint-Ferréol-les-Neiges.

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Blanchi aux Jeux, Harvey a néanmoins terminé troisième au classement général de la Coupe du monde, remportant le skiathlon des finales de Falun, en Suède, sa première victoire dans une épreuve de distance.

En ce début de nouveau cycle olympique, les podiums ne seront plus perçus comme des coups d'éclat. Ils seront attendus. Pression? «Je veux faire un bon résultat aux grands rendez-vous, aux Mondiaux, mais dans le fond, chaque saison, je veux défoncer la baraque!», répond le médaillé des Mondiaux 2011 (or relais sprint) et 2013 (bronze sprint). «Il n'y a rien de nouveau cette année, sinon que j'ai de plus en plus confiance.»

Les épreuves FIS de Gällivare représenteront un premier test, une mise en jambes vis-à-vis de quelques-uns des meilleurs spécialistes de classique, dont le Tchèque Lukas Bauer, le Suédois Marcus Hellner et des Russes. Un sprint est programmé demain, un 15 km dimanche.

Sur place depuis le début de la semaine, Harvey est enchanté par la façon dont il a réagi à une course simulée de 15 km. Durant l'effort d'une quarantaine de minutes, avec temps de passage prédéterminés, son cardiofréquencemètre a atteint 175, sa plus haute valeur dans ce genre d'exercice depuis la reprise de l'entraînement au printemps. «Ça veut dire que je suis capable de pousser la machine», s'enthousiasme-t-il.

Le circuit de la Coupe du monde s'ouvrira le 29 novembre à Ruka, en Finlande. Harvey veut parvenir à un premier pic de forme au minitour de Lillehammer, la semaine suivante. Les autres cibles sont le Tour de ski (3-11 janvier, Allemagne, Suisse, Italie) et les Mondiaux de Falun (18 février-1er mars), où le Québécois visera au moins une médaille.

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Retour à la Forêt Montmorency, fin d'après-midi. Bouchard remet une bûche dans le foyer de la salle de détente. «Il y a une pression, mais ça fait partie du jeu, philosophe l'entraîneur. On joue à ça. Dans ce jeu-là, il y a une partie de pression, mais il y a une partie de fun aussi. Il faut se rappeler ça.»

À l'extérieur, il se remet à neiger. La noirceur s'installe, mais Harvey est toujours sur la piste, trop heureux de faire durer le plaisir.