Au lendemain des Jeux olympiques de Calgary, en février 1988, Pierre Harvey hésitait à retourner en Europe pour terminer la dernière saison de sa carrière. Déçu et surtout écoeuré de s'être fait déclasser par des rivaux aux pratiques louches, il avait plutôt envie de prendre ses valises et de rentrer chez lui. Il s'est finalement laissé convaincre.

Un mois plus tard, Harvey prenait le départ à Falun, en Suède, là où il avait gagné sa première Coupe du monde un an plus tôt. «J'avais le couteau entre les dents. Je me disais: ma gang de tabarslak, vous allez en manger toute une! À un moment donné, il n'y a plus de stress, plus de retenue. J'ai commencé la course et ça volait, ça marchait tout seul.»

Une semaine après cette deuxième victoire à Falun, il s'imposait au 50 kilomètres d'Holmenkollen, à Oslo. Un triomphe. Jamais un fondeur de l'extérieur de l'Europe n'avait remporté ce Saint-Graal du ski de fond, qui célébrait son 100e anniversaire. Harvey avait 31 ans. Ce fut sa dernière grande compétition.

«C'était une sorte de soulagement, de délivrance, d'avoir pu réaliser mon plein potentiel. Oui, ça m'a donné le goût de continuer, mais j'avais envie de voir autre chose, de pratiquer mon métier d'ingénieur. J'avais 17 ans à mes premiers championnats du monde de vélo. Ça faisait une carrière internationale de 14 ans, à m'entraîner 12 mois par année.»

De toute façon, dans son esprit, la suite était claire. Il attendait son premier enfant. Sa place était dorénavant à la maison, à Saint-Ferréol-les-Neiges. Alex est né le 7 septembre 1988.

Il remarque Louis Bouchard

À son retour au Québec après le couronnement de sa carrière, Pierre Harvey a été accueilli à l'aéroport Jean-Lesage par un groupe de partisans. De jeunes fondeurs de la région avaient revêtu leur uniforme pour acclamer leur héros. Parmi eux, Louis Bouchard, 15 ans, membre du club élite Skibec.

La saison suivante, Bouchard a découvert qu'il était atteint d'un cancer à une jambe. Il a dû stopper la compétition et se soumettre à une année de traitement. Entre deux traitements de chimiothérapie, quand il en avait la force, il allait aider l'entraîneur de son club lors de compétitions.

Ainsi, lors d'une Coupe Canada au Saguenay, Bouchard relayait des temps de passage aux fondeurs sur le bord de la piste. Harvey, son idole, a remarqué cet adolescent affaibli. «Pierre a toujours été très généreux envers les jeunes. Il m'avait encouragé, tout simplement. Il m'avait dit que de jeunes coachs comme moi, on en avait besoin dans le sport», a relaté Bouchard en marge des Championnats du monde d'Oslo.

Ce bout de l'histoire a déjà été raconté par le collègue Alain Bergeron, du Journal de Québec. Bouchard est plus ou moins à l'aise d'en reparler. Sur le plan personnel, cette rencontre a été déterminante. Ce n'est pas un hasard s'il est devenu un entraîneur de carrière. Mais il serait déçu que l'anecdote le place au centre de l'attention. «On dit que le sport a son importance. Cette importance, je la vois peut-être plus qu'un autre», dit simplement Bouchard.

Alex a le pouvoir d'inspirer les jeunes

Aujourd'hui, Bouchard, 38 ans, est l'entraîneur d'Alex Harvey aux Mondiaux d'Oslo, au même endroit où Pierre a amorcé sa carrière de fondeur, il y a presque 30 ans. Avec son coéquipier Devon Kershaw, Harvey, 22 ans, va tout tenter aujourd'hui pour monter sur le podium au sprint par équipe.

Bouchard est persuadé qu'Alex a le pouvoir d'inspirer des jeunes. Comme Beckie Scott, championne olympique de Salt Lake City, l'a fait avant lui. L'invitation au dépassement, oui, mais aussi à faire du sport, à jouer dehors, tout simplement. De la même façon qu'un chanteur ou un musicien peut avoir une influence sur de jeunes mélomanes.

Bouchard estime que cette contribution des athlètes est bien comprise au Québec. Au lendemain de sa médaille d'or aux Mondiaux U23, en Estonie, en janvier dernier, Harvey a reçu un appel téléphonique de Jean Charest. Le jeune champion du monde s'est étonné que le premier ministre prenne la peine de le féliciter ainsi. Ses coéquipiers des autres provinces, encore plus. Louis Bouchard leur a expliqué pourquoi c'était normal. «Alex ne changera pas nécessairement la vie des gens, dit l'entraîneur. Mais il peut avoir un impact. Un impact positif.»