Chacun vit les épreuves à sa façon. Frédérique Turgeon a choisi de tourner les siennes en sa faveur.

Un mois après la mort subite de son père, terrassé dans son sommeil par un malaise cardiaque à l'âge de 60 ans, la paraskieuse de Candiac a remporté la médaille d'argent du slalom aux Championnats du monde de Kranjska Gora, en Slovénie, hier.

En bondissant du portillon de départ, à la deuxième manche, elle a pensé à son père, qui était son plus grand admirateur. Elle y a repensé en franchissant la ligne d'arrivée.

«C'est comme s'il me suivait de haut en bas», a raconté l'athlète de 19 ans en revenant à l'hôtel. «Il n'est plus là pour me dire bravo, mais il me donne une bonne motivation pour arriver en bas plus vite que les autres. J'ai ça de plus de mon bord. En fait, je le prends comme un avantage.»

Le slalom était la discipline favorite de son père, qui adorait observer sa fille couper les virages avec agressivité sur une seule jambe. Elle lui a dédié ce podium à ses premiers Mondiaux.

«Je me suis effondrée en larmes. J'aurais tellement aimé que mon père voie ça. Je suis tellement touchée d'avoir gagné cette médaille pour lui, dans son épreuve préférée. Je n'aurais jamais pensé être capable de monter sur le podium. Là, je suis vice-championne du monde. Je capote! Je ne le réalise pas encore. C'est vraiment fou.»

L'appel à sa mère et à sa soeur, demeurées au Québec, a été mémorable: «Tout ce que j'entendais dans la première minute, c'était des cris, des rires, des pleurs...»

Double gagnante d'une Coupe du monde la semaine dernière en Croatie, Turgeon, qui a chuté en géant mardi, faisait face à un plateau beaucoup plus relevé en Slovénie. Plusieurs des favorites s'étaient réservées pour les Mondiaux, dont l'Albertaine Alana Ramsay, médaillée d'argent en géant et deux fois sur le podium aux Jeux paralympiques de PyongChang.

Quatrième après une première manche prudente, Turgeon a tout misé sur la seconde, présentée sur un parcours qu'elle a décrit comme très glacé. Sa stratégie a fonctionné.

Elle ne s'en cache pas, quand sa compatriote Ramsay s'est élancée, elle voulait qu'elle rate son coup. «Désolé pour le Canada, mais j'étais prête à voler sa place pour prendre la mienne sur le podium.»

Deuxième à la première manche, l'Allemande Andrea Rothfuss, quadruple médaillée à PyeongChang, a glissé derrière Turgeon. La Française Marie Brochet, octuple championne paralympique, a réussi à conserver le premier rang.

«Ça veut dire qu'aux prochains Jeux paralympiques, dans quelques années, mes chances de médailles sont vraiment fortes, a souligné Turgeon. J'ai ma place parmi les meilleures au monde. À partir de cette année, c'est mon tour!»

Pour toute célébration, la vice-championne mondiale s'est offert une pizza pour le souper. Les championnats ne sont pas finis. Ils se déplacent à Selle Nevea, en Italie, pour les épreuves de vitesse. Sa médaille d'argent lui a ouvert l'appétit: elle vise encore le podium en descente (mardi), au super combiné (jeudi) et en super-G (vendredi prochain).

L'équipe canadienne restera au même hôtel, mais Turgeon songe à s'installer à Selle Nevea pour retrouver un peu de calme. «Je veux pouvoir me concentrer sur mes compétitions. Juste aujourd'hui, d'avoir gagné la médaille, c'est bien, l'équipe est super contente, mais ma compatriote ne l'est pas tellement... En même temps, je dois composer avec le deuil de mon père. Ça fait beaucoup d'émotions. J'essaie de gérer ça de la meilleure façon.»