Un skieur était plus rapide que les autres sur la piste Beauvallon, hier matin, à Mont-Tremblant. Il ne fallait pas cligner des yeux pour le voir passer. Erik Guay avait beau effectuer ses premières descentes depuis son opération au genou gauche, il n'était pas là pour admirer le lac au loin.

Même pour ce simple échauffement, destiné à tester la solidité de son articulation, l'ancien champion du monde dévalait la pente à un train d'enfer. Sur cette piste intermédiaire, au milieu de skieurs de tous les niveaux, le contraste était saisissant. Guay trouvait d'ailleurs l'endroit un peu trop achalandé. Il ne craignait pas un accident, mais plutôt d'en effrayer quelques-uns.

Au sommet de la montagne, de jeunes membres d'un club de compétition, âgés d'une dizaine d'années, étaient pour leur part béats d'admiration devant le skieur canadien le plus décoré de l'histoire, reconnaissable à son casque bleu et argenté. Les filles les plus hardies se sont avancées pour lui parler, et la vedette du jour a vite été entourée. Quelques questions, une photo et il était reparti.

À sa deuxième journée sur les planches après un hiatus forcé de neuf mois, Guay avait hâte de savoir comment allait réagir son genou gauche. «Des fois, en salle et en ski, c'est deux choses, a-t-il avancé. Pour l'instant, tout va bien.»

Après quelques descentes dans la Beauvallon, Guay a annoncé à son entourage qu'il se dirigeait vers le versant nord et la Jasey-Jay Anderson. La piste nommée en l'honneur du médaillé d'or olympique de surf des neiges offrait un dénivelé plus prononcé, des rouleaux, un revêtement inégal et une lumière mate. De quoi pimenter cette sortie en ski libre, a fortiori lorsque des entraîneurs locaux y ont tracé un parcours de géant, limitant Guay à une bande étroite en bordure du bois.

«De petits scénarios comme ça, c'est le fun, ça fait changement, ça fait différent», a exprimé l'athlète de 33 ans, satisfait de sa matinée, en remontant une dernière fois dans le télésiège Duncan Express.

Après une dizaine de descentes, tous les signaux étaient positifs. Conrad Guay, le paternel de 75 ans, a observé le tout un peu en retrait. Pour avoir formé ses trois fils et plusieurs membres de l'équipe canadienne, il sait le niveau requis pour briller en Coupe du monde: «Erik, il ne va pas vite, là. Il pourrait faire ça sur un ski.»

Stefan Guay, le cadet maintenant entraîneur avec l'équipe nationale, était néanmoins encouragé par le comportement de son frère, qu'il n'a pas lâché d'une semelle. «Je vois qu'il n'a pas perdu de technique, pas perdu sa touche sur la neige, a-t-il noté. Le ski, quand tu en as fait pendant tellement d'années et d'heures dans ta vie, ça ne se perd pas en 10 mois. Le plus important, c'est qu'il se sente bien par rapport à son genou.»

Champion du monde junior en 2006, le jeune coach de 28 ans n'a jamais réussi à retrouver un tel sentiment de confiance après une grave blessure à un genou qui a mis fin à sa carrière en 2009.

Erik a vécu une expérience similaire aux Jeux olympiques de Sotchi, l'hiver dernier. Il préfère donc s'imposer la prudence pour son retour et contenir son enthousiasme. «Je me garde une petite gêne, a-t-il prévenu. Je ne veux pas être vraiment optimiste, arriver en Europe et connaître de petits reculs. Je pense que ça va arriver à un moment donné.»

Sa jambe gauche n'a pas encore retrouvé toute sa puissance et sa masse. Accompagné sur les pentes par le préparateur physique Scott Livingston, il s'est d'ailleurs astreint à une séance de musculation en après-midi. «Il ne m'en manque pas beaucoup par rapport à la jambe droite», a précisé Guay, évaluant le déficit à 10% tout au plus.

Le gagnant du Globe de cristal de super-G en 2010 compare sa situation actuelle à celle d'un hockeyeur blessé qui reprendrait le patinage à l'écart de l'équipe. «C'est une chose de faire des descentes à Tremblant dans une belle neige molle, c'en est une autre quand c'est glacé, bosselé et que tu vas à 150 km/h», a-t-il illustré.

En temps normal, Guay s'envolerait vendredi pour l'Europe avant de recommencer l'entraînement entre les piquets. L'absence de neige là-bas risque cependant de repousser son départ.

Par mesure de prudence, il a modifié son projet initial de reprendre la compétition à Santa Caterina juste après Noël. Le Québécois vise plutôt de jouer les ouvreurs de piste en Italie, ce qui lui permettrait de retrouver ses marques et de conserver les privilèges de coureur protégé pour l'attribution future des dossards.

Cela le mènerait à un grand retour à la mi-janvier à Wengen, en Suisse, l'endroit même où il s'est blessé un an plus tôt. Piste la plus longue sur le circuit, la Lauberhorn représenterait un excellent test avant Kitzbühel, que Guay rêve un jour d'attaquer en pleine santé.