La différence saute aux yeux: la cuisse gauche d'Erik Guay est nettement plus petite que la droite. L'atrophie est particulièrement évidente autour de son genou, opéré le 25 juin. Trois mois et demi plus tard, il n'est toujours pas en mesure de pousser la machine. Il a déjà fait une croix sur la première Coupe du monde de vitesse de la saison, à Lake Louise, fin novembre, une première pour lui en 13 saisons sur le circuit.

Pour un athlète qui a dû composer avec les blessures toute sa carrière, cela étonne. Mais justement, dans la perspective de poursuivre quatre ans jusqu'aux Jeux olympiques de Pyeongchang, en Corée du Sud, l'heure est à la prudence extrême.

Dans le meilleur des mondes, le skieur de 33 ans reprendra la compétition à la fin décembre, pour la descente de Santa Caterina, qui remplace celle de Bormio, dont les organisateurs se sont retirés pour des considérations financières. Un moindre mal pour le Québécois, troisième sur l'exigeante Stelvio de Bormio l'an dernier, mais qui retrouverait dans la station voisine de Santa Caterina une piste mieux adaptée à un convalescent.

Encore là, ce scénario est hypothétique. «Ce n'est peut-être pas réaliste non plus», pense Guay, rencontré en milieu de semaine après un entraînement en salle à Montréal. Burkhard Schaffer, son coach des premières heures qui reprend du service avec l'équipe canadienne, l'a bien prévenu: pas question de revenir si c'est pour finir 40e. «Janvier, ça me donnerait un peu plus de temps pour me préparer comme il faut», concède celui qui avait obtenu son 21e podium à Bormio, surpassant ainsi la marque nationale de Steve Podborski (il en a maintenant 22).

Cette prudence est amplifiée par une inflammation soudaine subie peu après la reprise de l'entraînement, il y a un peu plus d'un mois. La chirurgie, plutôt rare, a consisté à greffer un morceau d'os pour obturer un trou de 1,5 centimètre sur la tête du fémur.

«Ça s'est mis à enfler et j'avais très mal, même en montant des escaliers, illustre-t-il. Je ne savais pas ce qui allait se passer. J'avais de la misère avec tout ce que je faisais. Dans ma tête, j'étais un peu perdu.»

Au point d'envisager la douloureuse possibilité de rater l'entièreté de la saison. Aujourd'hui, il n'écarte pas complètement ce scénario de dernier recours, mais les nouvelles récentes sont encourageantes. «Il a été ennuyé par la douleur un peu au début, mais on a passé cette phase, évalue son préparateur physique, Scott Livingston. Je suis heureux de la façon dont ça progresse maintenant.»

Renforcement et équilibre

Pendant que le vice-champion olympique des bosses Mikaël Kingsbury, à quelques pas de là, multiplie les sauts à grand impact, Guay doit se contenter d'exercices de renforcement, d'équilibre et de proprioception. «On essaie d'intégrer la rééducation du genou à l'entraînement général à ce point-ci, enchaîne Livingston, qui supervise le moindre mouvement de ses poulains. Mais on essaie de le faire de façon conservatrice parce qu'on ne veut pas irriter le genou.»

Après une phase qu'il qualifie de «poivre et sel», le préparateur annonce à Guay qu'il «épicera les choses» à partir de la semaine prochaine. Si tout va bien, à la fin du mois, l'ancien champion du monde de descente pourra s'attaquer à des exercices plus précis, où il reproduira les mouvements qu'il exécute sur les pentes comme l'absorption, l'accélération et la décélération.

«On veut s'assurer que son genou sera dans une excellente condition quand la saison va se terminer parce qu'on veut qu'Erik soit en santé pour la préparation de l'an prochain», dit Livingston.

En ce sens, l'absence de Jeux olympiques, qui avaient forcé Guay à se lancer dans une course contre la montre après une autre opération estivale l'an dernier, joue en sa faveur. Les Mondiaux de Beaver Creek, début février, représentent un objectif, mais pas à tout prix. «Je dois d'abord me qualifier et Burkie ne m'enverra pas si je ne peux pas gagner de médailles», prévoit-il.

Loin des pentes depuis mars, sa plus longue coupure à vie, le ski lui manque «comme tu ne peux même pas te l'imaginer». Mais avant de rejoindre l'équipe et son frère Stefan, l'entraîneur qui le suivra de très près, Guay veut d'abord chausser les planches à Tremblant, idéalement début décembre, sous la supervision de son père Conrad.

À partir de là, il aura une meilleure idée du moment de son retour à la compétition. «Pour l'instant, je suis optimiste, mais je dirais que c'est un optimisme réservé.» Il est encore loin du portillon.

Photo André Pichette, La Presse

Erik Guay fait des exercices sous l'oeil du préparateur physique Scott Livingston.

Pas d'impact sur les commandites

Au moment où il a appris qu'il devait passer sous le bistouri, en juin, Erik Guay était en pleine négociation pour le renouvellement de ses commandites. Finalement, l'opération n'a pas refroidi ses interlocuteurs. À sa surprise, Rainer Salzgeber, directeur du département course pour Head, a fait le voyage de l'Autriche à Mont-Tremblant pour conclure un pacte de quatre ans.

Après avoir passé toute sa carrière chez Atomic, Guay rejoint donc le concurrent, qui équipe déjà des skieurs de renom comme Aksel Lund Svindal, Ted Ligety et le nouveau venu Alexis Pinturault. Pour ce qui est de Red Bull, qui le soutient depuis 2006, il s'est entendu sur les principes d'une entente de quatre ans, renouvelable après la deuxième année.