Erik Guay était sur son vélo quand il a répondu au téléphone. Signal plutôt positif pour quelqu'un qui revient d'une arthroscopie à un genou. La réalité est tout autre. Toujours aux prises avec des douleurs au genou gauche, le skieur de Mont-Tremblant doit repasser sous le bistouri d'ici le 25 juin, pour ce qui s'annonce comme l'opération de la dernière chance.

À 32 ans et maintenant père de trois petites filles, Erik Guay est à la croisée des chemins. «Je pense que ça va être la dernière fois que je me fais opérer», annonce le skieur canadien le plus prolifique de l'histoire.

La motivation de s'engager pour le prochain cycle olympique est toujours là. Mais le corps envoie des signaux préoccupants depuis une arthroscopie visant à nettoyer son genou, à la fin d'une saison marquée par une énorme déception aux JO de Sotchi.

Incapable de soutenir le rythme à l'entraînement plus que quelques journées consécutives, il a passé un examen d'imagerie par résonance magnétique au début du mois. Les résultats l'ont sonné: un trou à la tête de l'os fémoral était passé de 8 à 14 mm.

De l'avis général, une opération complète est nécessaire pour espérer un rétablissement total. La convalescence prévue est de cinq mois. Cela signifie manquer tout l'entraînement estival, comme l'an dernier, et le début de la prochaine campagne.

Au mieux, il pourra reprendre le collier à Val Gardena, en décembre, mais il est plus réaliste de penser à un retour pour les classiques de janvier. Au pire, ce sera la fin d'une brillante carrière de 12 saisons, jalonnée de 21 podiums en Coupe du monde, d'un Globe de cristal en super-G (2010) et d'un titre mondial en descente (2011).

La retraite?

Ralenti par des blessures aux genoux et au dos depuis de nombreuses années, Erik Guay sait que l'éventualité de la retraite est plus réelle que jamais. Il en a discuté avec son entourage.

«On en voit parfois des blessures dont on ne peut pas se remettre, concède-t-il. Ce sont des réalités. Je suis un gars qui regarde ça de tous les angles. Je vois que c'est possible que je passe l'opération et que je ne sois pas prêt cette année. Que ça continue à niaiser et que je ne revienne pas où j'étais avant. Il y a toujours cette chance-là. Mais je suis encore motivé. Je trouve que j'ai encore beaucoup de temps devant moi.»

Au-delà de la médaille olympique qui lui échappe toujours, Guay rêve d'une saison de Coupe du monde constante, où il serait candidat au podium de semaine en semaine. Avec la naissance récente de Marlo, sa troisième petite fille, il n'est cependant pas prêt à mettre en péril sa santé à long terme. «C'est sûr que je ne veux pas être en béquilles et avoir de la misère à courir.»

Commandites en suspens

Cette autre blessure, probablement une séquelle de celle survenue à Wengen en janvier et qu'il a traînée jusqu'à Sotchi, survient à un bien mauvais moment. Le skieur québécois était heureux de pouvoir compter sur le retour de son premier entraîneur dans l'équipe canadienne, l'Autrichien Burkhard Schaffer, dont le départ en 2006 l'avait toujours laissé amer. Son frère cadet Stefan devient aussi entraîneur à part entière de l'équipe de vitesse.

Au moment d'apprendre la mauvaise nouvelle, Erik Guay s'apprêtait aussi à annoncer le renouvellement de son contrat de commandite avec Red Bull, qui a fait de lui un homme riche depuis le début de leur association, en 2006.

Changement majeur, il avait aussi décidé de se séparer d'Atomic, son fidèle équipementier depuis ses débuts en Coupe du monde, pour rejoindre Head, qui tient le haut du pavé sur le circuit depuis quelques saisons. Il ne restait qu'à parapher le contrat.

Guay a rappelé les représentants des deux entreprises pour les mettre au courant de sa nouvelle condition. «J'aurais pu ne rien dire, mais j'ai aussi une réputation. Je ne voulais pas passer pour le gars qui essaie de se faire de l'argent en sachant qu'il a des problèmes de dos.»

Depuis, tant Head que Red Bull sont en réflexion, dit le skieur. «Avec Head, je trouve que le contrat avait du bon sens. C'était vraiment axé sur les bonus. De mon point de vue, je pense que ça devrait rester le même contrat. Mais ils voulaient y réfléchir. Red Bull, c'est autre chose. Ce sont quand même de grosses sommes d'argent. Je comprends leur position: ils pourraient aller chercher trois bons jeunes skieurs pour le même prix. J'espère qu'ils voudront rester avec moi et m'aider à passer à travers, mais il y a le côté business.»

Bref, l'incertitude est complète. «J'essaie de garder le moral, s'encourage Guay. C'est facile avec les enfants, je passe à autre chose. Je suis pas mal occupé à la maison. Mais... ce n'est pas super facile non plus. J'adore skier, j'adore la compétition. Je veux que ce soit simple.» Pour le moment, c'est tout le contraire.

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Erik Guay et les blessures

Les blessures sont le lot de presque tous les skieurs qui évoluent dans le Cirque blanc. Mais au fil d'une carrière de 12 saisons, Erik Guay a été particulièrement touché. Résumé de sa chronique médicale.

Décembre 2003

Trois semaines après son tout premier podium en Coupe du monde, son genou gauche éclate à la suite d'une chute lors d'une descente d'entraînement à Val Gardena. Déchirure du ligament croisé antérieur, blessure classique en ski alpin, et fin de sa saison. Pendant deux ans, il ressent de la douleur à la tête du fémur. Il se demande même si ses problèmes actuels ne sont pas attribuables à cette blessure. « Peut-être que j'ai comme tué l'os sur l'impact », suggère-t-il.

Février 2006

Blessé au mollet gauche, il déclare forfait pour la descente des Jeux olympiques de Turin. Grâce à des antidouleurs, il prend le départ du super-G six jours plus tard. Il termine quatrième, à un dixième du podium.

Octobre 2007

Il se fait mal au dos lors d'une séance de musculation, ce qui le force à repousser le début de sa saison. En apparence anodine, cette blessure le suivra pendant plusieurs années.

Septembre 2012

Un violent impact au genou droit le force à abandonner un stage d'entraînement au Chili. Une arthroscopie est nécessaire, ce qui ne l'empêche pas de connaître du succès, dont une deuxième position à la descente de Kitzbühel. Sa saison se termine prématurément en raison d'une contusion au péroné de la jambe gauche.

Juillet 2013

Le genou gauche lui cause encore des problèmes et il doit se soumettre à une autre arthroscopie. En cette saison olympique, il doit faire une croix sur l'entraînement sur neige. Il effectue un retour impressionnant en remportant la descente de Val Gardena et en terminant troisième à Bormio, pour devenir le skieur canadien le plus décoré de l'histoire. Son élan est stoppé net à Wengen, où il se blesse encore au genou. Diminué, il ne parvient pas à se faire justice aux JO de Sotchi (10e en descente, sortie de parcours en super-G).

Juin 2014

Opération au genou gauche, celle de la dernière chance.