Au bas de la pente, l'expression faciale de Tina Maze résumait tout: les yeux écarquillés, la bouche grande ouverte, ses lèvres dessinant un «O» presque parfait.

La future championne du monde slovène venait à peine d'enlever ses skis. En même temps que les 30 000 spectateurs transis par l'humidité, elle a été frappée d'effroi en regardant l'écran géant.

Un peu plus haut, à mi-parcours, Lindsey Vonn, sa grande rivale annoncée, a culbuté après l'atterrissage d'un saut. L'Américaine de

28 ans a frappé une porte de plein fouet, avant de glisser sur quelques dizaines de mètres, molle comme la guenille.

La reprise n'a fait que confirmer la gravité de l'accident: le genou droit s'est tordu en absorbant tout le choc. Après avoir reçu les premiers secours, Vonn a été enveloppée sur une civière et héliportée vers un hôpital de la région.

Le grand duel entre les deux meilleures skieuses du monde n'aura finalement pas lieu. En fin de journée, l'équipe américaine a confirmé la sévérité de la blessure de sa skieuse étoile: double déchirure ligamentaire et fracture du plateau tibial. Sa saison, déjà gâchée par une mystérieuse infection intestinale et un coup de blues qui lui a fait rater un mois, est terminée.

Quelle façon de lancer ces Championnats du monde de Schladming, grand rendez-vous alpin attendu par toute l'Autriche depuis St-Anton, en 2001.

En matinée, le décor était à l'avenant. Un épais brouillard enveloppait la station Planai, où sont présentées toutes les épreuves pour les deux prochaines semaines. Prévu à 11h, ce super-G féminin a été reporté pas moins de

13 fois, jusqu'à ce que le départ soit annoncé pour 14h30, heure limite fixée par les organisateurs.

Après trois heures et demie au sommet, à s'échauffer puis à recommencer entre deux cafés et un Sudoku, les skieuses, galvanisées par l'enjeu, ne se sont pas ménagées sur ce parcours inégal, mou et gorgé d'eau. La visibilité réduite ne faisait qu'ajouter à la difficulté.

Deuxième à s'élancer, la Slovène Ilka Stuhec, inconnue au feuilleton, a réalisé le temps de référence. Cinq partantes plus tard, la course a été interrompue une première fois quand un bénévole, lisseur de parcours, s'est blessé avant d'être évacué par hélicoptère. Le ton était donné.

Stuhec a ensuite été délogée par la jeune athlète prodige suisse de 21 ans, Lara Gut, future médaillée d'argent, déjà le troisième podium mondial de sa carrière.

Quand Maze s'est pointé le nez dans le portillon de départ, elle était prête. «Même avec les délais aux 15 minutes, je restais concentrée, parce que j'étais convaincue qu'il y aurait une course», a expliqué celle qui est attendue dans les cinq épreuves à Schladming. «Mais ce n'était pas facile de concourir aujourd'hui. Vous l'avez vu avec les nombreuses erreurs.»

La Slovène de 29 ans, qui survole le circuit de la Coupe du monde avec 18 podiums depuis le début de l'hiver, appréhendait particulièrement le grand saut où Vonn s'est écrasée. «C'était un premier grand défi, a-t-elle analysé. Il était très haut, puis la porte suivante arrivait presque en dessous de nous. Je savais qu'il était vraiment important de réussir la bonne trajectoire sur cette porte.»

Vonn n'a jamais eu cette occasion. Elle a frappé la porte de plein fouet après avoir basculé. Lors de sa courte conférence de presse en anglais, Maze n'a pas évoqué la mésaventure de sa rivale, dont l'état de santé n'avait pas encore été précisé.

Dans ces circonstances difficiles, l'exploit de la journée a été réalisé par l'Américaine Julia Mancuso. S'élançant quelques minutes après l'accident de sa compatriote, cette dame des grandes occasions a évité la chute à deux ou trois reprises avant de filer jusqu'à la médaille de bronze, sa cinquième à des Mondiaux.

Mancuso a admis avoir mis son «cerveau à off» à mi-chemin de sa descente, ce qui était peut-être la chose à faire pour aller vite en cette première journée un peu maudite, où les Autrichiennes se sont royalement plantées.

Au moment d'écrire ces lignes, une bordée de neige d'une vingtaine de centimètres était attendue dans la station autrichienne. De quoi faire réfléchir les organisateurs, qui ont promis de se brancher plus rapidement sur la tenue du super-G masculin, où Erik Guay sait qu'il devra «prendre des risques et repousser les limites» pour espérer décrocher une médaille. Quel sport, quand même.