Mardi, 17h, Alpenhotel, quartier général de l'équipe canadienne de ski alpin pour la Coupe du monde de Kitzbühel.

Dans le salon attenant au lobby, skieurs, entraîneurs et membres du personnel tuent le temps devant leur ordinateur. Dehors, il fait déjà noir, mais il y a de la lumière dans la remise à skis située près de l'entrée.

Shawn Gaisford, de Mont-Tremblant, et Gernot Grasser, un Autrichien, y ont installé leur atelier mobile. Ils sont techniciens. Dans le milieu, on les appelle les «servicemen». Ceux-ci sont responsables d'affûter et de farter les skis de Manuel Osborne-Paradis, Jan Hudec et Robbie Dixon. Pratiquement tout se fait à la main.

Autour d'eux, des dizaines de paires de Rossignol sont parfaitement cordées sur les murs. Il y en a combien? Gaisford fait le tour en comptant. Il s'arrête à 51.

En apparence, les skis sont identiques. Ils mesurent tous 216 centimètres. Mais chaque paire est méticuleusement identifiée. Ceux-ci passent mieux sur les surfaces bosselées. Ceux-là n'ont pas leur pareil dans l'à-pic et la glace. D'autres sont conçus davantage pour la glisse. Puisqu'une piste n'a jamais le même profil de haut en bas, il s'agit de trouver le meilleur compromis.

«Comme en Formule 1, on teste tout le temps», a dit Gaisford, en vérifiant l'affûtage d'une carre du revers de la main.

Des confidents

Âgé de 34 ans, Gaisford en est à sa huitième saison dans l'équipe canadienne de ski, sa cinquième avec le groupe masculin de vitesse. Il est le seul technicien canadien sur le circuit de la Coupe du monde.

«Personne ne veut faire ça, croit-il. On est partis huit mois par année. On fait de longues heures. On finit parfois à minuit, 1h, 2h. Aussi, ce n'est pas facile d'entrer dans la business. Et quand ça arrive, tout le monde veut faire quelque chose de plus glamour!»

Pour sa part, il ne changerait de métier pour rien au monde. Il redoute même le jour où il devra se résoudre à quitter cette «petite famille». Comme ils ne représentent pas une figure d'autorité au même titre que les entraîneurs, les techniciens reçoivent souvent les confidences des coureurs.

«Ils nous parlent de tout, de leur vie personnelle, leur maison, comment ils s'arrangent avec leur blonde. On joue plusieurs rôles: coach, psychologue, taxi, grand frère», raconte Gaisford, qui cite la toute première victoire d'Osborne-Paradis en Coupe du monde, à Kvitfjell, en mars 2009, comme l'un de ses plus beaux moments.

Fils de moniteurs, Gaisford a lui-même fait de la compétition. Parvenu au niveau Nor-Am, il a constaté que son «talent était épuisé». Devenu entraîneur de l'équipe féminine de développement, il a vite réalisé que ce boulot ne convenait pas à sa personnalité. «Je m'intéressais plus au côté garage, sous-sol, le travail un peu dans l'ombre», dit celui qui a grandi sur une terre à bois où, très jeune, il a développé son côté manuel.

Gernot Grasser, 28 ans, est lui aussi un ancien coureur. Quand il a cogné à la porte de l'équipe nationale autrichienne, il y a une dizaine d'années, il n'y avait pas de place pour lui. C'était l'époque d'Hermann Maier, des deux Ströbl, de Stephan Eberharter. Il est devenu technicien.

Grasser est payé directement par Rossignol, tandis que Gaisford, technicien multimarques, est salarié de Canada Alpin.

Tester la glisse

Deux jeunes hommes entrent dans l'atelier, les bras chargés de skis. Ce sont les testeurs: Sébastien Fillod, 27 ans, Pierre Crétier, 21 ans et fils de Jean-Luc Crétier, champion olympique de descente en 1998. Anciens coureurs, les deux Français sont aujourd'hui à l'emploi de Rossignol. Leur rôle est de tester la glisse des skis. Ni plus, ni moins.

Chaque matin, habillés comme des coureurs, ils partent sur la montagne avec plusieurs skis cirés à l'identique. En position de recherche de vitesse, ils se laissent glisser sur deux traces. La procédure est répétée trois fois pour chaque paire numérotée. Tout est compilé et enregistré: chrono, temps intermédiaire, vitesse. Sur un intervalle de 20 secondes, le temps peut varier d'un dixième au maximum.

«Si ça marche, on est contents, même si on sait que 90 % du travail est fait par le skieur et le reste par son serviceman, dit Sébastien. Nous, on se dit qu'on donne un petit coup de pouce pour optimiser la performance. Quand on pense qu'une médaille olympique peut se gagner par trois centièmes...»

La paire la plus rapide sera conservée pour la course. Le choix se fait généralement la veille du départ. Mais les conditions météo ou de la piste peuvent changer dramatiquement durant la nuit. Vers 7h du matin, les entraîneurs Paul Kristofic et Johno McBride, premiers sur le parcours, appelleront donc les techniciens pour leur transmettre des données fraîches: type et température de la neige, température extérieure, niveau d'humidité de la neige et de l'air, etc.

Les techniciens transportent les skis jusqu'au départ et accompagnent les athlètes dans le portillon. Ils sont les derniers à leur parler. Dernier coup de brosse et vérification d'usage des fixations. «Puis, dit Gaisford, on leur donne une grosse tape sur les fesses et on les envoie en bas.» Avec l'espoir que leur travail pourra faire la différence.