Jean-Luc Brassard a bien failli gagner sa médaille d'or olympique en portant les couleurs de la France. Découragé par ses conditions d'entraînement et ses difficultés financières en début de carrière, le skieur acrobatique a songé à quitter l'équipe canadienne pour rejoindre l'équipe française.

Entre les Jeux d'Albertville en 1992 et ceux de Lillehammer en 1994, Jean-Luc Brassard a été approché par un représentant de la Fédération française de ski. «J'avais eu une offre d'un agent français impliqué dans la Fédération française de ski, raconte Brassard. Il y avait moyen de regarder s'il y avait une possibilité d'aller skier pour la France. Finalement, ça ne s'est pas concrétisé pour toutes sortes de petites raisons. Il y a eu des changements à la Fédération française, la personne qui m'avait approché a quitté son poste et le projet est mort de sa belle mort.»

La suite est connue de tous : Brassard a gagné sa médaille d'or olympique aux Jeux de Lillehammer en 1994 avec la feuille d'érable sur son uniforme. Quatre ans plus tard, le skieur acrobatique a été le porte-drapeau canadien aux cérémonies d'ouverture des Jeux de Nagano.

Avant les Jeux de Lillehammer, Jean-Luc Brassard voyait d'un bon oeil la possibilité de déménager en Europe. «Ça me souriait comme scénario, car c'était plus facile pour le financement, dit-il. À l'époque, on ne faisait que se débrouiller avec l'équipe canadienne. C'est plaisant se débrouiller, mais ce qui m'intéressait, c'était d'avoir une structure et les skieurs acrobatiques français étaient pris en charge par l'État. Je ne suis pas malheureux ni aigri que ça n'ait pas fonctionné. Ç'a très bien tourné pour moi ici.»

Le financement du sport amateur a beaucoup changé depuis l'époque de Jean-Luc Brassard. Un athlète de calibre international reçoit désormais 28 000 $ par année des gouvernements. Les bourses de fondations privées et les commandites sont aussi plus intéressantes. Dans les conditions actuelles, Jean-Luc Brassard n'aurait jamais songé à porter les couleurs de la France. «Si la même situation se reproduisait aujourd'hui, ce serait un no-brainer, je resterais ici. Ça vaut la peine de rester ici et d'être à la maison. On a une belle reconnaissance», dit Brassard, qui a participé à quatre Jeux olympiques en bosses et qui agit comme analyste à la télé aux Jeux de Vancouver.

Jean-Luc Brassard n'est pas le seul skieur acrobatique à avoir songé à quitter l'équipe canadienne. Dale Begg-Smith, champion olympique des bosses à Turin et médaillé d'argent à Vancouver, a mis sa menace à exécution et représente maintenant l'Australie, son pays adoptif. Selon Begg-Smith, l'Association canadienne de ski acrobatique ne lui permettait pas de consacrer assez de temps à ses entreprises de logiciels internet, qui l'ont rendu multimillionnaire.

Une retraite de quelques minutes

Ce n'était pas la première fois que le Canada pouvait perdre le talent de Jean-Luc Brassard. Quand l'athlète de Grande-Île a remporté sa première Coupe du monde en février 1991 au mont Gabriel, il avait déjà épuisé toutes les économies familiales. Sans argent pour rejoindre le circuit de la Coupe du monde en Europe, il n'avait d'autre choix de se prendre sa retraite. «Je voyais le banquet de ma victoire comme le dernier événement de ma carrière internationale, dit-il. Je n'étais même pas aigri. C'était simplement une réalité pour moi que j'étais rendu au bout de mon financement.»

Sa retraite n'a pas duré pas longtemps. Quelques minutes plus tard, Jean-Luc Brassard a rencontré un homme qui a changé sa vie : Bernard Trottier, propriétaire des magasins de sport du même nom. Ce dernier l'a entraîné dans un corridor de l'hôtel, à l'abri des regards indiscrets, et lui a remis 1000 $ en argent comptant. «Il m'a dit qu'il me donnait cet argent à moi, personnellement, parce que s'il le donnait à la Fédération, tout le monde allait se servir et je n'aurais que des miettes, raconte Brassard. Il m'a dit de m'acheter un billet d'avion, d'aller en Europe et de finir ma saison.»

Suivant les ordres de son mécène, Jean-Luc Brassard est parti pour l'Europe et a terminé la saison au sein du top 10 mondial. Comme il était le meilleur skieur acrobatique au pays, il est entré dans l'équipe nationale, qui a pris en charge ses dépenses.

Presque deux décennies plus tard, le champion olympique n'a pas oublié la générosité de l'homme qui l'a sorti de sa première retraite. «C'est Bernard Trottier qui a sauvé ma carrière, dit Brassard. J'ai encore une dette d'honneur envers lui. J'ai eu des commanditaires plus importants plus tard dans ma carrière, mais c'est Bernard qui a été à l'origine de mes succès.»