Derrière les tribunes remplies, le clan canadien se réjouissait dans le camion de fartage stationné dans la boue. Alex Harvey, son seul cheval de course, était sorti des blocs avec entrain en ouverture des Championnats du monde de Seefeld.

Sa 16e place au sprint individuel en style libre, après son élimination en quart de finale, était le signal attendu par tout le monde, vendredi après-midi. À commencer par le principal intéressé, qui cherchait à se rassurer en vue du skiathlon de samedi, son premier véritable objectif en Autriche.

«D'habitude, quand le sprint est là, le reste suit», s'est félicité Harvey, dans son humeur des beaux jours après sa ronde.

Un peu plus tôt, le fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges avait annoncé la couleur en enregistrant le 18e chrono des qualifications, à un peu plus de quatre secondes du meneur. Il n'avait pas atteint les vagues éliminatoires réservées aux 30 premiers à ses quatre départs précédents. «La tendance est à la hausse, a-t-il annoncé d'entrée de jeu. Je me sentais bien. J'étais capable d'aller vite sans tomber dans le rouge. Je suis content.»

Déjà satisfait de ce premier «bon signe», Harvey a choisi de s'inscrire dans la cinquième et dernière vague de quart de finale, avec l'espoir de se glisser parmi les deux premiers et d'atteindre la demi-finale, comme l'an dernier sur le même parcours en Coupe du monde.

En queue de peloton dans la première longue montée, il s'est replacé au cinquième rang au bas de la descente. Au dernier virage serré avant l'arrivée, au bout d'un ultime faux plat ascendant, il s'est repositionné et a tout tenté pour s'installer au deuxième rang derrière le Suédois Svensson. Le Finlandais Ristomatti Hakola lui a toutefois fermé la porte.

Dans la dernière ligne droite, le Russe Gleb Retivykh est passé comme une flèche entre tous ses rivaux. Harvey n'est pas parvenu à rattraper Svensson et Hakola, franchissant le fil au quatrième rang. Sa journée s'est terminée là.

«Ça s'est joué tactique, a-t-il souligné. Moi, j'ai eu vraiment du punch sur la dernière petite montée. Je me suis bien placé et je pensais être capable de rentrer deuxième, mais le Finlandais a tenu. En début de montée, il a vraiment ralenti beaucoup, il a réussi à garder sa place finalement. J'ai dépensé un peu d'énergie là. À l'arrivée, c'était tellement tactique que les sprinteurs purs n'étaient pas fatigués.»

«Mais je suis quand même content du feeling général, a-t-il poursuivi. Je ne m'étais pas qualifié depuis Lillehammer [troisième à la fin novembre]. Je pense qu'il y a plus de vitesse dans le corps que la semaine passée et qu'au début du mois de janvier.»

La veille, Harvey ne s'était pas trompé en faisant de Johannes Høsflot Klaebo et Federico Pellegrino ses deux immenses favoris. En finale, le jeune Norvégien de 22 ans a facilement maté le champion en titre italien, à l'image de la finale olympique de PyeongChang, l'an dernier. Le Russe Retivykh a gagné le bronze.

Plus tôt en demi-finale, Klaebo a eu maille à partir avec Sergey Ustiugov, entré en contact avec lui par-derrière. Dans l'aire d'arrivée, le Russe a poussé le Norvégien avant de lui mettre son gant au visage. L'algarade s'est arrêtée là, mais Ustiugov a été disqualifié pour sa manoeuvre sur la piste.

Klaebo a été beau joueur en conférence de presse : «C'est le genre de choses qui arrivent en sprint, où c'est très serré. Sergey devra y voir un bon signe. Il était un peu fâché, mais ça veut dire qu'il est en bonne forme et qu'il sera très vite [samedi]. Je n'ai aucun mauvais sentiment envers lui.»

Médaillé en sprint individuel aux Mondiaux de 2013 (bronze) et de 2015 (argent), Harvey n'a plus la pointe de vitesse pure d'antan. Les podiums se font donc plus rares dans cette discipline dominée par les jeunes.

Dans ce contexte, l'entraîneur Louis Bouchard a jugé très prometteur le comportement de son protégé en quart de finale.

«Ce sont vraiment de bons signes, a-t-il relevé. Il était dans le coup jusqu'à la fin, il a failli passer. Il avait une bonne puissance, une bonne vitesse, une bonne combinaison des deux. Pour un gars de distance comme lui, qui n'est pas un sprinteur naturel, ça devrait avoir un impact positif pour ses courses de distance.»

Bouchard ne lui avait pas connu une telle vélocité depuis le début de la saison. Selon sa progression habituelle, Harvey trouve ses marques à partir de la mi-février.

Le coach s'attend donc à un bon skiathlon de 30 km (15 km de classique suivi de 15 km en style libre).

«Ça veut dire qu'il pourra s'exprimer partout, a jugé Bouchard. Si la course part vite, il sera capable de réagir. Si le peloton attend et que ça donne un gros coup à 20 km, il sera en mesure de réagir. C'est ça qu'on voit aujourd'hui: il a des outils pour réagir et courir efficacement.»

Après une entrée en scène réussie à ses derniers Mondiaux, le futur retraité a très hâte de jouer ses meilleures cartes à Seefeld.

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Par trois centièmes

Dahria Beatty regardait le tableau indicateur avec un mélange d'espoir et de résignation. Elle souhaitait que sa 30e position tienne pour qu'elle puisse atteindre les quarts. Finalement, une Estonienne, partie 15 rangs après elle, lui a chipé sa place... par trois centièmes. «L'an dernier, je me suis qualifiée au 30e rang ici et j'ai adoré skier en vagues éliminatoires. C'est un très bon parcours pour moi», a regretté la Yukonnaise de 24 ans, meilleure sprinteuse au pays. «Ça brise le coeur et c'est très dur de rater mon coup par trois centièmes et un rang. C'est clairement la course sur laquelle je me concentrais ici. [...] J'ai fait un peu un mauvais pas dans le virage au sommet de la dernière montée. Quand tu es si proche, tu retiens chaque petite chose qui s'est mal passée.» Beatty s'alignera dimanche au sprint par équipes, avec sa concitoyenne Emily Nishikawa, remise d'une fracture à un os du visage subie la semaine dernière en Italie.

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Stewart-Jones 40e

La Québécoise Katherine Stewart-Jones n'avait pas de grandes attentes pour le sprint individuel des Mondiaux de Seefeld, d'autant qu'il était disputé en style libre. Elle espérait finir parmi les 40 premières et elle s'est classée... 40e. «Je suis vraiment contente de la façon dont je me sentais aujourd'hui, a-t-elle commenté. Les vraies courses, celles qui comptent le plus pour moi, s'en viennent plus tard cette semaine.» La fondeuse de Chelsea veut se glisser parmi les 25 premières au 10 km classique de mardi et un top 8 au relais 4 X 5 km de jeudi.

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Falla bis

Deux ans après un premier titre à Lahti, la Norvégienne Maiken Caspersen Falla a remporté la médaille d'or du sprint style libre de Seefeld. La championne olympique Stina Nillson a su éviter la chute de deux de ses compatriotes dans le dernier virage pour aller chercher l'argent. Le bronze est revenu à la Norvégienne Mari Eide dans cette finale presque toute scandinave. «Je suis un peu triste, mais généralement heureuse, tout le monde sait le difficile automne que j'ai eu», a réagi Eide, qui a perdu sa soeur aînée Ida, victime d'un arrêt cardiaque lors d'une course à pied populaire en septembre. Ida Eide était également la meilleure amie de Therese Johaug, la vedette de l'équipe norvégienne.

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Valjas pour le sprint par équipes

Le nom du coéquipier d'Alex Harvey pour le sprint par équipes de dimanche est maintenant connu: l'Ontarien Len Valjas, 51e des qualifications du sprint individuel de jeudi. Russell Kennedy, l'autre candidat en lice après sa prometteuse 12e place, dimanche, à la Coupe du monde de Cogne, est tombé malade et doit déclarer forfait. Harvey décidera s'il prend le départ à l'issue du skiathlon. «C'est certain qu'on n'est pas les favoris ni des prétendants, a admis le champion mondial de 2011. On est des négligés. Mais si je le fais, on va se battre jusqu'au bout, c'est sûr.»