Elle préfère qu'on l'appelle Dory. «Dorothy, c'est trop formel.» Elle a longtemps été gymnaste. Mais à Rio, elle suivra les traces de son père, un lutteur qui a participé quatre fois aux Jeux olympiques. Entretien - en français - avec la Montréalaise Dory Yeates.

Q: Comme Martine Dugrenier, tu es passée de la gymnastique à la lutte. A priori, ça semble des sports très différents, non?

R: Je pense que de passer de la gymnastique à n'importe quel sport, ça fonctionne. C'est une discipline tellement complète. Ma soeur, par exemple, a commencé avec la gymnastique, puis elle a fait du plongeon de haut niveau. Mais la gymnastique a été dure pour mon corps. Les deux dernières années de ma carrière en gymnastique, j'ai vraiment tout donné pour voir jusqu'à quel niveau je pouvais me rendre. Des fois, tout mon corps me faisait mal. Mais je me suis rendu compte que je ne pourrais pas me rendre aux Jeux olympiques en gymnastique. Je n'étais pas parmi les meilleures.

Q: Ton père, Doug, a participé à quatre présentations des Jeux olympiques en lutte. Aller aux Jeux a-t-il toujours été ton but?

R: Oui. Ma soeur et mes deux frères aussi ont eu ou ont encore ce rêve. Mais quand j'étais petite, je ne savais pas ce que ça voulait dire vraiment. Je pensais qu'aller aux Jeux, ce n'était rien, c'était facile. À l'école, chaque semaine il fallait écrire son journal. Moi, ça m'est arrivé de mentir et d'écrire que durant la fin de semaine, j'étais allée aux Jeux olympiques et que j'avais remporté l'or! Je pensais que le prof allait me croire. C'était ridicule!

Q: Et pourquoi as-tu choisi la lutte?

R: Après la gymnastique, j'ai essayé quelques sports. Mais en lutte, les résultats sont venus très vite. Je suis devenue championne canadienne rapidement, ce que je n'aurais jamais pu faire en gymnastique.

Q: Qu'est-ce que tu aimes dans ce sport?

R: Plein de choses. Des fois, encore aujourd'hui, je fais des cauchemars dans lesquels je suis dans une compétition de gymnastique. Des cauchemars! En gymnastique, il faut être parfaite, refaire la même routine cent fois... C'est très stressant. En lutte, ce n'est pas la perfection, c'est plus l'adaptation. C'est un combat et il faut réagir à ce que fait l'autre. C'est beaucoup plus stratégique et la stratégie est une de mes forces. Pour être un bon lutteur, il faut être intelligent. En gymnastique, ça ne compte pas beaucoup.

Q: Et là, tu vas à Rio. As-tu des objectifs en tête?

R: Je sais que mes adversaires ne vont pas me considérer comme une menace. Je sais que mon classement aux derniers Mondiaux n'a pas été super. Mais en janvier dernier, j'ai battu la championne olympique, qui a perdu peut-être deux ou trois fois dans les cinq dernières années. Alors je sais que je suis capable de la battre. Je sais que je pourrais causer une surprise à Rio, et peut-être même aller chercher une médaille.

Q: En regardant Ronda Rousey et le succès qu'elle connaît à l'UFC, as-tu déjà eu envie de te lancer dans les arts martiaux mixtes?

R: Avant, ça m'arrivait, oui. J'ai commencé à m'entraîner au Tristar pour voir si j'aimais ça. Je ne suis pas encore décidée. Mais quand Ronda a perdu, ça ne ressemblait pas à une de mes défaites en lutte. Moi, j'accorde trop de points, je perds. Elle, elle s'est fait casser la mâchoire, elle a été blessée au cerveau, elle a subi une commotion. C'est tellement dangereux. Mon autre objectif dans la vie est d'avoir un diplôme à l'école [NDLR: elle étudie à McGill en génie civil]. Si j'ai des problèmes au cerveau, je ne pourrai pas vraiment travailler. Dans quatre ans, j'aurai 26 ans, j'aurai eu mon diplôme, j'aurai peut-être participé à deux Jeux. À ce moment-là, je prendrai une décision. Ça a l'air le fun, les arts martiaux mixtes. Je ne sais juste pas si le risque en vaut... Comment vous dites? Je ne sais pas si le jeu en vaut la chandelle.

Q: Tu as un très bon français. C'est grâce à tes cours de langue seconde à l'école?

R: En fait, j'ai surtout appris la langue à la gymnastique. Le français de ma soeur et de mes deux frères n'est pas super bon. Mais moi, de 5 à 14 ans, à mon club de gymnastique au marché Atwater, tout le monde parlait français. Ma coach pendant plusieurs années était une souverainiste. Elle n'aimait pas trop les «Anglais». Alors c'était certain que je devais parler français. Mais je suis contente parce que, aujourd'hui, ça m'aide beaucoup.

Q: Y a-t-il autre chose dont on n'a pas parlé mais qui est important pour toi?

R: Les pitbulls, j'aimerais parler des pitbulls. Je suis activiste pour le droit des pitbulls. Quand il y a des levées de fonds pour la cause, j'essaie d'y participer. Moi aussi, avant, j'avais l'idée que les pitbulls étaient des chiens méchants. Mais en 2012, je suis allée à la SPCA pour voir le travail qu'ils font. J'ai été surprise de voir que presque tous les chiens là-bas étaient des pitbulls. Ça m'a choquée. J'ai décidé d'en adopter deux, des chiots. Ce sont les meilleurs chiens du monde. Ces chiens sont gentils, pas plus méchants que des golden retrievers. En Ontario, ils ont mis en place une loi pour les interdire et ils ont dû tuer une tonne de pitbulls. C'est injuste. Selon moi, il s'agit de mettre en place des programmes pour apprendre aux gens à devenir de meilleurs maîtres.