Aller s'entraîner deux fois par jour. Répéter les mêmes gestes, faire les mêmes projections, atterrir mille fois le dos sur le tapis. Se relever et recommencer, depuis l'âge de 5 ans. Antoine Valois-Fortier est l'un des plus beaux espoirs de médaille pour le Canada. Mais avant tout, il est judoka dans l'âme.

Stéphane Fortier se souvient d'un après-midi dans sa maison de Beauport, près de Québec. Son fils Antoine devait avoir 14 ans. L'ado était fatigué, s'était endormi sur le canapé, et ses parents n'avaient pas osé le déranger.

«Je me souviens que quand il s'était réveillé, il était fâché qu'on l'ait laissé dormir. Il était choqué, raconte Stéphane Fortier. Il avait manqué le judo!»

Douze ans plus tard, Antoine Valois-Fortier se trouve dans les locaux hyper modernes de l'Institut national du sport, dans le Parc olympique. Le dojo est flambant neuf. Ils sont une quarantaine de jeunes judokas à s'entraîner là.

Valois-Fortier se tient un peu à l'écart. Il est le seul médaillé olympique dans la pièce, à l'exception du colosse Nicolas Gill, devenu entraîneur et qui scrute la salle avec l'oeil de celui qui en a vu d'autres.

Valois-Fortier s'exerce à des prises et des projections avec un judoka un peu plus petit que lui, tête rasée, qui a l'air fort comme un boeuf. Il s'appelle Joichi Hirao, il est japonais et il est à Montréal pour servir de partenaire d'entraînement au Québécois.

Celui-ci empoigne le judogi du Japonais et le projette sur le tapis bleu. «Boum.» Les deux athlètes restent assis sur le tapis. C'est la fin de l'entraînement. Ils sont à bout de souffle. «Jette-toi avec lui quand tu le projettes, allez, vas-y», lance un entraîneur à Valois-Fortier.

Le Japonais et le Québécois recommencent... une fois, deux fois, trois fois.

Quand l'entraînement se termine, ils sont à bout. Tous les judokas retraitent vers les vestiaires, même Joichi Hirao. Valois-Fortier, lui, reste là.

Il se place à un bout du tapis, puis se met à sauter vigoureusement le plus haut possible en direction du côté opposé. C'est un exercice d'impulsion. Il recommence quelques fois ce manège, qui a l'air pénible au possible. Ses cuisses brûlent. Les autres sortent du vestiaire habillés et commencent peu à peu à quitter le dojo quand le médaillé a finalement terminé son entraînement.

«On ne se le cachera pas, ici, je ne suis pas challengé au quotidien par les partenaires d'entraînement, explique Valois-Fortier, 26 ans. Le but en amenant Joichi au Canada, c'était d'avoir quelqu'un pour me pousser, m'amener à me dépasser, et je pense que c'est mission accomplie.»

Le Canada n'est pas un pays de judo. Antoine Valois-Fortier est devenu aux Jeux de Londres en 2012, lorsqu'il a gagné le bronze, seulement le quatrième Canadien à remporter une médaille olympique dans cette discipline. Nicolas Gill l'a fait deux fois, en 1992 et en 2000.

«On a 20 000 judokas au Canada. Le bassin dans certains pays se compte en millions, explique Gill, qui est désormais l'entraîneur principal de l'équipe nationale de judo. Ce n'est pas évident de trouver des partenaires d'entraînement à son niveau.»

Une passion qui ne veut pas mourir

Après la séance du matin, Valois-Fortier va rentrer chez lui pour se reposer avant l'entraînement du soir. Il a un horaire chargé: en plus du judo, il termine un baccalauréat en kinésiologie. «Pour voler la job de Nicolas [Gill] un jour!», dit en rigolant le judoka de 26 ans.

Il y a deux ans, il a déménagé dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, pour être plus proche des nouveaux locaux de l'équipe nationale. «Ça change de NDG», lance l'athlète, en référence au quartier bon chic bon genre où il vivait naguère.

Mais il n'avait pas le choix de se rapprocher du Stade. Il s'entraîne deux fois par jour du lundi au vendredi, ainsi que le samedi matin.

Quand il n'est pas au Stade, c'est qu'il est en voyage, soit pour une compétition ou pour parfaire son judo auprès des meilleurs. Chaque année, il fait un pèlerinage au Japon. Il y est allé deux fois cette année.

«Tout judoka de haut niveau doit faire au moins une fois dans sa carrière un voyage au Japon.»

«Les Français le font, les Russes le font. C'est là que le niveau de judo est le plus relevé et là où le nombre de partenaires d'entraînement est le plus élevé. C'est un incontournable.»

Son père l'avait inscrit au judo quand il avait 4 ou 5 ans. «C'était une façon de lui faire gaspiller un peu d'énergie et aussi de lui apprendre un peu de discipline», raconte Stéphane Fortier. C'est que le petit Antoine déplaçait de l'air, pas mal plus que ses trois soeurs.

À Beauport, arrondissement de la ville de Québec, le judo était un sport quasiment exotique. Valois-Fortier pratiquait aussi le vélo, le ski et le basketball. Mais son coeur penchait pour l'art martial.

«Il en mangeait, et il en mange encore, explique son père. Antoine suit tout le monde, visionne tous les combats de tout le monde, tous les tournois. Le judo, c'est le focus de sa vie. Il est très discipliné.»

Le matin, Antoine Valois-Fortier n'a pas toujours le goût d'aller à l'entraînement. Le judo est un sport répétitif. Ses mouvements usent le corps.

«Ça ne me tente pas toujours. Mais j'y vais quand même. Cette motivation-là, je la garde au plus profond de moi, dit-il. Je suis judoka. Je suis vraiment passionné. Du judo, j'en regarde tous les jours et je ne me tanne pas.»

Plus mature

En quatre ans depuis Londres, Valois-Fortier a gagné en maturité. Il a fini 2e aux Mondiaux de 2014, 3e à ceux de 2015. Il sait qu'il a sa place dans l'élite à Rio, même s'il évolue dans une catégorie de poids ultra-compétitive (moins de 81 kg).

«À date, depuis quatre ans, les choses s'écrivent comme elles doivent s'écrire pour Antoine, lance Nicolas Gill. Il ne reste qu'à espérer que le chapitre final soit une fin heureuse.»

En attendant, médaille ou pas, Antoine Valois-Fortier savoure tous les moments de sa vie de judoka: les compétitions, les entraînements avec Joichi, les voyages au Japon. Être judoka au Québec est un drôle de parcours. D'une certaine façon, c'est une vocation. On est judoka dans l'âme ou on ne l'est pas.

«On est loin du salaire des gars de hockey, dit-il. Mais il reste que je gagne ma vie à faire ce que j'aime le plus au monde, alors je ne peux rien demander de plus!»