Je viens de lire avec intérêt la chronique de Réjean Tremblay sur Émile Butch Bouchard que vous pouvez retrouver en cliquant ici.

J'ai lu moi aussi des tonnes de documents à son sujet et je me pose également la même question. Qui bloque ce défenseur qualifié par plusieurs comme le meilleur de sa génération?

J'avais d'ailleurs écrit à cet effet en novembre 2006 une chronique intitulée "La mémoire est une faculté qui oublie":

La mémoire est une faculté qui oublie. Même les célèbres fantômes du Forum n'y échappent pas. À trois ans des célébrations du centenaire du Canadien de Montréal, le dossier le plus délicat chez le Tricolore concerne le retrait des uniformes de ses plus vieux guerriers.

À ce jour, les 30 premières années de la glorieuse histoire de l'équipe ont presque totalement été ignorées. Même si le Tricolore a réalisé trois de ses 24 conquêtes de la Coupe Stanley au cours de cette période, un seul numéro a été retiré, le 7 de Howie Morenz.

L'animateur Ron Fournier, qui prend ce dossier très à coeur, n'a pas tort de hurler. C'est comme si tout un pan de l'histoire du Tricolore avait été oublié et que la reconnaissance ultime échappera aux Georges Vézina, dont un trophée remis au gardien par excellence porte le nom, Bill Durnan, six fois gagnant du Vézina, Émile «Butch» Bouchard, trois fois membre de la première équipe d'étoiles de la LNH, Aurèle Joliat et Elmer Lach, ce fameux complice de Maurice Richard qui a remporté deux fois le championnat des compteurs de la Ligue nationale.

On marche sur des oeufs chez le Tricolore quand on aborde cette question. Personne ne veut se prononcer publiquement. On nous répond que malheureusement, la plupart des personnes qui pourraient témoigner des exploits de ces anciennes gloires sont décédées et que ça aurait été aux administrations précédentes de réagir. Et surtout, que ça pourrait devenir un fouillis total de sélectionner quelques candidats dans le lot parce que 44 d'entre eux ont déjà été admis au Temple de la renommée du hockey. Qui choisir sans insulter les autres ou leur mémoire?

Le premier argument est plutôt faible. Il s'est écrit des millions de livres sur des personnages célèbres de l'Histoire sans que les auteurs n'aient connu leurs sujets. Suffit de consulter les archives.

Quand, par exemple, le directeur général du Canadien à l'époque, Frank Selke, déclare le 21 janvier 1948 à Syd Thomas du Hockey News qu'il a refusé l'offre des Rangers d'échanger Émile Bouchard contre quatre joueurs parce qu'il demeure le meilleur défenseur de la Ligue, et surtout plus utile à son équipe que n'importe quel hockeyeur de la LNH, nul besoin de recueillir le témoignage d'un joueur qui l'a vu à l'oeuvre.

L'entraîneur Dick Irvin en ajoute dans une conversation avec des journalistes rapportée par La Presse le 17 avril 1953, au lendemain de la conquête de la sixième Coupe Stanley du club :

- Vous savez qui a été le meilleur joueur dans les éliminatoires, n'est-ce pas?

Les réponses sont diverses.



- Lach? Geoffrion? Le Rocket? McNeil?



- Vous êtes tous dans l'erreur, corrige l'entraîneur du Canadien. Les joueurs que vous avez nommés ont brillé, mais le grand artisan de nos victoires contre les clubs Chicago et Boston fut Émile Bouchard. Butch est le meilleur joueur de défense qui n'ait jamais évolué dans la NHL et quand il partira, la direction de mon club se rendra compte qu'il y aura un grand trou dans nos rangs. Bouchard, je le répète, est le meilleur joueur de défense que je n'aie jamais vu dans la NHL.

Ce même Irvin avait déclaré quelques années plus tôt que Bouchard était le meilleur joueur de défense de la Ligue depuis Eddie Shore, et peut-être supérieur.

De multiples autres témoignages de gens fort crédibles confirment que Bouchard, dont le fils Jean lance dimanche un site Internet dédié à son père âgé de 86 ans, fut un acteur de premier plan dans l'histoire du Canadien.

«Le plus extraordinaire des capitaines...» lance Dickie Moore au bout du fil lorsqu'on évoque le nom d'Émile Bouchard.

Moore, dont le chandail numéro 12 a été retiré l'an dernier conjointement avec celui d'Yvan Cournoyer, est l'un des rares hockeyeurs toujours vivants à avoir joué en compagnie de «Butch» Bouchard, considéré comme le protecteur de Maurice Richard.

«Il a été un grand leader, dit au bout du fil celui qui se remet tranquillement de son terrible accident de la circulation survenu il y a quelques mois. J'avais 19 ans quand j'ai commencé à jouer pour le Canadien et il m'a tout appris. Il a appris à tous ces défenseurs qui l'ont suivi, dont Doug Harvey. Je suis d'accord avec ceux qui affirment qu'il a été l'un des meilleurs de son époque.»

«Ça serait fantastique qu'on retire son chandail. Et surtout très mérité. Elmer Lach aussi aurait dû voir son chandail retiré avec celui d'Henri (Richard). C'est vrai (que les anciennes administrations) en ont oublié plusieurs. Je suis triste pour ceux qui sont décédés, mais Elmer et Butch sont toujours vivants. Il n'est pas trop tard.»

Elmer Lach, âgé de 88 ans, était membre de la célèbre «Ligne du punch» avec le Rocket et Toe Blake. Il admet que les joueurs de son époque n'ont pas toujours eu la reconnaissance voulue. «Quand tu quittes, ils t'oublient, confiait-il hier au téléphone. Après ma retraite en 1953, les propriétaires ont changé et quand un nouveau patron arrive, il ne te doit rien. Nous n'avons aucun contrôle sur ces choses-là. Bien sûr que je souhaiterais plus de reconnaissance.»

Ces anciennes gloires du Canadien seraient restées complètement dans l'oubli n'eut été de l'acharnement de Ron Fournier, qui a le mérite d'avoir rafraîchi nos mémoires. Comme le dit si bien Dickie Moore, il n'est pas trop tard pour le Canadien lors de son centenaire en 2009 de réparer certaines erreurs du passé et honorer certains joueurs du premier cinquantenaire du club.

«J'espère vivre assez vieux pour voir ça...» de conclure Elmer Lach avant de raccrocher.

Je vous laisse sur un petit clip nostalgie...