Saku Koivu vient d'annoncer sa retraite.

J'ai bien connu l'ancien capitaine des Canadiens. J'ai été affecté à la couverture quotidienne du CH pendant ses dix premières saisons à Montréal. Koivu était un joueur de talent, mais il s'est joint à l'organisation dans une période plus difficile de l'histoire de l'équipe. Le Finlandais était tellement mal entouré qu'il ne pouvait mener cette équipe à bon port. On lui demandait néanmoins de transporter le club sur ses épaules. La pression était énorme, et indue.

Il lui aura fallu combattre le cancer pour obtenir enfin un peu plus de sympathie et de reconnaissance de la part du public.

Koivu n'est jamais devenu la grande vedette espérée à Montréal, mais il a néanmoins obtenu quelques saisons de plus de 70 points et, surtout, il s'est défoncé soir après soir pour son équipe.

J'ai eu le privilège en 2002 de le découvrir de façon plus intime lors d'un voyage dans sa ville d'origine, à Turku.

Voici les textes qui avaient été publiés à l'époque dans La Presse:

Sports, samedi 31 août 2002, p. G1

Brunet, Mathias

Turku, Finlande - Une marche dans Helsinki, à votre arrivée en Finlande, et vous constatez qu'il y a du Saku Koivu dans tous les gens que vous croisez. Cette grande cité européenne est étonnamment peu bruyante. Pas de klaxons, pas de cris, des piétons disciplinés et courtois, qui chuchotent entre eux...

Le Koivu que l'on connaît à Montréal ressemble à ce modèle-là. Poli et aimable, certes, mais discret aussi. Le capitaine du Canadien n'a jamais refusé de parler aux médias mais il a rarement donné d'entrevues passionnantes. Sauf peut-être une fois, l'automne dernier, lors d'une conférence de presse chargée d'émotion au cours de laquelle il rendait sa maladie publique.

Grâce à la collaboration de Timo Kunnari, jadis correspondant d'un quotidien finlandais à Montréal et grand copain de Saku, Koivu a accepté de me recevoir, la semaine dernière, chez lui à Turku. La Finlande n'est pas à côté. Encore moins Turku. Il faut six heures de vol jusqu'à Amsterdam et deux autres pour gagner Helsinki. De là, deux heures de train sont nécessaires avant de descendre dans la petite ville de 160 000 habitants où vit le capitaine du Canadien.

Tout au long du trajet en train, l'observation du paysage étonne. Si l'on fait abstraction des panneaux publicitaires, on se croirait dans une campagne québécoise! La végétation, les champs en culture, les fermes sont les mêmes. J'apprendrai plus tard que le mot finlandais Koivu désigne un arbre bien connu chez nous comme là-bas, le bouleau.

Le lendemain de mon arrivée, dès le matin, je retrouve Koivu... dans un aréna. Depuis son retour de Suisse, où il s'est entraîné pendant une semaine avec une équipe professionnelle sous la supervision de son ancien coach, le Russe Vladimir Yurzinov, notre homme patine chaque jour avec quelques joueurs de la Ligue nationale originaires du coin.

La poignée de mains est toujours aussi franche, le sourire aussi éclatant. Mon hôte semble en pleine forme. Ses cheveux ont repoussé. Ses épaules ont élargi, il est plus costaud encore que lors des séries éliminatoires du printemps dernier. Sa santé? Tous les examens sanguins qu'ils a subis cet été l'ont rassuré.

"Je me sens bien. Je suis en bien meilleure forme physique que je ne l'étais par exemple lors des séries éliminatoires. Mais il y a encore du travail à faire. Au plan du cardiovasculaire, je me fatigue un peu plus rapidement que lors des mes bonnes années. Mais il me reste un mois et demi avant le début de la saison."

L'entraînement terminé, Koivu m'invite à souper en compagnie de sa femme, Anna, qu'il a épousée trois semaines plus tôt, et de son copain Timo. À son restaurant... Tiens donc! Koivu est restaurateur?

Son établissement, ouvert depuis moins d'un an, ne manque pas de charme. L'édifice qui l'abrite est historique et est situé au coeur de la ville, devant un joli canal qui la divise en deux et qui mène à la mer, quelques kilomètres plus loin. L'endroit est décoré avec goût, à la méditerranéenne. Le genre qu'on voit chez nous, angle Saint-Laurent et Sherbrooke, la clientèle m'as-tu-vu en moins.

À l'intérieur, impossible de deviner l'identité du propriétaire, qui a opté pour la sobriété et la discrétion: on n'y trouve aucune référence au hockey, au Canadien ou à lui-même. Notre célèbre hockeyeur s'est associé à l'un des chefs les plus célèbres du pays, Aanti Vahtera, à qui il a donné carte blanche. Cette semaine-là, les deux hommes ouvraient justement une annexe à leur commerce: un bistro au rez-de-chaussée et une salle de cours au sous-sol, où les gens peuvent participer à des ateliers culinaires en compagnie de Monsieur Vahtera.

Koivu parle avec passion tout au long du repas. La vie en général, les sociétés finlandaise et québécoise, tout y passe sauf le hockey. Quand il parle de son peuple, on sent chez Koivu une fébrilité certaine: "Nous sommes des gens très fiers. Nous sommes travaillants et quand nous nous regroupons, nous sommes difficiles à vaincre. Nous avons repoussé les Russes pendant la Deuxième Guerre Mondiale même si nous étions moins nombreux. Quand nous affrontons le Canada dans les compétitions internationales de hockey, nos joueurs sont peut-être moins renommés, mais nous sommes des adversaires coriaces. Nous n'abandonnons jamais."

La société finlandaise est en mutation, dit-il. "Les jeunes sont très différents de leurs aînés. Mon grand-père et les gens de sa génération ont combattu les Russes, puis ils ont subi les foudres des Allemands à la fin de la guerre. Ils ont connu la misère. Il n'y avait pas beaucoup d'argent à l'époque et ça a sans doute contribué à les rendre plus austères. Les Finlandais d'un certain âge sont moins ouverts. Les jeunes ont voyagé davantage, ils parlent plusieurs langues et ils ont une façon différente de voir la vie.

"L'idée de créer ce restaurant en est un exemple. J'ai été inspiré par ce que je vis à Montréal. Les gens au Québec et au Canada se gâtent beaucoup plus que nous. Ils aiment manger dans de bons restaurants, ils s'habillent avec goût et ils n'hésitent pas à sortir quand ça leur plaît. En Finlande, dès que les gens ont des enfants, ils économisent pour acheter une maison de campagne et tout l'argent est investi dans l'hypothèque. Avec ce restaurant, au style plutôt nouveau pour Turku, je veux permettre aux gens d'expérimenter quelque chose de différent. Rien ne nous empêche d'aller au restaurant un mardi et un mercredi plutôt que le week-end uniquement. Généralement, nos restaurants sont plutôt vides les soirs de semaine. Mais ça commence à changer tranquillement."

Anna me confiera plus tard que son mari se passionne également pour la décoration et le design. "Je crois qu'il ne détesterait pas travailler dans ce secteur un jour. Il a dessiné ses deux derniers vestons et des manteaux de cuir."

"J'ai seulement tracé les grandes lignes de ce que je voulais avec des amis couturiers, répond-il du bout des lèvres. Mais je m'intéresse à ce qui touche la création. Quand on déménage à quelques reprises, on apprend à décorer sur le tas. J'y ai pris goût en arrangeant certains de mes appartements. Quand j'entre dans un nouvel endroit, je m'attarde spontanément aux couleurs, j'analyse le style. À Montréal, par exemple, les couleurs sont plus fortes, on utilise beaucoup plus le rouge. Ici, c'est plus sobre, plus conventionnel, les teintes sont généralement pâles. Mes goûts ont beaucoup changé au fil des années. J'adopte de plus en plus le style nord-américain. Il y a beaucoup de trucs qui m'intéressent à l'extérieur du monde du hockey. Je suis passionné par plein de choses, je m'emballe rapidement mais malheureusement, ça ne dure pas toujours longtemps."

J'avoue être surpris de l'entendre parler autant, lui si discret dans le vestiaire du Centre Molson.

"Si les journalistes avaient l'occasion de nous côtoyer en dehors de notre milieu de travail, ils constateraient que les hockeyeurs jasent et qu'ils ont des choses intéressantes à dire. Nous sommes beaucoup plus relaxes l'été, nous ne ressentons pas cette pression de produire. Je sais que nous ne sommes pas toujours très intéressants en entrevue. Mais de nombreux joueurs sont prudents lors des interviews. Ce n'est pas toujours évident de répondre aux questions après un match, à chaud, sous le coup de l'émotion. Si un joueur ne choisit pas les bons mots, il pourrait avoir à revenir sur ce qu'il a dit pendant dix jours. Alors il ne se dit pas grand-chose. Ça peut parfois être très ennuyant d'écouter un joueur de hockey à la télé. On peut prévoir ce qu'il va dire et on sait qu'on répète souvent les mêmes choses. Mais c'est comme ça."

Des salutations timides

La soirée se termine par une marche le long du canal. Quelques inconnus saluent le célèbre couple au passage, mais sans insister.

"Je peux mener une vie plutôt tranquille à Turku, confie-t-il. J'ai passé ma vie ici, tout le monde se connaît, les gens sont habitués de me voir. Je fais partie des meubles. À l'extérieur de Turku, par contre, je reçois plus d'attention. Mais on m'aborde rarement parce que les Finlandais, en général, sont plutôt timides."

Bien malgré lui, Koivu fait régulièrement les manchettes de la presse finlandaise. Et c'est plus vrai que jamais depuis l'épreuve qu'il a traversée l'année dernière. Les journaux s'arrachent les moindres détails de sa vie privée. Une journaliste de la presse à sensation, hier encore, a téléphoné sept fois dans la même journée pour obtenir une interview. Le jour de leur mariage, à la fin de juillet, un magazine a dressé une liste des amours anciens d'Anna et Saku!

Celui-ci n'a pas accordé d'entrevue en Finlande depuis longtemps. Il a songé donner une conférence de presse à son retour au pays ce printemps, mais il s'est ravisé.

"Il est trop tôt, lance Anna. On voudrait qu'il parle de sa victoire sur le cancer, mais on semble oublier qu'il est encore en rémission. Il n'a pas encore gagné son combat. Le jour viendra où il parlera, mais ce n'est pas le moment. Ce fut difficile de composer avec la pression médiatique en Finlande. Quand une personne est malade, elle devrait avoir le privilège d'en parler à qui elle veut. C'était sa maladie à lui, mais on nous demandait de nous mettre complètement à nu devant tout le monde. On n'a pas idée du nombre de demandes d'entrevues qui ont été faites au cours de l'année..."

Koivu prend un soin jaloux de sa vie privée. "Ma famille se protège davantage après ce qui est arrivé l'an dernier. Ils ne veulent plus avoir leur photo dans le journal et je les comprends. Je suis la personnalité publique, pas eux. Ils n'ont pas choisi cette vie. Moi-même, je ne raffole pas de me retrouver dans les journaux. J'ai l'impression qu'il me sera plus facile de passer la retraite si je fais les manchettes moins souvent. Quand, pendant dix ans, de 25 à 35 ans, vous vous trouvez régulièrement dans les journaux, le vide à combler doit être énorme lorsque votre carrière prend fin et qu'on ne s'intéresse plus à vous. J'essaie de trouver le bon équilibre. De toute façon, je n'ai pas à dévoiler des aspects de ma vie privée pour intéresser les gens au hockey. Une vedette du show-business doit le faire pour contribuer à vendre des disques ou des spectacles. Moi, on n'a pas à savoir quelle marque de voiture je conduis. Je dois me contenter de marquer des buts pour attirer les gens à l'aréna. C'est tout."

Koivu est l'athlète le plus populaire de Finlande, avec le pilote Mika Häkkinen. Il a acquis le statut de légende aux yeux du public, surtout depuis son retour à la santé.

"Beaucoup de gens m'abordent en me disant que j'ai réalisé un exploit extraordinaire. Je n'ai fait que me battre pour vaincre ma maladie. Comme des milliers de gens l'ont fait et le font chaque jour. J'ai été un peu étonné de revenir au jeu aussi rapidement mais pour le reste, je n'ai rien fait de spécial. J'ai voulu guérir, tout simplement."

Au terme de notre marche, on aperçoit la résidence du jeune couple. Un bel édifice à condos, certes, mais qui n'a rien d'extravagant. Koivu vit bien, mais il n'étale pas sa richesse. "C'est une question de culture, mentionne Anna. En Finlande, la bourgeoisie n'est pas très développée. Il n'y a pas beaucoup de pauvreté non plus. Tout le monde ou presque appartient à la classe moyenne. Dans les restaurants, les serveurs reçoivent de meilleurs salaires parce qu'ils ne touchent pas de pourboires. Ils seraient insultés si on leur en donnait parce que nous sommes tous considérés égaux."

Je croyais aller à la rencontre d'un peuple et d'un clan distants, difficiles d'accès. J'ai découvert des gens passionnés, chaleureux et une famille unie où l'amour ne manque pas.

J'ai aussi fait la connaissance d'un couple modeste, qui demande seulement de mener une existence ordinaire...

PARLER FRANÇAIS? KOIVU N'A PAS DIT SON DERNIER MOT

Saku Koivu apprendra-t-il le français un jour? Voilà une question qui met le capitaine du Canadien un peu mal à l'aise.

"J'aimerais tellement parler cette langue, dit-il. Ça me chicote depuis longtemps. Je suis à Montréal depuis sept ans et je devrais maîtriser le français. J'ai pourtant pris des cours à deux ou trois reprises. Mais ça n'a pas fonctionné."

Koivu a même songé à prendre d'autres cours de français pendant ses traitements de chimiothérapie. Mais finalement, il n'a pas trouvé l'énergie nécessaire pour le faire entre ses visites à l'hôpital.

"Quand je suis arrivé en Amérique du Nord, mon anglais était correct, mais je devais l'améliorer. Je me suis concentré là-dessus. J'ai eu de la difficulté à suivre lorsque j'ai pris mes cours de français. Quand je suis arrivé, je ne parlais pas un mot et je n'avais jamais entendu personne parler cette langue (en Finlande, la majorité des gens maîtrisent trois langues, le finnois, le suédois et l'anglais). C'est très difficile pendant la saison de hockey de se consacrer à l'étude d'une langue. Quand on dispose d'une rare journée de congé, j'ai juste envie de me reposer. Hanna s'en tire bien. En plus, elle vient de suivre un autre stage en France cet été."

"Peut-être qu'un jour, j'y parviendrai. Ça serait vraiment très spécial. Ce qui n'aide pas non plus, c'est que tout le monde au sein de l'équipe parle anglais, je n'ai même pas à tenter de parler français. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot. Je me sentirais vraiment bien de le faire."

BIENTÔT, LE PREMIER "ANNIVERSAIRE" Un peu nerveux, Koivu se soumettra à un examen médical d'ici une semaine

Saku Koivu est un peu plus nerveux ces temps-ci.

Dans moins d'une semaine, il subira à Montréal son examen médical le plus important depuis la fin de ses traitements de chimiothérapie, en février.

"Les tests sanguins que j'ai subis à chaque semaine cet été m'ont rassuré mais le prochain examen est beaucoup plus précis. J'en avais passé un semblable à la fin de mes traitements de chimiothérapie. Ça commence à me préoccuper un peu plus. J'aborde toutefois cet examen avec confiance. Tout s'est bien déroulé la dernière fois, je ne vois pas pourquoi il y aurait un problème. J'ai hâte que ce soit terminé. Pour que tout le monde soit fixé, ma famille, le Canadien, le public et que je puisse me concentrer sur le hockey."

Beaucoup de souvenirs resurgissent depuis quelques jours. Le couple quitte pour Montréal demain, un an jour pour jour après cette pénible envolée qui a tant fait souffrir Koivu. "Parce que nous quittons la Finlande à la même période que l'an dernier, parce que c'est le premier "anniversaire", parce que nous empruntons le même parcours, nous y pensons un peu plus, confie son épouse Hanna. Mais après, ça ira mieux. Nous avons décidé d'arrêter de s'inquiéter après un an. C'est un cancer tellement agressif que s'il devait réapparaître, ça se produirait rapidement. C'est drôle quand j'y pense, Saku est un être prompt. Et ce cancer est disparu aussi rapidement qu'il s'est manifesté..."

Hanna se rappelle bien de ce vol difficile. "Quelques jours avant le départ, Saku s'était plaint d'un inconfort dans le bas du dos et d'une certaine douleur au foie, mais sans plus. Je ne me suis rendue compte de rien au cours du vol parce que nous étions assis à des sièges éloignés. Il m'a mentionné à un certain moment de l'envolée qu'il ne se sentait pas très bien mais je ne me doutais pas que c'était aussi sérieux. Puis à notre arrivée à l'aéroport de Dorval, il s'est précipité à la salle de bain. Une fois à la maison, il a été malade toute la nuit. Nous avons alors décidé de téléphoner au médecin de l'équipe (David Mulder)."

"Ce fut un très, très long vol, se remémore Koivu. J'ai commencé à me sentir bizarre lors du vol entre Helsinki et Amsterdam. Je croyais que c'était à cause des oeufs que j'avais mangés à bord. Puis soudainement, après le décollage d'Amsterdam vers l'Amérique du Nord, ça m'a frappé de plein fouet. J'étais malade et je transpirais de partout."

Une fois le verdict tombé, Hanna s'est sentie coupable. "Parce que je suis spécialiste en nutrition, je me suis culpabilisée. Je croyais que je n'avais pas fait mon travail, que Saku ne mangeait pas assez bien. Pourtant, j'avais modifié ses habitudes alimentaires et Saku est une personne qui prend soin de sa santé. Les médecins m'ont rassurée, il m'ont confirmé que l'alimentation n'avait rien à voir avec cette maladie."

Après toutes ces épreuves, le couple a pu vivre un été assez serein à Turku. "Nous n'y pensons plus chaque jour, ajoute Hanna. Peut-être chaque semaine seulement. Dernièrement, Saku oubliait presque de me parler de ses tests sanguins tellement c'était devenu routinier. Nous arrivons à en parler sans difficulté. Certains évitent de prononcer le fameux mot en notre présence mais nous n'en faisons pas autant de cas; nous parlons du cancer comme nous parlons d'un genou endommagé."

Le capitaine du Canadien dit avoir beaucoup changé en quelques mois. "On apprend beaucoup de choses. On n'aborde plus la vie de la même façon. L'important, c'est d'être heureux, d'avoir une bonne relation avec ses proches. On peut connaître la gloire, la célébrité, avoir beaucoup d'argent mais en bout de compte, ça ne veut rien dire. Tout peut disparaître en une seule fraction de seconde."

Son retour au jeu, sept semaines après son dernier traitement de chimiothérapie, a étonné même les médecins. Pourquoi donc cette volonté de revenir au jeu si tôt?

"Quand j'ai terminé mes traitements, fin janvier, je tournais en rond, je ne pouvais rien faire parce que j'étais encore trop faible. Je me sentais inutile. J'ai recommencé à m'entraîner début février et j'ai constaté que je reprenais la forme assez rapidement. Je me suis dit pourquoi pas? Et à cette simple question, personne n'a pu me répondre. Mes objectifs étaient plutôt flous, je ne visais pas nécessairement un retour pour les séries éliminatoires, je voulais juste me lancer un défi personnel. En me promettant que si jamais un matin je devais me sentir vraiment faible, j'arrêterais tout. Mais ça ne s'est pas produit."

"Lors de nos meetings avec les préparateurs physiques Scott Livingston et Chris Carmichael et les médecins, personne ne croyait que je retrouverais la forme aussi tôt. Ils me préparaient plutôt pour le prochain camp d'entraînement. Je leur ai demandé si je ne pourrais pas tenter le coup pour les séries éliminatoires. Les médecins n'étaient pas d'accord. Et je dois admettre que je ne m'attendais pas vraiment à retrouver la forme à temps. Six semaines, c'est court. Même après ces trois matchs en fin de saison régulière, je me demandais si j'allais pouvoir jouer en séries éliminatoires. Mais ç'a fonctionné également."

Comment Koivu voit-il son retour en terre québécoise ces prochains jours? S'attend-il à répondre à des tas de questions sur son état de santé?

"Donald Beauchamp et Dominick Saillant ont fait un travail extraordinaire pour gérer les entrevues l'an dernier, je suis convaincu qu'ils peuvent en faire autant cette année. Je veux bien parler de mon cancer, mais pas après les matchs. Après un match, je veux parler du match, de l'équipe. Entre les rencontres, il n'y a pas de problème. Mais je ne veux surtout pas répéter l'expérience du printemps dernier alors qu'un groupe de journalistes de l'extérieur de la ville me posait régulièrement des questions à ce sujet après que j'eus parlé du match pendant une quinzaine de minutes."

Le message est passé.

La Presse rencontre Saku Koivu

"Il avait beaucoup d'énergie. Son tir, il l'a développé sur nos portes de garage..."

Entre Jukka et Saku, pas de "papa" ni de "fiston"...

Brunet, Mathias

Turku, Finlande - Jukka Koivu peut intimider son interlocuteur lorsqu'on le croise pour une première fois.

Le père de Saku est bien baraqué et son air autoritaire contribue à renforcer son allure de dur à cuire. Il pourrait aisément jouer les impitoyables dans un film policier.

Mais quand on jase avec lui, on sent l'émotion à fleur de peau et la tendresse avec laquelle il parle de ses fils est touchante.

"Dès qu'il a appris à marcher, Saku jouait avec des bâtons, des rondelles et des balles. Habituellement, on achète des petites autos ou des camions à nos enfants, mais lui n'en voulait pas. Il préférait ses jeux sportifs. À trois ans, il commençait à imiter des hockeyeurs."

"Nous avions un plancher de bois et Saku enfilait des bas de laine de façon à mieux glisser sur le parquet. Il avait un bâton et un casque. Il courait à en perdre haleine et il transformait son bâton en micro pour commenter son match. Il faisait référence à des joueurs finlandais et russes. Après son exercice, il prenait une douche, comme les joueurs. Il lui arrivait aussi d'aller se chercher une chaise dans une autre pièce et de la placer au milieu du corridor pour s'asseoir. La première fois, je lui ai demandé de quoi il s'agissait. Il m'a répondu qu'il était dans l'autobus, en voyage avec son équipe..."

Le petit Saku a beaucoup appris de son père, qui a été hockeyeur professionnel pendant une dizaine d'années en Finlande et en Suède. Jukka emmenait son fils dans tous les arénas.

"Il a probablement été inspiré par ce qu'il voyait lors de mes matchs et de mes entraînements, note le père. Mais je n'ai jamais voulu le forcer à suivre mes traces. Mes enfants pouvaient choisir n'importe quelle carrière (le frère de Saku, Mikko, a été repêché en première ronde, au sixième rang par le Wild du Minnesota l'an dernier). Mon seul objectif comme père, c'était de devenir leur ami, d'entretenir une relation d'égal à égal. Saku ne m'a jamais appelé père ou papa, ça a toujours été Jukka. J'ai voulu construire un environnement familial chaleureux où mes enfants se seraient toujours sentis en sécurité."

"Nous avons toujours été très proches, confie Saku. J'ai peut-être eu la piqûre du hockey en le voyant à l'oeuvre dans les arénas, mais jamais je n'ai ressenti la moindre pression de sa part. Mais il était toujours présent pour m'encourager."

"Tu lui demanderas comment il s'est senti quand j'ai quitté la Finlande pour me joindre au Canadien en 1995. Nous étions toujours ensemble et il s'agissait de notre toute première séparation. Ça n'a pas été facile à vivre."

Quand on pose la question à Jukka, sa gorge se resserre.

"Je ne peux pas en parler. C'est trop difficile."-

Même après sept ans?-

Même après sept ans..."

Un silence s'installe. Ses yeux rougissent et se remplissent d'eau.

La famille a toujours été importante pour les Koivu. D'ailleurs le grand drame du clan, dont les Koivu parlent encore aujourd'hui, concerne une naissance: le père de Jukka a raté l'accouchement de son premier garçon en 1945 parce qu'il était au front à combattre les Russes.

"Le grand-père de Saku n'a pas vu mon frère naître, raconte Jukka. On a menacé de le suspendre pour six mois s'il demeurait auprès de son épouse. Mais, heureusement, je n'ai pas eu à vivre le même drame en 1974..."

Le capitaine du Canadien avait du caractère, paraît-il. "Il était très compétitif, dit le père. Déjà, à quatre ou cinq ans, il détestait perdre. Même s'il s'agissait de faire le tour d'un arbre à la course, il voulait terminer premier. Il avait beaucoup d'énergie. Son tir, il l'a développé sur nos portes de garage. Il a défoncé les nôtres, celles de mes parents, il a piétiné nos fleurs, mais c'est oublié aujourd'hui..."

Leur belle relation s'est détériorée momentanément au début des années quatre-vingt-dix lorsque Saku s'est joint à l'équipe junior de Turku dirigée par... Jukka.

"Ce furent les moments les plus difficiles de notre relation, se rappelle le père. Saku n'est pas facile à diriger. Il avait 16, 17 ans, j'étais à la fois son père et son entraîneur, il y a eu des problèmes. Saku a claqué des portes. J'ai été très dur envers lui, mais je devais le faire. Mikko n'a pas eu la moitié des règles qui furent imposées à Saku."

"Ce fut très particulier, se souvient Saku. L'entraîneur se substituait au père. Nous avons dû nous ajuster. J'ai dû apprendre à respecter ses ordres d'une manière différente. Un entraîneur doit prendre tous les moyens nécessaires pour faire gagner son équipe et s'il se trouve que son fils ne donne pas son plein rendement un certain soir donné, il lui faut prendre les moyens pour le rappeler à l'ordre. S'il faut garder ce joueur sur le banc, il doit le faire. À l'époque, ce n'était pas évident à accepter."

Les durs enseignements de Jukka ont porté fruits. Dans les années qui ont suivi, Saku Koivu a dominé le hockey finlandais: conquêtes de championnats nationaux, mondiaux, championnat des compteurs. Mais la frénésie médiatique qui a suivi a ébranlé le clan...

"Tout a changé à compter de 1993, dit le père. Saku a remporté le championnat du monde avec l'équipe de la Finlande et le championnat national avec le TPS Turku, avant d'être repêché par le Canadien. Les médias ont commencé à se manifester et nous n'avons pas su comment réagir. En 1995, le TPS Turku l'a emporté pour une troisième année consécutive et Saku a terminé en tête des compteurs dans notre pays. La demande était tellement forte que "notre toit a explosé".

"Je n'avais plus le contrôle de la situation et j'ai cherché à protéger la famille. J'ai consulté plusieurs athlètes, dont Teppo Numminen et sa famille, et Jari Kurri, qui a toujours bien représenté la Finlande et qui a toujours évité les scandales. Nous voulions trouver le bon équilibre de façon à répondre aux demandes des journalistes tout en menant une vie normale."

Les Koivu avaient trouvé cet équilibre tant recherché jusqu'à ce que Saku n'apprenne qu'il était atteint du cancer l'été dernier. Jukka a été touché en plein coeur, on l'aura deviné.

"La nouvelle a fait beaucoup de tapage en Finlande et on parlait tous du grand joueur de hockey atteint d'un cancer. Mais pour moi, c'était mon fils qui était malade, par le joueur de hockey. Je n'ai pas apprécié la réaction des médias en Finlande pendant cette période. Nous souhaitions que notre intimité soit respectée, mais les gens ont exagéré. L'histoire a fait les manchettes à répétition et nous avons été submergés de demandes d'entrevues."

"Ce fut terriblement difficile à vivre. Et je me sentais tellement loin de lui. Ces vingt heures qui nous séparaient de notre fils accentuaient notre angoisse. Mais ma femme et moi devions demeurer en Finlande pour rester auprès de Mikko. Mais nous étions rassurés de savoir que Hanna veillait sur Saku à Montréal."

"Au départ, j'ai songé à ramener mon fils en Finlande pour qu'il y suive ses traitements. Mais Saku a décidé de se faire soigner à Montréal. Au fond de moi-même, je savais qu'il avait fait le bon choix. Quand je l'ai quitté la première fois, au début de ses traitements, en septembre, j'ai tenu à rassurer mon épouse dans l'avion. J'étais convaincu qu'il était entre bonnes mains. Aujourd'hui, je peux affirmer qu'il n'aurait pas pu être mieux soigné. Ni bénéficier d'un meilleur support moral. Lors de mes cinq ou six visites à Montréal l'an dernier, j'ai pu sentir que la ville était derrière lui. C'était très touchant."

Monsieur Koivu a ressenti une joie immense lors de sa dernière visite au Québec, à l'occasion de l'émouvant retour au jeu de son garçon, en avril.

"Ce fut inoubliable, invraisemblable. J'étais soulagé, mais inquiet à la fois de voir comment la soirée allait se dérouler. Même si j'avais collaboré moi-même à son programme de réhabilitation, je me demandais s'il ne revenait pas au jeu trop tôt."

"J'ai encore beaucoup de difficulté à décrire les mots pour exprimer ce que j'ai ressenti ce soir-là. Je voyais la foule s'animer, toute l'énergie qui circulait dans le Centre Molson, j'étais pris comme dans un rêve. Je ne voyais que lui. Il était sur la glace et je le revoyais à trois ans dans le corridor avec son casque et ses bas de laine dans les pieds et je me disais que ce soir, mon garçon avait enfin la chance de jouer de nouveau..."

"NOS AMIS CROYAIENT QUE NOUS NE SERIONS PAS LONGTEMPS ENSEMBLE": HANNA NORIO A CRAQUÉ POUR LA GÉNÉROSITÉ DE SAKU

En retard d'une dizaine de minutes à notre interview dans le lobby d'un hôtel du centre-ville de Turku, Hanna Norio bondit de sa voiture, serre sa bourse sous son bras et pique un sprint jusqu'à l'hôtel...

"Je déteste être en retard", lance-t-elle, haletante.

Hanna fréquente l'un des athlètes les plus adulés en Finlande. Elle s'est retrouvée sans le vouloir au centre d'un mariage princier qui a fait jaser un pays entier, mais cette jeune femme d'un naturel si simple compose péniblement avec la célébrité.

"J'ai encore beaucoup de difficulté à lire ce qu'on écrit à notre sujet dans les journaux. J'ai un choc à chaque fois. Mais je ne peux pas refuser continuellement de donner des interviews. Je dois m'habituer. J'admire tellement Saku pour sa façon de gérer tout ça. C'est devenu beaucoup plus difficile depuis sa maladie. En Finlande, on nous impose beaucoup de pression. À Montréal, les gens ont été très gentils. Nous avons reçu des tonnes de lettres et nous les avons toutes lues, de la première à la dernière. Nous nous sentions tellement proches des gens qui nous écrivaient."

Hanna n'avait jamais assisté à un match de hockey avant de rencontrer Saku Koivu, qu'elle a épousé il y a un mois à Turku, leur village d'origine. Fille de médecin, élevée en Arabie Saoudite pendant sept ans, étudiante en nutrition, polyglotte (elle s'exprime très bien en français), peintre à ses heures, rien ne la destinait à se retrouver dans le monde du hockey.

"Nous étions célibataires depuis peu lorsque des copains nous ont présenté l'un à l'autre il y a quatre ans. Nous avons commencé à nous fréquenter, mais nos amis respectifs croyaient que ne serions pas longtemps ensemble. Nous provenons de milieux très différents. Je crois que ses amis trouvaient que j'étais un peu trop bohème pour lui et mes amis pensaient qu'il ne serait pas intéressant parce qu'il était un joueur de hockey. Les gens ne devraient pas juger si rapidement."

"Ce qui m'a fait craquer, au début, c'est l'amour qu'il manifestait à l'endroit de ses proches. L'été où je l'ai connu, il devait quitter Turku pour Montréal pour sa saison de hockey et il avait pris soin de visiter tout son monde avant de partir: les grands-parents, les oncles. Il y avait beaucoup d'émotion à chaque visite. Il pleurait avec tout le monde. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les Koivu sont très émotifs, même si Saku est probablement celui qui garde le plus ses sentiments pour lui-même."

"Beaucoup de gens aimeraient devenir son ami pour les mauvaises raisons, mais Saku réussit à mettre ses priorités à la bonne place, ajoute Hanna. Il n'est pas facile d'entrer dans son univers, mais quand on y parvient, il prend soin de vous de façon extraordinaire. Il est très généreux. Un exemple anodin: l'autre jour, il a joué au badminton avec son frère Mikko. À son retour, il m'a dit qu'il l'avait laissé gagner parce que Mikko avait eu une journée difficile. Connaissant l'esprit compétitif de Saku, on peut mesurer la portée de son geste..."

"Il possède une belle combinaison de douceur et de dureté. Quand je parle de dureté, je ne fais pas référence au sport. Saku a des opinions très fermes et il peut avoir un côté macho à ses heures. Mais il montre aussi beaucoup de sensibilité et une ouverture d'esprit très intéressante. Toutes ses énergies ont été consacrées au hockey depuis son enfance, mais il s'intéresse à beaucoup d'autres choses. Il ne vient toujours pas luncher à mon restaurant végétarien favori, mais en contrepartie, il adore les mets indiens et le sushi..."

Le couple adore les restaurants montréalais pour leur diversité. "Nous sommes très attachés à Montréal, mentionne Hanna. Nous pourrions y demeurer longtemps. La seule chose plus difficile à vivre, c'est que je ne connais presque personne à l'extérieur du monde du hockey. Mes amitiés sont toujours brisées par des échanges (comme ce fut le cas lorsque les Savage ont déménagé à Phoenix l'an dernier)."

Après quelques années de fréquentations, le couple se fiançait il y a un an. Dix jours plus tard, Koivu était à l'hôpital. "Quand il a reçu la nouvelle de son cancer, nous n'avons pas voulu modifier la date de notre mariage, prévu pour l'été suivant. C'est ce qui nous a permis de nous accrocher dans les moments difficiles. Nous avions un objectif, ce mariage, et il fallait y arriver en santé. Cette épreuve n'a pas apporté seulement des aspects négatifs. Notre couple s'est solidifié de façon extraordinaire. S'il y avait le moindre doute dans notre esprit il y a un an, il n'y en a plus aujourd'hui."

"Quand nous nous sommes mariés, nous étions tellement convaincus que nous étions faits l'un pour l'autre. Je regarde les photos du mariage et je souris à pleines dents. Je ne suis pas photogénique habituellement, mais toutes les photos de ce jour-là sont très belles. J'étais tellement heureuse que je me foutais des caméras, je ne forçais pas mon sourire. Ce fut une journée vraiment extraordinaire, après tout ce que nous avions vécu..."