Il ne restait plus de copie de L'Équipe au tabac où je m'arrête à la station Stratford International, à quelques centaines de mètres du Parc olympique. Au contrôle de sécurité, le type devant moi en avait un sous le bras. Il portait un manteau ouzbek et discutait avec un journaliste français. J'ai cru entendre un accent québécois, mais ça me semblait trop saugrenu pour être vrai. La barrière franchie, je lui demande s'il est français. «Ben voyons, Simon!» C'était Martin Grégoire, que j'ai connu il y a quelques années quand il était entraîneur adjoint de l'équipe de natation de l'Université Laval. J'ai eu l'air un peu idiot, mais à ma décharge, comment pouvais-je savoir qu'il avait troqué le rouge et or pour le blanc et vert de l'Ouzbékistan?

On s'est retrouvé après les séries du matin pour un sushi au Westfield Mall. Après plus de deux décennies de coaching dans la région de Québec, il est depuis l'automne entraîneur-chef du Redlands Swim Team, à une heure à l'est de Los Angeles. Il a reçu le mandat de redorer le blason du club, dans un État considéré comme le château fort de la natation mondiale. Pour ce faire, Grégoire a recruté deux nageurs étrangers, un Ukrainien de 26 ans, devenu vice-champion d'Europe du 100 m brasse au printemps, et une Ouzbek de 17 ans, spécialiste du 200 m dos. «Maintenant, avec les courriels, Facebook, c'est facile », explique-t-il.

Ses deux nageurs se sont qualifiés pour les Jeux olympiques de Londres, et voilà Grégoire avec sur la poitrine un kumho, l'oiseau emblème de l'Ouzbékistan.

Au Village des athlètes, il partage un appartement avec quatre entraîneurs de sa délégation qui ne parlent pas un mot d'anglais. «Je connais 10 mots de russe, une vingtaine après quelques verres de vodka !» Il prévoit partager un repas avec son seul homologue ouzbek en natation. «Au village, il y a un service d'interprète.» Sa blonde, professeure de finances à l'Université Laval, l'accompagne à Londres. Grégoire a réussi à lui trouver deux billets sur eBay à 400$ pièce. De la piscine, il a dû monter 226 marches pour aller la saluer dans les hauteurs du centre aquatique...

Son brasseur ukrainien, Valeryi Dymo, un triple champion olympique, s'est planté et a fini 23e. Sa dossiste ouzbek, Yulduz Kuchkonova, sera des séries du 200 m, vendredi matin. Grégoire retournera ensuite en Californie. Non sans avoir, malgré ses gentilles protestations, signé le calepin d'autographes d'une serveuse au sushi. Ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre un entraîneur olympique québéco-ouzbek.