On le surnomme l'éclair, l'homme-fusée. Ou même l'extraterrestre. Le sprinteur jamaïcain Usain Bolt pulvérise tous les records sur son passage et réalise des chronos que les experts croyaient jusque-là impossibles. À quoi peut-on imputer les succès d'Usain Bolt? Des chercheurs ont leur petite idée.

Les sprinteurs et les nageurs qui sont à la fois les plus grands, les plus lourds et les plus sveltes sont ceux qui fracassent tous les records mondiaux, selon une analyse de l'Université Duke, publiée en 2009 dans le Journal of Experimental Biology. Plus gros et plus rapides? La conclusion étonne à première vue.

Les chercheurs ont répertorié le poids et la grandeur des détenteurs de records sur 100 m en athlétisme et en natation de 1900 à 2008. Les sprinteurs ont gagné en moyenne 16,2 cm et les nageurs, 11,4 cm. Dans la population, la grandeur moyenne n'a augmenté que de 4,8 cm. Suivant la courbe croissante des gabarits, les records mondiaux ont été abaissés de 0,7 seconde en athlétisme, et de 14 secondes en natation.

Les chercheurs font un lien entre l'indice de «sveltesse» et les exploits sportifs. Pour se déplacer, on doit combattre la force gravitationnelle et la friction de l'air ou de l'eau. L'athlète puissant, doté d'une charpente aérodynamique, aura un net avantage, selon la théorie constructale mise au point par Adrian Bejan, professeur d'ingénierie mécanique. «Tout ce qui bouge, ou tout ce qui nage, doit évoluer pour glisser de plus en plus facilement», explique-t-il.

En 1929, le record du monde au 100 m sprint appartenait à Eddie Tolan (10,4 secondes). Il mesurait 1,70 m et pesait 65 kg. Serez-vous surpris d'apprendre que Usain Bolt, détenteur des records mondiaux sur 100 m (9,58 s) et 200 m (19,19 s), est le plus grand athlète du sprint moderne? Il mesure 1,95 mètre pour 86 kg.

Son compatriote Yohan Blake, qui l'a devancé sur 100 m et 200 m lors des essais nationaux, est néanmoins un sérieux candidat pour l'or olympique. Du haut de son petit 1,80 m (pour 78 kg), faussera-t-il la donne?

Le gabarit idéal

«Au-delà du gabarit, la puissance musculaire, l'explosivité et la vitesse sont cruciales au sprint, dit le généticien de l'activité physique Claude Bouchard. Il est chercheur de renommée internationale au Laboratoire de génomique humaine au Centre de recherche biomédicale Pennington à Baton Rouge, en Louisiane. La réponse à l'entraînement est aussi un élément clé. Certains progressent plus facilement et plus rapidement que d'autres. Si on n'a pas les gènes gagnants pour notre sport, on ne fera jamais partie de l'élite mondiale.» À ce jour, on dénombre plus de 200 gènes liés à la performance sportive.

Les méthodes d'entraînement ont aussi évolué. «Dans les années 60, on considérait les sprinteurs de grande taille comme des grands flancs mous, mal coordonnés. L'entraînement n'était pas fait pour eux, on faisait très peu de musculation à l'époque», dit Michel Portmann, professeur retraité de kinanthropologie de l'UQAM et président de la Fédération d'athlétisme du Québec. «On s'est rendu compte qu'être grand, c'est mieux. Avec la musculation, on développe des sprinteurs qui ont une très longue foulée, bien coordonnés et extrêmement rapides. Par rapport à la foulée, un plus grand va beaucoup plus loin qu'un petit s'il est capable d'avoir la même vitesse de mouvement.»

Usain Bolt a une foulée maximale de 2,70 mètres. Ses adversaires doivent faire 4 ou 5 pas de plus que lui sur 100 mètres. Plus les athlètes seront grands, plus les records seront battus, prévoit-on. Au début de 2008, des chercheurs avaient établi le seuil à 9,72 secondes. Bolt a depuis fait 9,69 et 9,58. Des chercheurs de l'Université Stanford ont fixé le mur à 9,49 secondes. Aucun athlète ne sera en mesure de battre les records de Bolt avant 2030, prédisent-ils. Bolt voit les choses autrement. Il vise 9,4 secondes à Londres. Une marque qui, selon lui, ne sera jamais battue et qui lui permettra de «devenir une légende vivante». L'éclair frappera-t-il cet été?