Londres a sans contredit une relation particulière avec l'olympisme. Du 27 juillet au 12 août, la capitale anglaise sera l'hôte des Jeux olympiques pour la troisième fois, après avoir tenu les Jeux de 1908 et de 1948. Un triplé historique inédit. Berceau de nombreux sports, l'Angleterre a grandement façonné le mouvement olympique moderne. Survol.

«La plupart des chercheurs s'entendent pour dire que le sport moderne, tel qu'on le pratique aujourd'hui, a été fondé au 19e siècle en Grande-Bretagne, lors de la révolution industrielle, par les hommes blancs de la classe supérieure», indique Bruce Kidd, spécialiste de l'histoire du sport olympique et professeur à la faculté de kinésiologie et d'éducation physique à l'Université de Toronto. «À l'époque, les hommes de la classe ouvrière, les femmes et les «colonisés» étaient exclus des jeux», précise-t-il.

Les prémisses du sport moderne

Au 18e siècle, l'aristocratie, désormais tenue à l'écart des affaires militaires, ne sait que faire de ses 10 doigts. Les gentlemen-farmers se contentent de recevoir des rentes. L'oisiveté finit par peser lourd. «Pour s'occuper, elle (l'aristocratie) va pratiquer les exercices chevaleresques qui n'ont plus pour sens de l'entraîner à la guerre; mais elle s'attachera à eux comme à un privilège de caste (escrime, équitation); et elle va faire de la chasse une véritable passion», a écrit feu Michel Bouet, chercheur au CNRS, dans Signification du sport (L'Harmattan).

Avec l'industrialisation, une classe bourgeoise apparaît, s'enrichit et amène une nouvelle façon de voir le sport, en introduisant les notions de concurrence et d'activité économique. Les paris deviennent une véritable passion, raconte Michel Bouet. Aristocrates et grands bourgeois organisent des courses de chevaux, des courses à pied - on fait courir et on échange des laquais comme des chevaux! - et des combats de boxe. Et on mise sur ces «athlètes» issus des classes laborieuses.

Gageures et règlements

Pour mieux encadrer les paris et éviter les abus, on voit apparaître des règlements, tandis que la mesure (du temps et des distances) prend de l'importance. La recherche de la performance et la quête de records aussi. Les aristocrates, eux-mêmes, ont tôt fait de prendre part aux compétitions. Cette tendance s'introduit dans les écoles et les universités, où les sports collectifs, comme le rugby et le soccer, dominent.

Les Anglais de la classe dominante, donc, s'approprient, codifient et uniformisent des «jeux populaires» déjà existants. Ils inventent des sports. «D'après plusieurs études, 80% des sports actuels seraient d'origine anglaise», indique l'historien du sport Michel Vigneault, chargé de cours au Département de kinanthropologie de l'UQAM. C'est le cas notamment du tennis, du golf, du cricket, du hockey sur gazon, de l'athlétisme et de la boxe.

Amateurisme ou l'exclusion

Pur produit de l'Angleterre du 19e siècle, l'aviron est le symbole de l'amateurisme tel qu'il sera prôné par le baron Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux olympiques modernes, et dont la définition sera maintenue jusque dans les années 70. Le professionnalisme n'est d'aucune façon toléré. On voit apparaître le souci de s'entraîner.

«L'amateurisme, c'est d'abord une définition d'exclusion, rappelle Michel Vigneault. À l'époque, seuls les bourgeois et aristocrates peuvent participer à l'aviron. On exclut d'emblée les classes laborieuses, qui travaillent de leurs bras. Le statut social détermine avant tout si l'on est amateur ou pas.»

Diffusion planétaire

Au cours du 19e siècle, de plus en plus d'Anglais fortunés se mettent au sport. L'urbanisation, les moyens de transport améliorés, la popularisation du sport par la presse et l'instauration d'endroits fixes pour pratiquer le sport contribuent à cet essor. La classe ouvrière s'y mettra des décennies plus tard, au 20e siècle, lorsque les conditions de travail s'amélioreront.

Les Anglais exportent leurs nouveaux sports, sans faire d'efforts, par le biais de l'impérialisme. Michel Bouet a écrit: «[...] c'est ce sport que le monde peu à peu adoptera dans ses formes, dans ses règles, dans son esprit, souvent dans son vocabulaire, et surtout dans son culte de la performance et de la compétition. Le sport anglais a été assimilé progressivement par le monde entier.»

De Much Wenlock à Athènes, en passant par Montréal

Le baron Pierre de Coubertin n'a pas fondé les Jeux olympiques modernes, à Athènes en 1896, sur un coup de tête. Des voyages au Québec - où il a visité les universités Laval et McGill -, en Angleterre et en Grèce l'ont notamment inspiré. «Au 19e siècle, il y avait de nombreux efforts pour mettre sur pied des festivals à l'image des Jeux olympiques de l'Antiquité», selon l'historien Bruce Kidd, de l'Université de Toronto.

En août 1844, le Montreal Olympic Club organise les «Jeux olympiques de Montréal» sous la direction du gouverneur général. Plutôt local, l'événement sportif de deux jours réunit, 50 ans avant la première olympiade, Anglais, Irlandais, Écossais, Canadiens français et Amérindiens de Kahnawake. «Des Américains de Plattsburgh et de Roses Point sont aussi du rendez-vous», indique l'historien Michel Vigneault. Seize épreuves sont au programme. De Coubertin est particulièrement impressionné, dit-on, par les Jeux de Much Wenlock, en Angleterre. La petite ville de Much Wenlock accueille, dès 1850, des Jeux pittoresques auxquels assiste le baron. Au programme: épreuves d'athlétisme, sports locaux, cérémonies et porte-drapeaux (de clubs). Le Dr William Penny-Brookes, qui a introduit l'éducation physique dans les écoles britanniques, est à la tête de l'événement. Rappel de cet héritage, une mascotte de Londres 2012 porte le nom Wenlock. «L'idée de recréer des Jeux olympiques était dans l'air, mais de Coubertin a été le premier à en faire une compétition internationale», souligne Michel Vigneault.