Et si, pour une médaille olympique, on offrait des primes à la performance aux athlètes masculins et qu’on n’en offrait pas aux athlètes féminines ?

« Tout le monde crierait très rapidement au scandale, avec raison », répond Samuel Ouellette, directeur administratif du Pôle sports à HEC Montréal.

Athlètes paralympiques : À quand la fin de l’injustice ?

Il est donc pertinent de se demander pourquoi on accepte encore aujourd’hui une disparité sur la base du handicap. On voudrait bien croire que tous les athlètes sont égaux, mais visiblement, certains le sont plus que d’autres.

C’est la refonte même du programme de financement paralympique qui est à l’enjeu.

En tant qu’ancien directeur général du Club de la médaille d’or, organisation à but non lucratif visant à offrir des bourses et du financement à des athlètes de la relève, M. Ouellette est à même de constater ce qui cloche dans le financement des athlètes au Canada.

Malheureusement, la Fondation paralympique canadienne ne dispose pas des mêmes moyens financiers que la Fondation olympique. Cette dernière se sert encore des revenus des Jeux olympiques de Calgary en 1988 pour récompenser les médaillés olympiques.

La Fondation paralympique n’est alimentée par aucuns fonds publics et doit donc compter sur des donateurs privés, comme des entreprises. Le problème réside dans cet état de fait.

Il y aurait probablement d’autres moyens de faire progresser la cause des médaillés paralympiques. Sport Canada, qui dirige principalement son financement vers l’organisme À nous le podium, qui, lui, est responsable des stratégies de financement des organisations et des athlètes, pourrait probablement trouver un moyen de faire la part des choses, selon M. Ouellette.

Le directeur du Pôle sports est convaincu que la Fondation paralympique est préoccupée par la situation. Elle est cependant impuissante. Suffisamment pour qu’on se demande combien de temps va encore durer le statu quo.

D’autant que le manque de primes à la performance n’est que la pointe de l’iceberg. Les enjeux entourant le système de financement des athlètes au Canada sont nombreux.

L’œil au beurre noir du sport canadien

Même si le Canada est une puissance mondiale et qu’il développe des athlètes parmi les meilleurs du monde, il n’est pas parfait. Pour un seul médaillé paralympique, beaucoup ont dû abandonner leur rêve. Non pas par manque de passion, mais à cause du manque de ressources financières.

Nicolas-Guy Turbide, nageur et double médaillé paralympique, s’est intéressé à la question. En plus d’être l’un des meilleurs au monde dans sa discipline, l’athlète de 24 ans étudie parallèlement en administration et en planification financière. Il se spécialise dans les finances personnelles dans le but, notamment, d’aider les athlètes de demain.

Turbide connaît le tabac. Il baigne dans le monde du sport amateur et élite depuis toujours. Il est même la preuve qu’il est possible de réaliser ses rêves et d’en vivre. Il est cependant conscient qu’il fait partie d’un groupe de privilégiés. Toutefois, ce n’est pas arrivé par hasard.

Je me suis préparé depuis longtemps, depuis que je suis très jeune, à cette injustice.

Nicolas-Guy Turbide, nageur et double médaillé paralympique

Cette injustice, c’est bien entendu le manque de financement à l’égard du sport amateur, d’une part, et envers les athlètes handicapés, d’autre part. Il a donc trouvé le moyen de réussir sans avoir à dépendre de commanditaires.

Le financement est la clé du succès. De la première fois qu’un athlète s’initie à un nouveau sport jusqu’au podium paralympique. Turbide donne l’exemple des fondeurs, étant donné qu’ils seront en action prochainement. Les fonds nécessaires pour payer une saison s’élèvent à plusieurs dizaines de milliers de dollars. Leur rémunération n’est même pas suffisante pour payer leur saison, donc il devient extrêmement difficile de payer un loyer, la nutrition et les traitements. « On a des soutiens financiers, mais en partant, ta saison sportive coûte déjà plus que ton revenu. Oui, c’est un rêve, mais c’est dur de le justifier si ça ne vient pas avec des récompenses financières. »

En quête de reconnaissance

Une récompense en vertu d’une médaille paralympique ne viendrait pas seulement alléger le fardeau financier des athlètes. Selon Samuel Ouellette, ceux-ci seraient également enfin reconnus à leur juste valeur.

« Pour moi, la thématique de la reconnaissance est centrale », estime M. Ouellette.

PHOTO JOEL MARKLUND, FOURNIE PAR LE CIO

Membres de l’équipe canadienne de hockey paralympique

Naturellement, la reconnaissance d’un athlète dépend beaucoup de la médaille, notamment dans les stratégies de financement, explique-t-il. En revanche, une quatrième position est souvent sous-estimée. Même si terminer en quatrième position dans une épreuve qui réunit les meilleures athlètes au monde est une performance hors norme. À son avis, il faut aussi penser à ces athlètes lorsque vient le temps de rediriger le financement. Ne pas le faire serait aussi une forme d’injustice discréditant les athlètes qui figurent quand même parmi l’élite.

Selon Nicolas-Guy Turbide, le système de financement est névralgique dans le développement des athlètes paralympiques. Il explique que parfois, c’est ce qui va faire en sorte qu’un athlète décide d’arrêter ou de continuer. Ils ont un rêve à vivre, mais ils doivent aussi gagner leur vie.

D’autant que le financement n’arrive pas par hasard. Sans visibilité, il n’y a pas de commanditaires. Sans commanditaires, il n’y a pas de reconnaissance. Sans reconnaissance, il n’y a pas de financement. Sans financement, il n’y a pas de podium.

« C’est quand même de mieux en mieux, ça s’améliore et on le voit », convient le nageur.

Samuel Ouellette est lui aussi optimiste que le dossier des primes à la performance des médaillés paralympiques sera réglé en vue des Jeux de Paris en 2024. Le sujet est brûlant. La marmite est sur le point de déborder.

Il est d’avis que la société actuelle est mûre pour offrir une stratégie paritaire entre les athlètes olympiques et paralympiques.

M. Ouellette explique son idée sur la base que le sport est « un fait social qui est propre à une époque ». C’est-à-dire qu’aujourd’hui, les enjeux d’équité, de diversité et d’inclusion sont beaucoup plus actuels. On en entend beaucoup plus parler et donc, c’est probablement ce véhicule social et ce contexte qui vont nous amener à reconnaître le travail et les efforts qui sont réalisés par les médaillés paralympiques.

Un athlète olympique et un athlète paralympique s’investissent autant pour une performance extraordinaire qui se solde par une médaille. L’effort est le même, mais la reconnaissance et les récompenses ne sont en rien équivalentes, encore aujourd’hui.

Le collectif avant les individus

Tous les acteurs impliqués dans le mouvement paralympique sont au courant. Tout le monde sait que les médaillés paralympiques sont laissés pour compte en ne recevant aucune prime à la performance. La cheffe de la direction du Comité paralympique canadien (CPC), Karen O’Neill, en est aussi consciente.

« C’est inacceptable », a-t-elle répondu lorsqu’elle a été questionnée par La Presse à ce sujet.

À la direction du CPC depuis 2013, Mme O’Neill a fait avancer la cause paralympique et a fait grandir l’organisme, certes. Or, l’absence continuelle et prolongée de bourses pour les médaillés paralympiques demeure le talon d’Achille du comité.

Le problème demeure et Mme O’Neill le confirme : la Fondation et le Comité paralympiques n’ont pas les poches assez profondes. Le manque de dons est criant.

PHOTO FOURNIE PAR LE COMITÉ PARALYMPIQUE CANADIEN

Karen O’Neill, cheffe de la direction du Comité paralympique canadien

La cheffe de la direction explique qu’il y a eu, heureusement, une évolution importante au sein de l’organisation en matière de fonds disponibles au cours de la dernière décennie. La présentation des Jeux de Vancouver en 2010 a vraiment aidé à renflouer les coffres. L’intérêt pour l’organisation et sa mission a pris du galon et ç’a certainement été profitable. Les donateurs, les partenaires et le gouvernement ont répondu aux demandes du CPC, mais c’est toujours insuffisant.

Il n’en demeure pas moins que récompenser les athlètes pour leurs médailles n’aurait pas mis la Fondation paralympique canadienne en faillite. Le comité non plus. Les deux organisations ont dû faire des choix. C’est pourquoi elles ont décidé d’investir dans le système et dans le collectif, plutôt que dans les primes individuelles. Mme O’Neill croit qu’il était plus judicieux d’aider directement le développement des entraîneurs et des infrastructures.

« On arrive à un point où on a encore besoin d’investir dans le système, mais on aimerait vraiment reconnaître et récompenser les athlètes qui ont réussi à monter sur le podium avec des fonds », a précisé Mme O’Neill. Le fait est que les instances paralympiques canadiennes ont tout de même privilégié le système au cours des trois derniers cycles paralympiques.

La nouvelle priorité

À quelques jours des Jeux paralympiques de Pékin et à la veille d’un nouveau cycle, le CPC aurait clairement défini les primes à la performance comme l’un des grands dossiers à régler.

Mme O’Neill a même confirmé qu’une rencontre avait été organisée à ce sujet : « Au cours des derniers mois, au conseil d’administration du CPC et de la Fondation, tout le monde a établi le problème comme étant une priorité qui fera partie de notre prochain cycle. Il faut augmenter les fonds disponibles. Tout le monde appuie ça. »

Ce genre de réunion pour mettre la table en vue des prochains cycles a lieu habituellement après les Jeux, mais la situation actuelle l’imposait. Tout le monde le conçoit, mais rien n’a encore changé. Il faut amasser plus de fonds, mais il faudra l’aide plus accrue de donateurs, d’entreprises et du gouvernement.

D’ailleurs, le gouvernement a joué un rôle plutôt discret dans ce dossier depuis que les athlètes et les différentes organisations ont commencé à lever le voile sur cette injustice, comme l’ont souligné les divers intervenants.

Néanmoins, Mme O’Neill est prête à reconnaître que l’appui du gouvernement a été exemplaire depuis deux ans. Avec la pandémie, le report des Jeux de Tokyo et le calendrier condensé, « le gouvernement a été exceptionnel ».

Depuis la réélection du gouvernement de Justin Trudeau l’automne dernier, c’est Pascale St-Onge, députée de Brome-Missisquoi, qui est aux commandes du ministère des Sports du Canada. La cheffe de la direction du CPC soutient qu’elle a pu discuter avec la ministre pour lui expliquer la mission et les travaux menés par le Comité. Depuis, il n’y a pas eu de rencontres supplémentaires ou de suivis. Mme O’Neill aimerait bien pouvoir revenir sur le sujet du financement des athlètes paralympiques après les Jeux de Pékin pour tenir un bilan et établir des stratégies. Cependant, pour l’instant, le CPC « n’a pas parlé de ça [le financement des médailles] directement avec la ministre », a précisé Mme O’Neill.

Mme St-Onge a par ailleurs refusé les demandes d’entrevue de La Presse pour discuter du sujet et pour exprimer son point de vue sur la question.

Le prochain défi du Comité paralympique canadien sera de trouver et de maintenir les fonds nécessaires pour au moins les deux ou trois prochains cycles paralympiques.

Le débat va au-delà du financement des médailles. Mme O’Neill espère pouvoir améliorer la communication, la collecte de fonds et le soutien des athlètes et de leur environnement.

La cheffe de la direction du CPC n’a pas voulu se prononcer à savoir si les primes à la performance seraient en vigueur pour les Jeux de Paris en 2024, mais elle est optimiste pour la suite des choses.

Qu’à cela ne tienne, les athlètes qui monteront sur le podium à Pékin prochainement ne recevront rien, contrairement aux athlètes olympiques, faute de financement.