Le mouvement paralympique a toujours vécu avec un sentiment d’infériorité par rapport à l’olympisme. Dernièrement, l’écart entre les deux s’est rétréci. Les athlètes paralympiques profitent d’un traitement plus équitable au Canada. Toutefois, une inégalité majeure persiste : les médaillés paralympiques ne reçoivent pas de primes à la performance.

Le Fonds d’excellence des athlètes du Comité olympique canadien (COC) offre des bourses liées à la performance aux médaillés olympiques depuis 2008. Ainsi, un athlète olympique reçoit 20 000 $ s’il remporte l’or, 15 000 $ pour l’argent et 10 000 $ pour le bronze.

Chantal Petitclerc et Benoit Huot sont deux des athlètes canadiens les plus prolifiques de l’histoire. Ils ont respectivement remporté 21 et 20 médailles paralympiques.

S’ils avaient été des athlètes olympiques, Petitclerc aurait reçu l’équivalent de 375 000 $ en bonis au cours de sa carrière, et Huot aurait touché 315 000 $ en récompense. Or, en raison de leur handicap, ils n’ont rien reçu.

En résumé, 0 $.

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Chantal Petitclerc

La problématique est énorme et la nécessité de la régler est criante, expliquent les intervenants consultés par La Presse. Comment se fait-il qu’en 2022, des athlètes aussi talentueux et d’une telle envergure soient toujours discriminés sur la base de leur handicap ?

Dans un monde idéal, c’est la Fondation paralympique canadienne, qui est une division à part du Comité paralympique canadien, qui aurait la responsabilité de récompenser les médaillés. Cependant, les fonds sont insuffisants. Il n’y a pas assez d’argent disponible pour pouvoir offrir ces primes aux athlètes qui gagnent des médailles paralympiques.

L’origine du problème est connue depuis longtemps, mais selon Benoit Huot, qui a collaboré et travaillé avec la Fondation paralympique pendant près de trois ans, cette justification est insuffisante : « Oui, la Fondation paralympique n’a pas les mêmes moyens que la Fondation olympique, mais je n’en ai rien à cirer, je n’en ai rien à foutre. Ce ne sont pas des enfants pauvres. Il faut trouver une façon. Ils ont des partenaires et je ne comprends pas qu’en 2022, on ne soit pas capable d’en faire une priorité, étant donné que c’est la dernière chose qui nous sépare et qui nous différencie de l’olympisme. »

Chantal Petitclerc tient à peu près le même discours. Tout le monde dans la sphère paralympique est au fait de cette injustice, mais l’espoir de voir les choses changer ne tient maintenant que par un fil. Lorsque le fonds olympique a été créé, les athlètes paralympiques se disaient qu’un jour, leur tour viendrait. Ils ont pris leur mal en patience, mais aujourd’hui, leur patience a atteint la limite, presque quatre cycles plus tard.

« On dit que le mouvement avance, mais ce n’est pas encore réglé et je dirais que c’est peut-être encore plus grave aujourd’hui. On n’a plus l’excuse de la nouveauté. Mon impression, c’est qu’il n’y a pas grand monde qui se bat pour ça et ça vient vraiment me chercher », a expliqué l’ancienne athlète.

Une question d’équité

Benoit Huot a marqué les esprits grâce à ses prouesses dans la piscine. Il est aujourd’hui l’un des grands ambassadeurs du sport paralympique au Canada. Il aurait pu se retirer de la sphère publique après ses derniers Jeux en 2016. Son héritage était déjà précieux. Sauf qu’il voulait que son legs aille au-delà de ses performances sportives. Le combat le plus important de sa vie n’aura peut-être pas été celui qu’il a livré chaque fois qu’il a pris le départ d’une course. Il pourrait plutôt résider dans la manière dont on valorise la performance paralympique.

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C’est une question d’équité, d’inclusion et d’égalité. Si on dit à nos athlètes paralympiques qui remportent des médailles qu’on ne les reconnaît pas à leur juste valeur, c’est un exemple de manque d’équité. Pourquoi nos médailles ne peuvent-elles pas être récompensées à leur juste valeur ? C’est pour ça qu’on milite, on ressent une injustice.

Benoit Huot

Le fait de priver les médaillés paralympiques d’une somme considérable prouve que les personnes handicapées subissent encore des traitements discriminatoires, selon Chantal Petitclerc.

Sénatrice à Ottawa depuis 2016, elle est d’avis que la Fondation et le Comité paralympiques pourraient tenter de trouver d’autres moyens de financement. Son rôle au Sénat étant plus législatif, ses actions sont assez limitées dans ce dossier. Il n’en demeure pas moins qu’elle ne se gêne pas pour affirmer que ça traîne en longueur et que le gouvernement devrait peut-être s’en mêler plus tôt que tard. En regardant la situation froidement, « ça ne demanderait pas tant d’argent que ça », a-t-elle ajouté.

Quatre grands pôles

Actuellement, mis à part l’absence de primes à la médaille, le mouvement paralympique souffre de trois autres manques : la visibilité, la reconnaissance et la commandite.

Même si ces quatre problèmes sont théoriquement différents, ils font tous partie de la même équation, selon Petitclerc et Huot.

Près d’un quart de siècle après le tournant des années 2000, l’impression est que les athlètes handicapés sont toujours considérés comme étant moins importants, moins méritants et financièrement moins lucratifs.

S’il y en a une qui peut en témoigner, c’est bien Chantal Petitclerc : « Je me rappelle qu’en revenant des Jeux de Pékin, j’étais partout, mais ça m’avait pris cinq médailles d’or à ces Jeux pour être partout. Parfois, j’étais sur le même plateau que des olympiens qui avaient gagné “juste” une médaille de bronze. Ça ne me dérange plus, parce qu’on ne fait pas ça pour ça, mais des raisons d’être frustrée, d’être froissée, il y en a eu. Il a fallu que je travaille toujours trois fois plus fort que tout le monde pour avoir de la visibilité. »

Vivre d’espoir

Malgré sa consternation, Benoit Huot croit fermement que le Comité paralympique canadien (CPC) est à l’écoute : « C’est une question de temps. »

L’ancien nageur pense que le CPC est bien au fait d’une situation qui n’aide en rien le mouvement paralympique et ses athlètes. Il en est certain : ce dossier est prioritaire, bien que toujours non classé.

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Benoit Huot

« C’est fâchant », il en convient. Selon lui, il s’agit du seul enjeu qui donne encore mauvaise presse au Comité paralympique et à la Fondation. Il ne comprend pas que ce soit toujours absent à l’ordre du jour.

D’autant que le programme américain, l’été dernier, a été capable d’offrir les mêmes bourses à ses médaillés paralympiques et olympiques. Principalement parce que les deux comités ont travaillé ensemble.

Alors pourquoi le Canada n’y parvient-il pas ? Selon l’ancien nageur, il n’est pas impossible que le COC et le CPC puissent un jour travailler main dans la main. Voire partager leurs coffres, qui sait.

Il y aurait de l’intérêt de part et d’autre. Évidemment, les deux organisations ne comptent pas sur les mêmes partenaires et les mêmes commanditaires, mais les deux parties seraient gagnantes à travailler plus étroitement ensemble, selon Huot.

Pour le moment, les progrès sont minimes et malgré l’espoir que porte le médaillé paralympique, il est déçu que ce dossier soit encore inchangé.

Si on n’en parle pas, ça va prendre 10 autres années et ça, c’est inacceptable.

Benoit Huot

Chantal Petitclerc aurait aussi espéré que la génération qui l’a suivie profite du combat qu’elle a livré tout au long de sa carrière. Sa position et son statut le lui ont permis. Ce qui n’est pas le luxe de plusieurs athlètes actifs. Elle n’a pas craint d’attaquer le problème de front. Elle veut en parler aussi fort que possible : « Si personne ne s’en mêle, ça n’arrivera jamais. Je me suis battue au cours de ma carrière. J’ai chialé. C’est sûr que ce n’est pas plaisant à faire, mais il faut le faire. »

Pour l’instant, les Canadiens qui auront remporté une médaille à la sueur de leur front aux Jeux paralympiques de Pékin ne recevront pas un centime, contrairement à leurs compatriotes des Jeux olympiques. Chantal Petitclerc et Benoit Huot ont gagné leur vie en surmontant les obstacles et en essayant d’être les plus rapides. Il serait bien mal avisé de miser contre eux dans cette course contre la montre.

Athlètes paralympiques : La pointe de l’iceberg