(Pékin) Bras dans les airs, Laurent Dubreuil ne comprenait pas ce qui se passait. Pour une rare fois, il était sans mots, incapable de produire le moindre son.

Son entraîneur Gregor Jelonek compensait. Fou de joie, il tournoyait sur ses patins. Il a rejoint son protégé des 13 dernières années en quelques foulées. L’attrapant par les épaules, il lui a glissé : « Tu as réussi. »

Six jours après une quatrième place au 500 m, la pire déception de sa carrière, Dubreuil s’est métamorphosé en as du 1000 m, vendredi.

Propulsé par son meilleur départ à vie – et le geste magnanime d’un rival néerlandais –, le patineur a résisté jusqu’à la dernière ligne droite, décrochant la médaille d’argent, un premier podium individuel pour un Québécois depuis Gaétan Boucher en 1984.

La course en images
  • Laurent Dubreuil a décroché la médaille d’argent au 1000 m, vendredi.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Laurent Dubreuil a décroché la médaille d’argent au 1000 m, vendredi.

  • Laurent Dubreuil célèbre sa victoire après sa course.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Laurent Dubreuil célèbre sa victoire après sa course.

  • Laurent Dubreuil se concentre deux heures avant la course.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Laurent Dubreuil se concentre deux heures avant la course.

  • Le patineur Laurent Dubreuil franchit la ligne d'arrivée.

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Le patineur Laurent Dubreuil franchit la ligne d'arrivée.

  • Laurent Dubreuil, les bras au ciel, après sa médaille d'argent

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    Laurent Dubreuil, les bras au ciel, après sa médaille d'argent

  • Laurent Dubreuil (argent), le Néerlandais Thomas Krol (or) et le Norvégien Haavard Holmefjord Lorentzen (bronze)

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    Laurent Dubreuil (argent), le Néerlandais Thomas Krol (or) et le Norvégien Haavard Holmefjord Lorentzen (bronze)

  • Laurent Dubreuil sur le podium

    PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

    Laurent Dubreuil sur le podium

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La couleur de la médaille n’avait aucune importance. « Je le ressens comme une victoire en ce moment », a résumé Dubreuil, qui avait retrouvé l’usage de la parole après la cérémonie.

L’athlète de 29 ans peinait à croire ce qui lui arrivait : « C’est fou comme tournure d’évènements ! Si on m’avait dit que j’allais gagner une seule médaille, je n’aurais pas parié sur cette distance-là. Finir quatrième aux Jeux olympiques n’est pas l’un des pires moments de ma carrière, mais certainement l’une des plus grandes déceptions considérant l’année que j’avais. Vivre l’un des meilleurs moments dans la même semaine, c’est indescriptible. Honnêtement, je n’y croyais pas quand j’ai traversé la ligne. »

S’élançant dans la 15e et dernière paire comme au 500 m, Dubreuil n’avait pas le même état d’esprit. Favori sur la plus courte distance après ses huit podiums en huit départs en Coupe du monde, il avait cette fois le statut de prétendant. À sa droite, il avait Kai Verbij, champion mondial en titre et médaillé d’argent au 1500 m à Pékin.

Avec un peu de chance, il aurait le Néerlandais en point de mire au changement de côté dans l’avant-dernière ligne droite. Or le Canadien est parti si rapidement que Verbij, qui était à égalité à sa sortie du virage intérieur, s’est relevé pour lui céder le passage. Il a fini 30e et bon dernier, à quatre secondes du concurrent précédent.

PHOTO SUE OGROCKI, ASSOCIATED PRESS

Kai Verbij et son entaîneur Jac Orie, après la course

Le règlement l’obligeait à agir ainsi, mais ce ne sont pas tous les patineurs qui auraient fait preuve d’un tel esprit sportif dans les mêmes circonstances, a fait remarquer Dubreuil, avouant qu’il aurait sans doute lui-même tenté une manœuvre désespérée.

C’est dommage parce que ça a complètement scrapé sa course. Je le remercie du fond du cœur de m’avoir laissé passer. C’était vraiment une décision qui démontrait beaucoup de classe et de professionnalisme de sa part. […] Je lui en suis énormément redevable et reconnaissant.

Laurent Dubreuil

Verbij se doutait qu’il pouvait avoir des problèmes face à un sprinteur de la trempe de Dubreuil. « Quand je suis arrivé dans le dernier virage, je savais que j’en sortirais juste à côté de lui. Je savais que je devais me tasser. J’aurais pu essayer d’accélérer un peu, mais je ne crois pas que ça aurait fonctionné. J’ai décidé de céder le passage parce que je ne voulais pas gâcher la performance olympique de quelqu’un d’autre. À ce moment précis, je savais que c’était fini. »

Dubreuil a franchi la ligne en 1 min 8,32 s, à quatre dixièmes du médaillé d’or, le Néerlandais Thomas Krol. Son ami norvégien Haavard Holmefjord Lorentzen, qu’il avait pu féliciter après sa course, a remporté le bronze en 1 min 8,56 s.

Aux 600 m, le Canadien avoue avoir jeté un œil à l’immense écran géant accroché dans le coin. Il a vu sa priorité de sept dixièmes sur Krol, mais il ne pensait pas pouvoir menacer le chrono du meneur de la Coupe du monde sur la distance. Quand il est passé devant lui, Jelonek lui a crié : « C’est à toi, tu l’as ! »

« J’ai été capable de garder ma technique juste assez, de maintenir ma concentration jusqu’à la fin. Je n’aurais pas pu gagner aujourd’hui, c’est le meilleur résultat que je pouvais faire. »

Dubreuil ne le cache pas : mettre la désillusion du 500 m derrière lui a été plus facile à dire qu’à faire. La dernière semaine d’entraînement a été pénible.

« Aujourd’hui, je savais que j’avais des chances de le faire, mais je n’avais aucune attente. La déception a été tellement grande que si je n’avais pas gagné de médaille aujourd’hui, je n’aurais même pas été déçu. Je ne pouvais pas être plus déçu que je l’étais il y a six jours. Patiner comme ça, libre d’attentes, juste patiner pour le fun, de me laisser aller sur la glace, c’était vraiment la meilleure stratégie, mais ç’a été très, très difficile. »

L’éloignement de sa famille n’a pas aidé. Tout le monde lui rappelait l’histoire dramatique de Dan Jansen. L’Américain a enlevé l’or au 1000 m à sa toute dernière tentative en 1994 après une série de déceptions aux JO. Jansen lui a même envoyé un message d’encouragement sur Instagram.

« Faire un “Dan Jansen”, c’est ce que je visais avant même qu’il me contacte, a dit Dubeuil. Je n’ai pas tout à fait gagné, mais je le ressens comme une victoire. C’est très spécial de réussir ça dans une distance où j’ai travaillé tellement plus fort qu’au 500 m pour être compétitif. »

Sur le podium, l’athlète de Lévis a fait « deux » avec ses doigts, le chiffre préféré de sa fille Rose, deux ans et demi. Pendant toute l’année, sa femme et lui ont tenté de lui faire comprendre que le « 1 » était bien mieux en patinage de vitesse.

« Pour elle, c’est probablement le scénario de rêve de me voir finir deuxième. Pour la première fois, quand elle va dire papa est le meilleur, il est deuxième, je vais être d’accord avec elle ! Parce que ça ressemble vraiment à une victoire. »