(Zhangjiakou) En marchant dans le tunnel les menant au stade, Antoine Cyr et Graham Ritchie ont eu la même réflexion : « Allons-y pour une médaille aujourd’hui. »

Septièmes du sprint par équipes aux Mondiaux de l’an dernier, les fondeurs de 23 ans ne voyaient pas pourquoi ils ne viseraient pas plus haut aux Jeux olympiques de Pékin. Même après une quinzaine pénible, en particulier pour Cyr, qui n’aurait pas été surpris de ne pas recevoir l’appel de son entraîneur deux jours plus tôt.

Mais Erik Braten s’en est tenu au plan original pour cette épreuve disputée en style classique : Cyr comme partant pour soutenir le rythme des grandes nations, Ritchie comme finisseur en cas de dénouement serré.

Le duo canadien lui a donné raison, même s’il n’est pas monté sur le podium à l’issue de la course présentée sous les réflecteurs et par -15 °C, mercredi soir. Cyr et Ritchie ont causé la surprise en terminant cinquièmes, un résultat qu’ils ont célébré comme une médaille d’or dans l’aire d’arrivée.

« Honnêtement, oui, cette cinquième place ressemble à une victoire aujourd’hui », a convenu l’Ontarien Ritchie à La Presse, la face encore rougie après les violents efforts qu’il venait de produire 30 minutes plus tôt.

Comme premier relayeur, Cyr a été magistral compte tenu de son inexpérience dans un peloton d’un tel niveau. Ses rivaux directs avaient pour noms Bolshunov, Valnes, Niskanen, trois champions olympiques. À la deuxième portion, le jeune homme de Gatineau a été particulièrement fumant, suivant les traces du Finlandais Niskanen, médaillé d’or du 15 km et peut-être le meilleur technicien de classique au monde, dans la principale montée du circuit.

« De me retrouver dans ses skis et d’être capable de rester relaxe, j’étais comme : “OK, je suis dans une bonne journée aujourd’hui !” »

Pour Cyr, c’était le jour et la nuit après trois premières courses cauchemardesques à l’issue desquelles il a remis en question sa préparation et sa capacité à rebondir d’ici la fin.

« C’était beaucoup d’émotions aujourd’hui. Je n’ai pas eu les Olympiques que je souhaitais. C’était déception après déception. Aujourd’hui, c’était incroyable. J’ai eu une super journée, Graham aussi. Le team sprint, c’est un bon format pour nous deux. »

Par textos, Cyr a reçu les encouragements continuels de son ami et mentor Alex Harvey, quatrième du relais sprint en style libre aux Jeux de Vancouver avec Devon Kershaw en 2010. Les deux hommes ont triomphé en classique un an plus tard aux Mondiaux d’Oslo.

« S’il y a quelqu’un qui connaît le défi supplémentaire que représentent les Jeux olympiques, la pression, l’accès à la nourriture, le temps de transport, etc., c’est Alex. Ça signifie beaucoup, obtenir son appui. »

Cinquième au moment de recevoir le dernier relais de Ritchie, Cyr a tout fait pour s’accrocher à Bolshunov, gagnant du skiathlon, et ensuite à Valnes, qui ont imposé un tempo infernal dans l’ultime ascension. Niskanen a suivi, mais le Québécois a tout juste raté le coche avant le virage.

« Quand on a tourné, j’étais vraiment accoté, vraiment au max, max, max. J’ai juste manqué la draft de peu. Ça se passe vite. Il me manquait peut-être deux mètres, et j’étais dans la draft et je revenais. C’est deux mètres que je n’avais pas en moi. » 

On avait le podium juste devant nous. Je suis un peu déçu parce que c’est deux petits coups de double poussée qui me manquaient pour revenir dans la descente. Après ça, on se battait contre trois champions olympiques…

Antoine Cyr

Ritchie n’a pu s’accrocher au Suédois Oskar Svensson, mais a su résister au retour de l’Italien Federico Pellegrino, médaillé d’argent au sprint individuel, pour conforter cette cinquième position.

Au bout de la dernière ligne droite, Cyr l’a accueilli comme un héros avec un « wouhou ! » bien senti.

Johannes Hoesflot Klæbo a facilement lâché le Finlandais Maki et le Russe Terentev dans le dernier coup de boutoir à 500 mètres de la fin. Le Norvégien a enfin souri et célébré après cette deuxième médaille d’or en sprint aux Jeux, un second doublé de suite après celui de 2018. La Finlande a cueilli l’argent, devançant le Comité olympique russe par un peu moins de deux secondes.

« Ils en veulent plus »

Les deux Canadiens ont rapidement sauté dans le groupe de techniciens et d’entraîneurs qui les applaudissaient en bordure de l’arrivée. Cyr est tombé dans les bras de sa blonde, Laura Leclair, skieuse de l’équipe canadienne à Pékin.

« Les deux ont tellement bien skié, on est très fiers d’eux », a-t-elle réagi quelques secondes plus tard. « Je pense qu’[Antoine] est allé chercher quelque chose au fond de lui. En fait, je ne suis vraiment pas surprise qu’il ait sorti cette performance. »

Loin de son niveau à toutes les épreuves jusque-là, Cyr s’expliquait mal ce retournement de situation.

« Je ne sais pas ce qui s’est passé. Erik a confiance en mes capacités de skieur. L’équipe a toujours eu confiance en moi, mais là, je sentais que les gars étaient comme : “Regarde Tony, c’est toi, le choix.” Je parlais avec mon farteur Simon [Boisvert], il me disait : “Tony, c’est toi en classique qui l’as, va leur montrer ce dont tu es capable.” »

En se changeant dans une salle avant les entrevues, Cyr et Ritchie regrettaient presque de ne pas avoir gagné de médaille. De la musique aux oreilles de Braten, qui a rapporté l’anecdote à La Presse.

« Ils obtiennent ce résultat complètement fou et ils en veulent aussitôt plus, a relevé l’entraîneur norvégien. C’est l’élément clé. C’est quelque chose qu’on peut tellement utiliser pour la motivation. C’est la combinaison parfaite : de la satisfaction, mais être affamé pour plus. »

PHOTO AARON FAVILA, ASSOCIATED PRESS

Graham Ritchie (à l’avant-plan)

Pendant la course, l’annonceur n’a pas manqué de souligner la prestation du Canada, « la grande surprise » de cette finale. Rappelant le titre de 2011, qu’il avait lui-même décrit à Oslo, il a souligné au micro qu’« Harvey et Kershaw croisaient les doigts pour leur équipe devant leur téléviseur ».

Harvey a effectivement suivi l’épreuve à Saint-Ferréol-les-Neiges, mais en rediffusion. Il s’était quand même gardé la surprise. « Ça me fait penser à Vancouver 2010 », nous a-t-il écrit un peu plus tard. « Un petit Québécois et un Ontarien en équipe. Même chose pour Tony et Graham ! »

Kershaw, qui vit à Lillehammer, n’a pas manqué une seconde de la finale. Pendant les Jeux, il tient une émission balado pour le site spécialisé américain fasterskier.com. Il n’avait pas épargné ses compatriotes canadiens jusque-là.

« Content tu dis ? Je suis cr… content pour eux ! », s’est-il extasié depuis la Norvège. « Ces gars-là ont si bien skié. Réussir une course comme celle-là, quand ça compte le plus, c’est ce qu’il y a de plus important. Faire cela à 23 ans, c’est encore plus impressionnant. Faire cela à 23 ans, en altitude, à tes premiers Jeux olympiques, après que ces gars-là en ont tellement arraché pendant le championnat, ça témoigne d’un vrai talent. »

« Je suis tellement fier de les voir renverser la vapeur mentalement. C’est incroyable. Je n’ai jamais moi-même été aussi fort. Je suis aux anges pour les gars. Si tu vois Tony, donne-lui la plus grosse tape sur l’épaule. That was one hell of a performance. »

Ainsi se concluent les premiers Jeux d’Antoine Cyr, qui a préféré déclarer forfait pour le 50 km de samedi afin de se préparer pour la fin de la saison de Coupe du monde.

« Le sport, quand tu es au plus bas, ça fait mal et c’est dur. Revenir et faire une course comme ça aujourd’hui, c’est juste incroyable. »

Plus tôt dans la journée, Katherine Stewart-Jones et Dahria Beatty se sont arrêtées en demi-finale du relais sprint féminin. Sixièmes de la première vague, les Canadienne ont été délogées par des temps plus rapides dans le deuxième départ. Elles ont terminé à la 12e place, une de mieux qu’aux Mondiaux l’an dernier.

« Notre but était d’aller en finale, mais je n’avais pas les jambes que je voulais, j’étais un peu fatiguée », a reconnu Stewart-Jones, originaire de Chelsea.

« Dahria a vraiment bien skié. Je ne peux pas être déçue de notre effort parce que j’ai vraiment tout donné. »