(Pékin) Laurent Dubreuil savait qu’il ne tenait pas une course exceptionnelle. Mais avec un peu de chance, le podium était possible. Quand il a levé les yeux vers le tableau indicateur, le chiffre « 5 » est apparu à côté de son nom. Il a mis les mains sur son crâne rasé, grimacé et secoué la tête.

Deux mois après une séquence exceptionnelle, où il a presque touché le ciel, le patineur de Lévis est retombé sur terre à la course qui comptait le plus pour lui.

Après comparaison des millièmes, Dubreuil a été promu au quatrième rang, mais cela n’était que presque plus cruel : il a raté la médaille par trois centièmes de seconde, samedi après-midi.

Regardez la course de Laurent Dubreuil

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Laurent Dubreuil

Presque instantanément, tout le monde a pensé à ce faux départ à peine perceptible, commis une minute ou deux plus tôt. Un dixième vient de disparaître juste là, s’était dit l’entraîneur Gregor Jelonek, posté dans la deuxième ligne droite, en attendant le deuxième départ de la 15e et dernière paire au 500 mètres des Jeux olympiques de Pékin.

Peut-être, a convenu le malheureux quatrième, mais cela ne l’empêchait pas de tenir son sort entre ses mains. Dans la paire précédente, le Japonais Wataru Morishige n’avait-il pas lui aussi provoqué un faux départ avant de filer vers le bronze ?

« C’est sûr que je suis déçu en ce moment », ont été les premiers mots de Dubreuil dans les entrailles de l’Ovale national de patinage de vitesse.

Ce serait mentir de dire le contraire. Je vais passer par-dessus et, éventuellement, je n’y penserai plus. En attendant, ça ne fait même pas une demi-heure que c’est fini. Passer si proche… Ce n’était pas une course parfaite, mais c’est facile de s’imaginer être capable d’aller trois centièmes plus vite.

Laurent Dubreuil

L’athlète de 29 ans avait eu l’occasion d’échanger brièvement avec sa femme, Andréanne, et Rose, sa fille de 2 ans, grâce à un système mis en place par le Comité international olympique. La connexion était mauvaise, et l’écran figeait.

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Laurent Dubreuil

« J’ai hâte de leur parler, j’ai hâte de les voir, mais par rapport à ma course, je n’ai pas grand-chose à dire. Ce n’était juste pas assez. Qu’est-ce que tu veux, c’est ça, le sport. »

Sur la glace, la déconvenue de Dubreuil a coïncidé avec les cris de joie du public local, relativement bruyant malgré les limites imposées par la COVID-19. Meneur depuis la moitié de la session avec un record olympique de 34,32 secondes, Gao Tingyu est devenu le premier homme chinois médaillé d’or olympique en patinage de vitesse longue piste. Porte-drapeau de son pays à la cérémonie d’ouverture, Gao admet avoir craint que ça lui porte malchance.

« Quelqu’un m’a parlé de la malédiction du porteur de drapeau, mais je veux seulement dire : au diable la malédiction, j’ai gagné la médaille d’or », a dit le champion de 24 ans.

Le Sud-Coréen Cha Min-kyu a suivi à 34,39 secondes, pour remporter l’argent comme en 2018. Morishige (34,49) s’est emparé du bronze pour compléter ce podium tout asiatique.

Champion du monde en titre, Dubreuil a donc raté l’occasion de devenir le tout premier à décrocher une médaille d’or olympique dans la foulée.

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Le Chinois Gao Tingyu a célébré sa médaille d’or remportée à la maison.

Si Gao s’élançait dans la septième paire, c’est qu’il avait raté près de la moitié des épreuves de Coupes du monde et été disqualifié dans une autre. Aux yeux de Dubreuil, il était le « favori » à Pékin.

En revanche, le Québécois assure ne pas avoir été ébranlé par le record olympique établi par son rival.

C’est sûr qu’il a fait un bon temps, mais ça ne m’a pas intimidé, honnêtement. Premièrement, je pense que je suis capable de faire ce temps. Deuxièmement, il y a trois places sur le podium. Avant ma course, 34,49, j’y croyais absolument. Même 34,32, pourquoi pas ? Je n’avais pas de limites, je n’ai juste pas eu la course que j’espérais.

Laurent Dubreuil

Il y a eu, bien sûr, ce départ qu’il a dû retenir, ne serait-ce que d’une façon infime, ce premier virage « qui manquait peut-être un peu de beat » et ce second « un peu lourd ». « Je ne patinais pas très léger ou fluide. Ce sont des détails. »

Ces « détails » faisaient en sorte qu’ils discutaient avec une dizaine de journalistes pendant que Gao, Cha et Morishige recevaient leur petit panda à la cérémonie du podium. Le Japonais a réussi exactement la même ouverture que son rival canadien (9,63 secondes), mais a simplement réussi un tour trois centièmes plus rapide.

« Ma préparation a été bonne, l’entraînement a bien été, mon état d’esprit était bon, a énuméré Dubreuil. Ça n’a juste pas été assez. Un des trois gars devant a une course un petit peu moins bonne, et on a une discussion complètement différente même si j’ai fait la même course. Finalement, quatrième au monde, c’est bon, c’est juste qu’il y avait trois gars meilleurs que moi. »

Quand il est passé devant son entraîneur sur la glace, Dubreuil, prostré, n’a pas eu le cœur de répondre à sa main tendue. « Garde la tête haute », lui a soufflé Jelonek.

D’entrée de jeu, Jelonek a prévenu les journalistes : pas de tête d’enterrement ici.

Je suis très fier de Laurent. Je trouvais qu’il avait beaucoup de pression sur les épaules. C’est vrai qu’il avait huit podiums en huit courses. Cependant, on est aux Jeux olympiques, dernière paire, [couloir] intérieur, faux départ. De mon point de vue, chaque fois que j’ai un patineur qui fait un faux départ, c’est un dixième qui vient de sauter.

Gregor Jelonek, entraîneur de Laurent Dubreuil

Sans ce faux départ, l’entraîneur estime que son protégé « aurait gagné cette course ». « Je dis ça et je ne dis rien. Ce ne sont pas des excuses, rien de ça. J’entraîne Laurent depuis 13 ans. Il a eu des hauts et des bas. Je suis super content de vivre ce moment. Pour un entraîneur et un athlète, avoir la chance de monter sur le podium aux Olympiques, surtout au 500 mètres, une distance tellement compétitive, c’est merveilleux. »

Les journalistes anglophones ont parlé à Dubreuil de sa famille et de la façon dont elle l’aide à mettre les choses en perspective. À une certaine époque, un tel « échec » lui aurait plombé le moral pendant des mois.

« La nourriture ne goûtait pas pareil, les choses que j’aime ne m’apportaient plus la même joie. Peu importe ce que je vais manger ce soir, ça va avoir un goût normal. Je suis dans un état d’esprit complètement différent. J’étais un homme heureux hier et je le serai demain. »

À l’écoute à ses côtés, Antoine Gélinas-Beaulieu, 29e de ce 500 mètres, s’émerveillait de l’aplomb affiché par son coéquipier.

« Quel champion, Laurent ! J’étais à l’intérieur [de l’anneau], les papillons dans le ventre, en train de le regarder. J’avais beaucoup d’espoir, c’est sûr. On est tous un peu déçus pour lui. Mais le but, dans le sport, c’est d’avoir une mémoire de poisson. Oui, on vit notre déception, c’est plate. Mais il y a les prochaines courses et les prochaines compétitions. Il a une super belle attitude. »

Dubreuil se donnait la soirée pour absorber la déception avant de se concentrer sur son prochain objectif, le 1000 mètres de vendredi.

« C’est sûr que je suis meilleur au 500, mais je suis compétitif aussi au 1000 mètres », a noté le médaillé de bronze aux deux derniers Mondiaux. « Il y a deux ans, j’ai fini sixième au 500 et j’ai gagné une médaille le lendemain. Je l’ai déjà fait. Je ne suis pas un favori tant que ça au 1000 mètres, mais ce n’est absolument pas impossible. À moi d’arriver là dans le bon état d’esprit. »