(Zhangjiakou) Alors qu’il a pratiquement disparu en Coupe du monde, la présence du combiné alpin est remise en question chaque fois qu’il est programmé aux Championnats du monde ou aux Jeux olympiques.

Hormis pour sa valeur historique – le combiné alpin fut la première épreuve olympique en 1936 –, à quoi bon tenir une course boudée par des skieurs de plus en plus spécialisés ? À preuve, ils n’étaient que 27 au départ de la manche de descente aux Jeux olympiques de Pékin, dont deux Chinois, un Monégasque, un Kosovar, un Ukrainien et un Chilien.

Et encore, certains s’élançaient simplement pour améliorer leur position au classement de la discipline, dont le Canadien Brodie Seger, troisième de cette première portion. Avant la manche ultime de slalom, il a demandé des conseils techniques à ses abonnés sur Instagram… Il n’avait pas touché à cette discipline depuis deux ans.

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James Crawford, lors de sa descente au combiné alpin

Deuxième de la descente, à deux centièmes d’Aleksander Aamodt Kilde, son compatriote Jack Crawford se sentait plus à l’aise sur ses skis les plus courts. Au bout de sa prestation entre les piquets, le Torontois de 24 ans n’a cédé que 0,07 s à l’habile Norvégien. Seul l’Autrichien Johannes Strolz est parvenu à les surpasser, succédant à son père Hubert, médaillé d’or à la même épreuve à Calgary en 1988.

C’est ce que Strolz racontait à un Kilde ébahi dans le box des meneurs. À son côté, Crawford semblait sous le choc en voyant les spécialistes comme le Suisse Justin Murisier (4e) ou le Français Alexis Pinturault (abandon) se buter à son temps.

Le skieur de 24 ans n’est encore jamais monté sur le podium en Coupe du monde. Voilà qu’il est devenu seulement le quatrième homme au Canada à remporter une médaille olympique. Il joint son nom à ceux de Steve Podborski (Lake Placid, 1980), Edi Podivinski (Lillehammer, 1994) et Jan Hudec (Sotchi, 2014), qui ont également gagné le bronze, en super-G ou en descente.

Très nerveux, Crawford s’est enfargé dans ses mots au début de sa conférence de presse au centre de ski alpin de Yanqing. Il a lâché un « f… me » avant de se reprendre…

Quatrième de la descente et sixième du super-G, Crawford était passé à quelques centièmes du podium plus tôt aux Jeux de Pékin. Sa tante, Judy Crawford, avait fini quatrième en slalom aux Jeux de Sapporo, en 1972.

« Elle m’a toujours dit que personne ne se souvient des quatrièmes places », a raconté Crawford, également quatrième au combiné des Mondiaux de 2021.

Ça fait du bien de ne pas me retrouver dans cette situation. Je n’arrêtais pas d’y penser après la descente et même aujourd’hui. C’est impitoyable, mais vrai : aux Jeux olympiques, une médaille représente tout.

James Crawford

« Magnifique »

Erik Guay est bien placé pour le savoir. Il avait le même âge que Crawford quand il s’est classé quatrième du super-G aux Jeux de Turin en 2006. Sur un genou amoché, il avait raté le podium par un dixième. Rebelote à Whistler en 2010, où il a fini deux fois cinquième, échouant à trois centièmes de la médaille en super-G.

Le skieur de Mont-Tremblant n’était pas en santé à Sotchi en 2014 (10e du super-G). Une blessure au dos l’a empêché de prendre part aux Jeux de PyeongChang. Il s’est retiré l’automne suivant à titre de Canadien le plus décoré de l’histoire avec 25 podiums en Coupe du monde, deux titres mondiaux, un globe de cristal… mais aucune médaille olympique.

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Erik Guay, en 2017

« Je suis super content pour Jack, a réagi Guay après une journée à entraîner des jeunes à Tremblant. Un peu comme moi, ça allait super bien : quatrième, sixième, à des centièmes près, mais pas tout à fait sur le podium. Son slalom est pas mal meilleur que le mien ! Il a eu cette médaille dans le combiné, et c’est magnifique. »

L’homme de 40 ans est heureux pour le jeune athlète. « Le temps file et la pression augmente. Finalement, je n’ai pas eu la chance de retourner aux Jeux et de faire mes preuves. Pour l’instant, il ne doit pas le réaliser parce qu’il n’a pas vécu les mêmes choses que moi. Mais sortir de ses premiers Jeux avec une médaille, c’est vraiment cool. J’espère que ça va lui ôter une certaine pression. Pas juste aux Jeux, mais aux Championnats du monde et en Coupe du monde. Il a déjà accompli ça et personne ne pourra la lui enlever. »

À la fin de sa carrière, Guay a côtoyé Crawford lors de stages estivaux. Le produit du club de Whistler, cinquième à Wengen et sixième à Kitzbühel le mois dernier, était déjà doué techniquement.

« J’aime voir de bons skieurs techniques parce qu’ils peuvent performer dans toutes les circonstances. Si ce n’est qu’un glisseur, certains parcours vont lui convenir. Mais rendu à Kitzbühel ou à des endroits plus exigeants, il n’aura pas de chances. »

De nouveaux commanditaires ?

Cette médaille est « hyper importante » pour Canada Alpin (ACA), dont Guay est membre du conseil d’administration. Elle devrait faire passer le programme alpin dans la première catégorie d’À nous le podium, au même titre que le ski cross, dont la fédération est également responsable.

Depuis que Manny [Osborne-Paradis] et moi avons pris notre retraite, personne n’avait prouvé qu’il était capable de performer à ce niveau-là chez les hommes. C’est fait, c’est prouvé. On va sûrement monter dans le premier tiers comme le ski cross.

Erik Guay

Ce « momentum » facilitera également la tâche de la présidente d’ACA, l’ex-hockeyeuse Thérèse Brisson, qui travaille d’arrache-pied pour dénicher de nouveaux partenaires.

« Les commanditaires veulent s’associer à des sports qui performent, a noté Guay. Le ski est un sport reconnu, mais on n’a pas la meilleure fiche sur le plan des performances aux Jeux olympiques. J’espère que ça va en attirer de nouveaux. »

Le plan de développement porte déjà ses fruits du côté féminin, en particulier dans les disciplines techniques.

« Non seulement il y a de la constance, mais il y a un peu plus de profondeur, a souligné l’ancien champion mondial. Ce n’est pas une seule fille qui performe et on ne mise que sur elle. Un noyau commence à se former. C’est la même chose chez les gars, mais ils sont jeunes. Ça prend parfois un peu plus de temps avant qu’ils se développent, surtout en vitesse. »

Le bronze de Crawford servira aussi à motiver les entraîneurs comme son ancien coéquipier John Kucera, responsable du programme de vitesse masculin.

« À un moment donné, tu mets tout ton temps, tous tes efforts. Si rien n’aboutit, tu finis par perdre de la motivation. »

« Des aspirations élevées »

Guay est davantage « préoccupé » par le développement. Il cite les Norvégiens, qui appliquent une version du cadre de développement à long terme de l’athlète créé au Canada. L’embauche de Jeff Thompson au nouveau poste de vice-président des programmes est un pas dans la bonne direction. La collaboration avec les fédérations provinciales et les clubs sera un élément essentiel.

« Je ne veux pas qu’on parle, qu’on ait un bon plan de match, mais qu’on ne l’exécute pas, comme c’est arrivé dans le passé. Mais je ne pense pas que ça va arriver. Thérèse pousse tout ça vers l’avant, Jeff est très conscient de tout ça. Ça s’aligne bien, mais ces choses-là prennent un peu plus de temps. Développer des athlètes vraiment de haut niveau. Et pas juste un ou deux, mais une dizaine, une douzaine, une vingtaine, ça va être primordial. »

À son arrivée au nouveau C.A. de Canada Alpin en 2019, Guay avait annoncé un programme ambitieux : devenir l’une des trois principales nations de ski alpin aux Jeux olympiques de Cortina en 2026.

Est-ce encore réaliste ?

Réaliste ou non, je pense que c’est la vision qui est plus importante. Si tu vises bas, tu arrives bas. Si tu vises haut et que tu n’y arrives pas tout à fait, mais que tu finis quatrième, c’est quand même un succès. Tu t’en vas dans la bonne direction. C’est important d’avoir des aspirations élevées.

Erik Guay

En conférence de presse, Crawford a d’ailleurs expliqué avoir adopté une « nouvelle mentalité qui consiste à [se] placer en position pour gagner à chaque course ».

« Même si vous ne gagnez pas, même si vous n’êtes pas dans le top 10, si vous avez cette mentalité et cette capacité à pousser et à vous mettre en position pour gagner, ce sera probablement une bonne journée, quelle que soit votre position finale, a dit le médaillé de bronze. Pour moi, cela a vraiment contribué à me permettre de pousser et d’être dans un endroit où tout peut arriver, un jour donné. »

De la musique aux oreilles d’Erik Guay, qui espère que les coéquipiers de Crawford s’en inspireront.

La mémoire de la médaille

Maintenant, la question qui tue : un podium au combiné a-t-il la même valeur ? Le débat est ouvert, pas seulement en ski alpin. Guay rappelle la médaille d’or de Jon Montgomery aux Jeux de Vancouver en skeleton, un sport qu’il a découvert sur le tard.

« Il y a des médailles que les Canadiens prennent plus à cœur. Certaines demandant plus d’entraînement que d’autres. Pour gagner en patinage artistique, tu dois commencer à l’âge de 2 ans. Ont-elles toutes la même valeur ? Pour moi, non. Il y en a qui ont travaillé toute leur vie pour ça, d’autres qui arrivent à la dernière minute.

« Mais ça reste une médaille olympique, peu importe que ce soit en skeleton, en curling ou en ski alpin. Dans quelques années, les gens ne vont pas se rappeler que c’est une médaille en super-combiné. Ils vont se rappeler que c’est une médaille aux Olympiques. »